Quand colonisation rime avec 10 fois plus d’érosion


Le défrichement des forêts indigènes pour la mise en culture accélère l’érosion des sols et
engendre une sédimentation rapide dans les plaines alluviales.
Photo prise à la région du Bio Bio (Chile), V. Vanacker, March 2013

 

Au cours du dernier siècle, les activités humaines en Amérique du Nord ont entraîné des mouvements de sédiments équivalents à 3000 ans de processus naturels d’érosion. Une étude à large échelle publiée dans Nature Communications révèle des résultats précieux pour les programmes de conservation et de restauration des eaux et des sols.

Diminuer l’impact de l’activité humaine sur l’environnement est au cœur des défis actuels. On entend beaucoup parler des émissions de CO2 et de leurs effets sur le climat mais on entend moins souvent parler de l’érosion des sols. Et pourtant, nos activités (agriculture, sylviculture, urbanisation) ont un gros impact sur l’accélération de l’érosion des sols et donc sur le transport et l’accumulation de sédiments dans les lacs et réservoirs. Avec pour conséquences une baisse de la fertilité naturelle des sols, des coulées de boue et la dégradation des cours d’eau. Des conséquences qui entraînent des coûts directs mais aussi des coûts indirects tels que ceux liés au dragage, à la restauration des sols et des bassins versants ou encore au traitement de l’eau.

Veerle Vanacker, Professeure au Earth and Life Institute de l’UCLouvain, et ses collègues, David Kemp de l’Université de Géosciences de Chine à Wuhan, et Peter Sadler de l’Université de Californie aux USA, ont analysé les taux d’accumulation de sédiments dans les plaines alluviales en Amérique du Nord sur les derniers 40.000 ans. Les résultats montrent que depuis l’arrivée des Européens et le développement de l’agriculture sur ces terres, l’érosion et l’accumulation d’alluvions - des dépôts de cailloux, boues, sables transportés par les eaux courantes -  sont dix fois plus rapides que lorsque ces processus étaient uniquement l’œuvre de dame Nature. En effet pour installer fermes et cultures, les colons ont dû défricher de grandes surfaces qui, désormais dépourvues d’arbres, sont très susceptibles à l’érosion des sols.

Résultat : les sédiments, produits de l’érosion des sols, atterrissent dans les rivières et finissent par s’accumuler sur les rives et plaines inondables alentours. Un exemple de conséquence ? Le Dust Bowl ou « bassin de poussière » au centre des Etats-Unis. Dans les années 1930, les plaines transformées en terres agricoles sont sujettes à une grande sécheresse. Ces terres nues et exposées au vent deviennent le lieu d’incroyables tempêtes de poussière forçant des millions de fermiers à rejoindre les villes via la célèbre Route 66. Ces années de catastrophe écologique et agricole sont connues sous le nom de Dirty Thirties.

« Connaître les valeurs naturelles d’érosion des sols versus les valeurs accélérées par l’activité humaine est primordial pour augmenter l’efficacité des programmes de conservation des eaux et des sols», explique Veerle Vanacker. « Une bonne nouvelle est que lorsqu’on regarde sur une échelle de temps récente, on voit que ces dernières décennies le taux d’érosion a diminué dans certaines régions grâce à des mesures agro-environnementale efficaces ». Les grands programmes de conservation des eaux et de sols développés dans les années 60’, 70’ et 80’ ont donc commencé à faire effet. Une observation très intéressante pour mieux identifier les activités anthropiques qui peuvent conduire à une réduction des taux d’accumulation des sédiments, et d’implémenter ce type de programmes dans des régions  (ou « hotspots ») où la dégradation du sol où le taux de déboisement est encore très rapide.


Les mesures de conservation d’eaux et de sols, comme les barrages en bois,
sont très efficaces pour réduire le ruissèlement et transfert du sédiment vers la plaine alluviale. 
Photo prise dans les Andes (Equateur), V. Vanacker, Février 2012.

Parmi les mesures prises pour limiter l’impact des activités humaines sur l’érosion des sols et les taux de sédimentation, on compte le labour minimum, la protection des zones autour des rivières près des plaines inondables ou encore la restauration des marécages. Ces deux derniers points permettant de constituer des zones tampon où les sédiments peuvent s’accumuler.

Audrey Binet

Publié le 08 décembre 2020