Un « interrupteur » génétique dans les guêpes

 

Bertanne Visser a été récemment nommée chercheuse qualifiée FNRS à l’Earth and Life Institute. L’occasion de revenir sur ses recherches sur la synthèse des lipides chez certaines guêpes au cours de l’évolution. Un trait qui, contrairement à ce que l’on a pu croire, n’a jamais été perdu…  (photo ©Hans Smid)

Quand un organisme vivant absorbe des glucides (sucres), une partie est directement utilisée pour lui fournir de l’énergie. Le surplus est transformé en réserve de graisse : c’est la synthèse – ou métabolisme – des lipides. Ce trait est très répandu dans le règne animal, y compris chez les humains. Mais toutes les espèces n’ont pas besoin de la synthèse des lipides. Exemple : les guêpes parasitoïdes.

ces espèces de guêpes ont un mode de reproduction particulier. Elles pondent leurs œufs dans un autre insecte (une chenille, par exemple). Les larves de guêpe y éclosent et se nourrissent de l’hôte pour se développer. Une technique peu ragoutante, mais efficace : les guêpes parasitoïdes sont très répandues sur Terre.

Un trait disparu ?

« Ce mode de vie et de reproduction parasitaire devrait rendre superflue la synthèse des lipides », explique Bertanne Visser, chargée de cours et chercheuse qualifiée au Centre de recherche sur la biodiversité de l’UCLouvain et membre de Louvain4Evolution. « En effet, si un animal produit des graisses lui-même – à partir d’un excès de glucides –, constituer des réserves de graisses lui demande de l’énergie. Or, ce n’est pas le cas de la guêpe : manger l’hôte lui fournit toutes les graisses dont elle a besoin, ni plus ni moins. Aussi pensions-nous que les guêpes parasitoïdes avaient perdu ce trait – la synthèse des lipides – il y a environ 200 millions d’années. »

Or, durant son postdoc sur ces insectes à l’UCLouvain, Bertanne Visser a découvert des variations inter et intraespèces. Certaines espèces et certains individus d’une même espèce étaient « gros ». Ce qui suggère que la synthèse des lipides avait été réactivée. Pour confirmer son hypothèse, la chercheuse a mené plusieurs expériences. « Nous avons séparé les filles d’une mère et nous les avons mises dans des milieux différents. Dans un environnement riche en graisses, elles n’ont pas besoin de la synthèse des lipides. En revanche, si elles en manquent, elles ont besoin de ce trait, car elles doivent pouvoir faire des réserves. »

Un « interrupteur » génétique

Bertanne Visser et ses collègues se sont alors penchés sur l’ADN de ces insectes. « Normalement, quand un trait ne sert plus à une espèce pendant longtemps, les gènes qui le codent mutent tellement qu’ils finissent par disparaitre », explique-t-elle. « Or, nous avons découvert que la séquence de gènes impliquée dans la synthèse des lipides est bel et bien présente dans les espèces de guêpes parasitoïdes (et chez d’autres insectes parasites). Le trait n’a donc pas disparu au cours de l’évolution. Simplement, ces gênes ne s’expriment pas… sauf dans certaines circonstances. La synthèse des lipides est alors réactivée. Un peu comme un interrupteur qui s’allume quand les guêpes en ont besoin. » Une possibilité confirmée par une simulation informatique. « Nous avons démontré que cet interrupteur peut demeurer très longtemps dans le génome, même s’il n’est activé qu’une ou deux fois sur des milliers de générations. »

Les perspectives de recherche

Cette expression d’un trait génétique relèvent de ce que l’on appelle la plasticité phénotypique. Le phénomène est connu depuis longtemps, mais c’est la première fois qu’il est observé dans la synthèse des lipides. Ce qui ouvre au moins quatre perspectives de recherche :

  • Comment cette plasticité fonctionne ? À quel stade de la vie de la guêpe l’interrupteur est-il allumé ?
  • Est-ce que les autres espèces de guêpes parasitoïdes possèdent cette plasticité ?
  • Dans la nature, en conditions réelles, comment ça se passe ? La plasticité dépend-elle de la période de l’année, du climat, du type d’hôtes, etc. ?
  • Comment la synthèse des lipides se régule-t-elle ?
Une vocation pour l’évolution

À terme, Bertanne Visser espère comprendre comment la plasticité fonctionne dans la synthèse des lipides chez les guêpes parasitoïdes. Et peut-être aussi chez d’autres espèces animales. « La nature m’a toujours passionnée », se souvient-elle. « Pendant mes études de biologie, aux Pays-Bas, j’ai rapidement pris gout à l’investigation scientifique. En master, par exemple, j’ai participé à un projet de recherche sur l’homosexualité des papillons. Les mécanismes de l’évolution me fascinent. Comment les différentes formes de vie fonctionnent-elles ? Comment se sont-elles adaptées et développées jusqu’à aujourd’hui ? Il y a encore tant de questions à explorer ! L’évolution est un domaine parfait pour faire de la recherche ! »

Candice Leblanc

Coup d’œil sur la bio de Bertanne Visser

Bertanne Visser chercheuse qualifiée au sein du groupe Évolution et Écophysiologie du Centre de recherche sur la biodiversité de l’Earth and Life Institute. Elle est aussi chargée de cours à l’UCLouvain. Elle est titulaire d’un master en sciences écologiques et de l’évolution, obtenu en 2007 à l’Université de Leiden (Pays-Bas), et d’un doctorat, obtenu à l’Université Libre d’Amsterdam en 2012. Bertanne Visser a poursuivi ses recherches sur l’évolution des insectes à l’Université de Floride (USA, 2012), à l’Université de Tours (France, 2013-2015) et à l’UCLouvain depuis 2016. Elle a obtenu plusieurs prix et bourses scientifiques. Elle est membre du conseil d’administration de la Société royale néerlandaise de zoologie. Elle est aussi très active dans le projet Peer Community In. Cette organisation scientifique vise à créer des communautés spécifiques de chercheurs qui relisent et recommandent gratuitement des tirages préliminaires non publiés dans leur domaine..

Publié le 01 octobre 2019