Révolutionner les batteries grâce aux polymères

Depuis huit ans, le Pr Jean-François Gohy, chercheur à l’Institute of Condensed Matter and Nanosciences de l’UCLouvain, s’intéresse à l’utilisation des polymères dans les batteries. Aujourd’hui, notamment grâce à son travail, des batteries plus performantes et qui se rechargent à la vitesse de l’éclair existent. Et en plus, elles répondent à plusieurs enjeux écologiques, comme celui de la voiture électrique.

Les batteries ont encore un long chemin à parcourir : chargement trop lent, puissance trop faible, métaux lourds utilisés pour leur fabrication, électrolytes liquides inflammables, etc. Non seulement pour répondre à ces défectuosités, mais aussi pour explorer toutes les capacités des polymères, - son sujet de prédilection - , le Pr Jean-François Gohy est parvenu à rendre fonctionnelles ces matières plastiques (polymères) dans les batteries.

Comment fonctionne une batterie classique ?

Pour comprendre cette belle découverte de l’UCLouvain, revenons-en au b.a.-ba de la chimie : comment fonctionne une batterie classique lithium ion ? Elle est composée de trois couches superposées : deux couches d’électrodes contenant des composés de lithium (l’anode et la cathode), séparées par une membrane imprégnée d’un liquide appelé électrolyte. Lorsque la batterie se décharge, une réaction chimique à l’anode génère des ions lithium et des électrons. Les ions lithium diffusent dans l’électrolyte pour atteindre la cathode où ils récupèrent des électrons pour être stockés dans un composé chimique différent de celui de l’anode. Les électrons circulent donc de l’anode vers la cathode en générant un courant électrique caractérisé par une différence de potentiel liée à la structure chimique et aux réactions se déroulant à l’anode et à la cathode (généralement de l’ordre de 3,6 volts). Aujourd’hui, la majorité des batteries Li-ion fonctionnent de cette façon.

Stocker l’énergie dans des polymères

Dans ce type de batteries, l’énergie est actuellement stockée dans les électrodes composées de matériaux inorganiques (des matériaux généralement cristallins qui contiennent des métaux lourds comme le cobalt ou le nickel). Ces matériaux posent aujourd’hui problème non seulement pour leur obtention (extraction dans des pays du tiers monde, ressources limitées…) mais aussi pour leur recyclage difficile. C’est pourquoi l’équipe de l’UCLouvain menée par le Pr Jean-François Gohy essaie depuis plusieurs années de développer des polymères (matériaux organiques) capables de stocker les électrons dans leur structure et de les libérer au moyen de réactions d’oxydoréduction (ou rédox) réversibles (afin de pouvoir recharger les batteries après leur décharge).

Des nouveaux matériaux polymères

Jusqu’ici, les polymères utilisés dans les batteries n’avaient pas de rôle fonctionnel. Le Pr Jean-François Gohy et son équipe ont donc développé des matériaux polymères permettant le stockage réversible d’électrons. Ces matériaux aux propriétés tout à fait inédites sont basés sur des gels polymères conducteurs gonflés par l’électrolyte.

Des avantages certains, et un inconvénient

Cette découverte comporte plusieurs avantages. D’abord, ces batteries sont constituées de matière organique (carbone, hydrogène, azote, oxygène) et non plus de métaux lourds. A noter qu’à ce stade, les polymères utilisés sont issus de la pétrochimie, mais à l’avenir, l’idée est de les produire à partir de molécules extraites de la biomasse. Deuxième avantage : le contact intime entre le polymère et l’électrolyte dans les gels permet d’obtenir des réaction rédox extrêmement rapides et une diffusion immédiate des ions dans l’électrolyte. Grâce à cela, la charge d’une batterie est extrêmement rapide (cela prend 5 minutes au lieu de quelques heures). Lors de la décharge aussi, le polymère offre une puissance plus importante. Lorsqu’on veut accélérer avec une voiture électrique ou qu’on veut forer efficacement, cette puissance est bien utile. Dans l’équipe, ce polymère est d’ailleurs surnommé le « power booster ». En contrepartie, le principal désavantage est sa faible capacité de stockage. Or, pour les batteries, ce que la communauté scientifique cherche sans cesse, c’est de stocker un maximum d’énergie dans un minimum de volume et de poids de batterie. D’où l’intérêt, à ce stade, d’envisager des matériaux hybrides dans lesquels les matériaux polymères permettant la charge et/ou la puissance sont mélangés avec des matériaux inorganiques à grande capacité de stockage, combinant ainsi le meilleur des deux mondes.

Des voitures électriques puissantes et sécurisées

Pourquoi ces recherches ? Pourquoi est-ce intéressant de s’attarder sur le stockage de l’énergie ? Parce qu’il s’agit d’un problème central qui concerne la transition énergétique et les nombreux marchés qui y sont associés. Parmi ceux-ci, il y a celui de la voiture électrique, notre transport de demain. Avec une batterie contenant du polymère « power booster » comme additif, la puissance est sensiblement améliorée et la charge est plus rapide. Côté sécurité aussi, les polymères ont un rôle important à jouer. Les électrolytes polymères sont d’ailleurs entrevus comme des remplaçants des électrolytes liquides inflammables. Lorsque la batterie se dégrade, chauffe ou subit un court-circuit, un électrolyte liquide peut en effet mener à une explosion ou à un incendie. C’est pourquoi, l’équipe de Jean-François Gohy travaille également sur le remplacement des électrolytes liquides par des électrolytes solides à base de polymères, pour plus de sécurité.

Stocker l’énergie renouvelable de votre maison

Le deuxième domaine dans lequel cette recherche est intéressante est celui du stockage de l’énergie des habitations, en particulier celle produite par les ressources renouvelables (panneaux photovoltaïques, notamment). Actuellement, en Belgique, l’interfaçage entre les producteurs de courants électriques (propriétaires d’un panneau photovoltaïque) et le réseau électrique est mal géré. Et deux questions se posent : comment gérer le flux de production d’énergie électrique ? Et comment stocker cette énergie produite en journée et qui n’est pas utilisée immédiatement ? Les batteries développées par le Pr Gohy répondent à cette problématique. A plus long terme aussi, Jean-François Gohy parle d’une application de ses recherches dans le secteur de l’ « Internet of Things » ou les appareils médicaux. Ces dispositifs requièrent en effet pour fonctionner des sources d’énergies plus légères, flexibles et souvent miniaturisées. Et les polymères pourraient tout à fait convenir.

Quelles perspectives pour la transition écologique ?

Ces nouveaux matériaux polymères comportent de nombreux intérêts écologiques, grâce à leur application dans le secteur des voitures électriques et dans celui de la gestion de l’électricité produite par les sources renouvelables. Dans la production de ces matériaux aussi, la chimie verte prédomine, avec toujours une réflexion écologique : les matériaux de départ sont de préférence biosourcés, les procédés de synthèse et de fabrication des batteries sont respectueux de l’environnement en veillant à diminuer considérablement les quantités de solvants utilisées, et, pour la synthèse des électrolytes solides polymères remplacement les électrolyte liquides, du CO2 est utilisé comme réactif et se retrouve donc immobilisé dans un matériau solide, au lieu de se balader sous forme gazeuse dans l’atmosphère.

Et demain, comment aller encore plus loin ?

Aujourd’hui, l’équipe de l’UCLouvain a développé l’utilisation des polymères. Ils ont été les premiers à mélanger ces polymères comme additifs avec des matériaux inorganiques classiques afin d’améliorer la puissance et la charge de batteries. Pour cela, ils ont amélioré la structure du polymère afin d’en retirer le meilleur de ses propriétés. Maintenant, le défi est de développer d’autres polymères pour le compartiment central de la batterie (l’électrolyte), en particulier pour le secteur automobile. Pour cela, les recherches doivent se poursuivre afin d’atteindre à température ambiante une diffusion des ions lithium aussi rapide dans un matériau polymère à l’état solide que dans un électrolyte liquide. Car jusqu’ici, avec le polymère seul, cet objectif n’est pas encore atteint.

Lauranne Garitte

Coup d’œil sur la bio de Jean-François Gohy

Jean-François Gohy est professeur ordinaire à l’Ecole de chimie et à l’Institute of Condensed Matter and Nanosciences de l’UCLouvain. En 2001, il rejoint l’Université de Technologie d’Eindhoven (Pays-Bas) pour poursuivre des recherches postdoctorales sur les polymères métallo-supramoléculaires. Depuis, il étudie les matériaux polymères nano-structurés fonctionnels. Ses principales recherches portent sur la compréhension des processus d’autoassemblage dans les systèmes polymères, leur utilisation en nanotechnologie et le développement de polymères pour le stockage de l’énergie. Depuis le 1er janvier 2019, il est le président du Belgian Polymer Group (BPG).

Publié le 29 mai 2019