Une méthode universelle pour immobiliser les protéines

©Sylvie Dupont

Une équipe de l’Institute of Condensed Matter and Nanosciences de l’UCLouvain a mis sur pied une méthode d’autoassemblage de molécules complexes que sont les protéines. Voilà qui représente un pas de géant dans les domaines des biotechnologies et de la biomédecine. 

Il existe une variété de méthodes pour immobiliser des molécules aux interfaces, permettant ainsi de modifier les propriétés de surface des matériaux (adhésion, couleur, propriétés optiques, durabilité etc).  C’est cependant bien plus difficile à mettre en place pour les molécules complexes que sont les protéines, qui sont pourtant indispensables dans les domaines tels que la biomédecine ou les biotechnologies. En effet, il est difficile d’obtenir une quantité élevée de protéines immobilisées et des couches stables, tout en maintenant ces protéines actives (en jargon scientifique, nous dirions « tout en empêchant leur dénaturation »). Aurélien vander Straeten1 , Anna Bratek-Skicki2, Alain M. Jonas3, Charles-André Fustinet Christine Dupont-Gillain5 ont trouvé une astuce pour surpasser cette difficulté : assembler les protéines couche par couche (layer-by-layer) en s’affranchissant de leur charge électrique. Cette découverte a récemment été publiée dans la revue ACS Nano

Une protéine, c’est quoi ? A quoi ça sert ?

Pour bien comprendre cette prometteuse découverte, revenons d’abord aux fondamentaux : qu’est-ce qu’une protéine ? Il s’agit d’une biomacromolécule, c’est-à-dire d’une très grosse molécule du vivant composée d’acides aminés. Chaque protéine, essentielle à tout organisme vivant, a donc une suite d’acides aminés qui lui est propre, précise et particulière. Une protéine peut jouer différents rôles :

  • Transporter (cas de protéines solubles comme l’hémoglobine qui permet le transport de l’oxygène),
  • Servir de structure (les protéines insolubles comme la myosine qui permet la contraction des muscles),
  • Défendre l’organisme d’agressions extérieures (les anticorps),
  • Réaliser des transformations chimiques ou biochimiques (les enzymes qui, par exemple, dégradent les protéines en plus petites briques pour que le corps les assimile).

Pourquoi immobiliser les protéines aux interfaces ?

Une interface ou une surface est une zone frontière entre des matériaux. Pourquoi vouloir mettre des protéines en contact avec certaines surfaces ? Les raisons sont diverses :

  • Pour poser un diagnostic : une analyse de sang permet d’identifier des molécules circulantes appelées antigènes et qui informent sur une pathologie. Pour y parvenir, on utilise une protéine qui reconnaît cet antigène. Par exemple l’anticorps que notre corps produit habituellement, on l’isole, puis le dépose sur une boîte en plastique. Sur cette surface, l’anticorps peut reconnaître sa cible habituelle et créer une liaison avec la molécule antigène, ce qui va générer un signal. Ainsi, le médecin peut poser un diagnostic. 
  • Pour élaborer des biomatériaux ou des matériaux à usage médical (ex. : prothèses) : prenons l’exemple d’une culture cellulaire dans le but de faire une régénération tissulaire. Pour faire proliférer les cellules en très grand nombre, il faut les faire croître sur une surface (une boîte en plastique par exemple). Pour y parvenir, la surface est couverte de protéines qui servent de signalisation aux cellules, ce qui leur permet de s’y accrocher et de proliférer.
  • Pour réaliser des transformations chimiques : les enzymes sont ces protéines capables de réaliser des réactions chimiques dans les organismes vivants. Elles peuvent effectuer les mêmes réactions hors de ces organismes, pour créer de nouveaux matériaux, de nouvelles molécules, etc. selon une approche de chimie plus verte car effectuée dans les conditions douces typiques du vivant. Si les enzymes sont immobilisées sur la surface interne d’un réacteur, on peut faire la réaction en continu, ce qui est très efficace.

Comment immobilise-t-on les protéines aujourd’hui ?

Aujourd’hui, pour immobiliser les protéines aux interfaces, différentes méthodes existent déjà, mais ne sont pas vertes :

  • Immobilisation avec des réactifs : les réactifs sont rarement inoffensifs pour l’environnement, et la structure tridimensionnelle des protéines a tendance à s’abîmer. 
  • Adsorption : c’est l’accumulation spontanée en surface des protéines. Deux problèmes se posent toutefois : la structure tridimensionnelle de la protéine a tendance à disparaître, dénaturant la molécule. De plus, les quantités sont souvent très faibles.

Ces stratégies d’immobilisation ont donc pour inconvénient de dénaturer fortement les protéines, et donc de leur faire perdre leur bioactivité. 

Vers une chimie plus verte

Depuis trois ans, l’équipe de l’UCLouvain travaille sur une alternative basée sur l’autoassemblage d’enzymes. Ces enzymes représentent une magnifique alternative à la chimie actuelle qui est souvent réalisée dans des réacteurs à haute température et dans des solvants organiques. En effet, les enzymes peuvent faire des réactions chimiques à 37 degrés en milieu aqueux, soit des conditions idéales pour de la chimie verte, moins polluante et moins consommatrice d’énergie (plus besoin de chauffer à 400°C dans des solvants néfastes pour l’environnement !). Reste toutefois à avoir des protéines en quantité suffisante, à ne pas les dénaturer et à les assembler de A à Z selon un processus « vert ». Autoassembler ces enzymes, ce n’est donc pas si simple. Deux difficultés sont inhérentes à la constitution des protéines : 

  • L’hétérogénéité des protéines : Chaque protéine est différente de sa voisine. Il est donc difficile de trouver une méthode universelle pour toutes les protéines. 
  • L’hétérogénéité d’une protéine en particulier : une protéine est constituée d’une combinaison de centaines, voire de milliers, d’acides aminés, dont il existe 20 types différents.

L’idée d’emballer les protéines

Partant du principe qu’une protéine est un collier de perles où la plupart des perles (acides aminés) sont différentes, l’équipe a décidé d’emballer ce collier hétérogène dans une macromolécule, qui est elle-même un collier aux perles identiques. Autrement dit, l’idée est d’uniformiser les protéines en les insérant dans une autre macromolécule homogène et chargée électriquement appelée polyélectrolyte, pour former des complexes protéine-polyélectrolyte (PPC). Ces PPC sont uniformes, ce qui permet de manipuler plus facilement les protéines, et ils ont aussi d’autres avantages :

  • L’assemblage « layer-by-layer » : cette uniformisation permet de réaliser des « lasagnes moléculaires » ou « assemblages couche par couche » : on dépose une couche de molécules polyélectrolytes positives à la surface, puis une couche de particules négatives (PPC), et ainsi de suite. On peut ainsi contrôler très précisément la quantité de protéines immobilisées sur la surface en variant le nombre de couches de cette « lasagne moléculaire ».
  • Un milieu qui reste aqueux : cet « emballage » de molécules conserve l’eau. Le milieu reste donc bien hydraté, ce qui est favorable pour que les protéines ne se dénaturent pas et gardent toute leur activité ou fonction biologique. 

Quelle utilité concrète ?

Aurélien vander Straeten, Christine Dupont et leurs collaborateurs ont donc mis au point cet emballage de protéines. Ils ont ensuite identifié les circonstances dans lesquelles cette méthode fonctionnait. La bonne nouvelle est que celle-ci est applicable à de nombreuses protéines, et est donc potentiellement universelle. Actuellement, Aurélien vander Straeten travaille sur une application concrète pour la société : un pansement antibactérien et qui favorise la cicatrisation, grâce à l’immobilisation d’une protéine antibactérienne. Cette méthode peut aussi contribuer à la réalisation de revêtements antibactériens pour des prothèses ou autres matériaux. Elle pourrait également servir à la mise en place d’alternatives aux matériaux plastiques basés sur le pétrole. On pourrait par exemple dégrader la lignine, une macromolécule venant du bois, par voie enzymatique, puis la réassembler sous forme de matériau plastique. En bref, cette méthode est indépendante de la surface et peut être utilisée avec n’importe quelle protéine, rendant le champ d’expérimentation vaste et prometteur. 

Lauranne Garitte

1 Doctorant à l’Institute of Condensed Matter and Nanosciences (IMCN) de l’UCLouvain. Boursier de doctorat FRIA (Fonds pour la Recherche dans l’Industrie et l’Agriculture).
2 Chercheuse post-doctorale d’origine polonaise, qui a travaillé à l’IMCN avec le soutien d’une bourse européenne Marie Curie.
3 Professeur ordinaire à l’IMCN de l’UCLouvain, travaillant à la croisée des chemins de la science des polymères, de l’autoassemblage et des nanotechnologies. 
4 Professeur à l’IMCN de l’UCLouvain, expert des polymères et de chimie macromoléculaire et supramoléculaire.
5 Professeure ordinaire à l’iMCN et à la Faculté des bioingénieurs de l’UCLouvain, spécialiste des interfaces biologiques.

 

Coup d'oeil sur la bio de Christine Dupont

Christine Dupont est diplômée Bioingénieur (1995) et Docteur en sciences agronomiques et ingénierie biologique (2000) de la Faculté des bioingénieurs de l’UCLouvain. Après un séjour post-doctoral à l’Université de Manchester (Royaume-Uni), elle a obtenu un mandat de Chargée de recherche puis de Chercheuse qualifiée (2005) du Fonds National de la Recherche Scientifique. Elle est actuellement Professeure ordinaire à l’UCLouvain, où elle donne des cours dans le domaine de la chimie, des nanobiotechnologies et des biomatériaux, et où elle dirige une équipe de recherche 

Coup d’œil sur la bio d’Aurélien vander Straeten

En 2010, Aurélien vander Straeten commence ses études de bioingénieur à l’UCLouvain. En 2013, il choisit de se spécialiser en chimie et bioindustries et, un an plus tard, se lance dans l’option nanobiotechnologies, matériaux et catalyse. Durant son master, il effectue successivement un mois de recherche en oncologie à l'Université de Maastricht, six mois d’études à la KUL et une année de mémoire sur les formulations de vaccin. En 2015, il est diplômé Bioingénieur puis décroche une bourse FRIA pour financer son doctorat portant sur l’immobilisation de protéines aux interfaces. A ce jour, il entame sa dernière année de doctorat.

Publié le 25 octobre 2018