Quand les sols filtrent les eaux usées

En Wallonie, un dixième des eaux usées domestiques ne passent pas par une station d’épuration. Une pollution ? Pas forcément. Car les sols sont naturellement capables de filtrer et d’épurer les eaux usées… sous certaines conditions.

Partout où vivent des hommes se pose la question du traitement de leurs eaux usées domestiques. C’est-à-dire l’eau provenant de leurs sanitaires (toilettes, lavabos, douche, etc.), de leurs lessives, de leur vaisselle, de la cuisine, etc. In fine, toutes ces eaux usées peuvent retourner dans les nappes phréatiques, les cours d’eau ou la mer. Ce n’est pas forcément un mal. La question est de savoir si et comment elles sont traitées avant d’être rejetées dans la nature.

L’épuration des eaux usées en Belgique

En Belgique, le traitement des eaux usées est soumis à des directives européennes que les Régions sont chargées de transposer dans leur législation. En Région wallonne, les deux principales voies de traitement des eaux usées sont :

  • les systèmes collectifs, basés sur un réseau d’égouts, qui achemine les eaux usées vers des stations d’épuration ;

  • les systèmes autonomes pour sites isolés, qui concernent des habitations non connectées à un réseau d’égouttage.

Comme la Wallonie présente un relief plus varié et une moindre densité de population, les systèmes autonomes concernent 11 % des habitations – contre 1 ou 2 % en Flandres.

Le sol, cet énorme filtre « vivant »

Les eaux usées qui ne passent pas par une station d’épuration sont le plus souvent rejetées dans un cours d’eau ou infiltrées dans le sol. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas forcément une catastrophe écologique. Cette 
« pollution » peut même apporter des nutriments à la terre. « Le sol n’est pas une matière inerte et passive », explique Marnik Vanclooster, professeur à la Faculté de bioingénieurs de l’UCLouvain et membre du comité scientifique de Louvain4Water(1). « Au contraire, c’est un énorme réacteur vivant, qui compte des milliards de microorganismes et de minéraux dont la composition chimique peut réagir à tout ce qui est percolé dedans, y compris les eaux usées. Plusieurs polluants présents dans les eaux usées sont dégradables… à des rythmes différents. Les eaux usées contiennent des matières organiques dont une proportion appréciable est rapidement biodégradable. Le restant est aussi dégradable, mais plus lentement (2). »

Comment épurer les eaux par le sol ?

Le sol peut donc filtrer et épurer les eaux usées. À condition de mettre en place des systèmes qui effectuent cette épuration de façon optimale ! « Au niveau technique, les eaux usées peuvent être recueillies dans un puits sceptique étanche et raccordé à des drains de dispersion, qui percolent les eaux dans le sol », explique le Pr Vanclooster. « Ce système peut être individuel, relié à une seule habitation, mais il peut aussi être décliné en mode collectif. Dans ce cas, il faut acheminer les eaux usées de plusieurs foyers vers un site commun de dispersion. C’est le cas des installations d’épuration individuelle ou des stations d’épuration individuelle comme les filtres plantées aux roseaux. »

Mais pour que ce système d’épuration soit optimal, plusieurs paramètres doivent être pris en compte. « D’abord, il faut bien connaitre les sols, car tous n’ont pas les mêmes capacités filtrantes », poursuit le Pr Vanclooster. « Ensuite, il faut prévoir une surface de dispersion suffisante afin de ne pas surpasser les capacités filtrantes du sol. Enfin, il faut bien choisir les sites de dispersion. À cause des odeurs et des gaz, ces sites ne doivent pas être trop près des habitations. Ni, bien sûr, installés à proximité d’un lieu de captage d’eau potable. Une source ou une nappe phréatique, par exemple. »

Défis et avantages de l’épuration par le sol

Par rapport aux stations d’épuration, l’épuration par les sols naturels demande moins d’infrastructures et consomme (beaucoup) moins d’énergie. Cela dit, la méthode a ses limites ou, plutôt, ses défis. « Nous avons des normes environnementales à respecter pour la qualité de l’eau rejetée », rappelle le Pr Vanclooster. « En station d’épuration, mesurer les différents paramètres et contrôler le processus d’épuration est facile. Dans le sol, c’est plus difficile. Mais c’est faisable. En installant des capteurs souterrains pour détecter et quantifier les polluants, par exemple. »

L’épuration directe des eaux usées par les sols n’est pas encore autorisée par la Région wallonne, mais il est question de faire évoluer la législation en ce sens. En 2018, un chercheur de l’Earth and Life Institute de l’UCLouvain a d’ailleurs effectué une mission et remis un rapport à ce sujet (3). Car ce type de système est à la fois écologique et économique. Et pas seulement en Belgique. « Environ deux milliards d’êtres humains rejettent leurs eaux usées dans la nature, sans aucun traitement », rappelle le Pr Vanclooster. « Pour ces populations, mettre en place des solutions basées sur les capacités naturellement filtrantes des sols améliorerait le traitement des eaux usées à moindres coûts. » Avec des bénéfices certains pour l’environnement et la santé publique.

Candice Leblanc

(1) Louvain4Water est un consortium interdisciplinaire qui développe des actions de recherche fondamentale et appliquée, des programmes de formation avancée et des services dans le domaine de l’eau.
(2) Notons que ces matières organiques peu dégradables ne sont pas non plus gérées par les stations d’épuration.
(3) M. Phalempin, « Mission de guidance sur le traitement approprié et la capacité épuratoire des sols », mai 2018. 

Coup d’œil sur la bio de Marnik Vanclooster

Marnik Vanclooster est professeur des ressources en eau à la Faculté des bioingénieurs de l’UCLouvain et chercheur à l’Earth and Life Institute. Il est président de la Commission belge du Programme Hydrologique International de l’Unesco. Le Pr Vanclooster a obtenu le grade d’ingénieur agronome à la KULeuven en 1989 et un doctorat en sciences agronomiques et ingénierie biologique en 1995, à la KULeuven. Ses recherches portent principalement sur l’hydrologie des sols et la gestion intégrée de l’eau, particulièrement dans le domaine agricole.

Publié le 18 avril 2019