Traces de médicaments dans l'eau

Il y a des traces de médicaments dans quasiment toutes les eaux du monde. Alors que l’impact de cette pollution sur l’environnement et la santé humaine est encore largement méconnu, des chercheurs du Louvain4Water de l’UCLouvain travaillent sur une nouvelle façon d’éliminer ces médicaments de nos eaux usées.

Nous prenons tous des médicaments. Certains produits, comme le paracétamol ou l’ibuprofène(1), sont rapidement métabolisés par l’organisme et éliminés via les urines et selles. Presque toutes nos eaux usées passent par des stations d’épuration. Pourtant, des traces de médicaments se retrouvent, à des concentrations diverses, dans quasi toutes les eaux de surface (cours d’eau, étangs, mers, etc.), aussi bien en Wallonie qu’ailleurs dans le monde. Or, il est techniquement possible de purifier davantage les eaux que nous rejetons dans la nature.

Trois phases d’épuration

Les méthodes d’épuration des eaux usées diffèrent d’un pays à l’autre. En Belgique, l’épuration des eaux usées se fait normalement en deux étapes :

  1. Le traitement primaire filtre d’abord l’eau de façon à éliminer les graisses, les grosses particules et déchets (sable, insectes, végétaux, etc.).

  2. Un traitement biologique secondaire est ensuite appliqué. Les eaux usées passent par de grands bassins où une boue activée constituée de microorganismes dégrade les substances organiques.

De nombreuses substances résistent à ces traitements de base. En fonction de l’usage qui sera fait des eaux, un traitement tertiaire peut donc être nécessaire : filtre à sable, ozonation, addition de chlore, etc. Mais ça ne suffit pas toujours, surtout quand l’eau est chargée en micropolluants persistants…

Dépolluer à l’aide de radicaux libres

« Certains médicaments ne sont pas biodégradables et résistent aux traitements conventionnels », explique Raphaël Janssens, ingénieur civil chimiste à l’UCLouvain. « Il faut alors soumettre ces eaux à un traitement par oxydation avancée. Il s’agit de produire des radicaux libres (OH°) qui vont dégrader les molécules polluantes. En effet, grâce à leur pouvoir oxydant élevé, ces radicaux libres s’attaquent à toute matière organique présente dans les eaux : les médicaments, mais aussi les hormones, les pesticides, la nicotine, la caféine, etc. » Autant de substances qui sont d’ailleurs soupçonnées d’avoir un impact délétère sur l’environnement, les écosystèmes aquatiques, voire la santé humaine.

Comment produire les radicaux libres ?

Il existe plusieurs techniques pour produire des radicaux libres. Dans le cadre d’un traitement tertiaire d’épuration des eaux, l'ozonation et l’activation de peroxyde d’hydrogène par des rayons ultraviolets (UV) sont déjà utilisées. Mais ces techniques ont un inconvénient : elles sont énergivores en termes de consommables. Raphaël Janssens et Patricia Luis Alconero, professeure à l’iMMC et membre du Louvain4Water de l’UCLouvain, travaillent donc sur une nouvelle technique de production de radicaux libres : la photocatalyse. « Notre technique de photocatalyse consiste à utiliser des particules de métaux, les photocatalyseurs, qui sont activés par des UV », expliquent les deux chercheurs. « Il y a deux façons de faire de la photocatalyse. Soit en immobilisant les particules de catalyseur sur une surface, soit en utilisant ces grains en suspension. Cette seconde technique nécessite une étape supplémentaire de filtration pour récupérer les photocatalyseurs (2). Mais elle permet de traiter un plus grand volume d’eau, car une plus grande surface de catalyseur est exposée aux rayons UV. »

Le défi des médicaments anticancéreux

Car le volume, c’est tout l’enjeu et le défi de cette problématique ! « En Belgique, chaque personne utilise en moyenne 110 litres d’eau par jour », rappelle Raphaël Janssens. « Les quantités d’eaux usées à traiter sont donc gigantesques… Il nous faut donc trouver une façon pertinente de procéder, qui soit à la fois efficace et rentable aux niveaux économique, écologique et sanitaire. »

Dans le cadre de sa thèse, Raphaël Janssens s’intéresse aux médicaments anticancéreux qui abondent dans les eaux usées provenant des hôpitaux, mais pas seulement. Avec l’augmentation des traitements ambulatoires – c’est-à-dire ne nécessitant pas d’hospitalisation – de plus en plus d’agents cytotoxiques sont éliminés au domicile des patients. « Or, ces médicaments ont été conçus pour empêcher la reproduction des cellules cancéreuses de façon persistante », rappelle le chercheur. « À long terme, il n’est pas impossible qu’ils puissent faire muter l’ADN des organismes aquatiques. »

Une pollution en augmentation

Une solution serait de traiter les urines des patients en amont, avant même qu’elles ne se retrouvent dans les eaux usées. Mais la photocatalyse ne fonctionne pas très bien sur les urines. « Nous n’avons pas encore de solution miracle à proposer, mais nous étudions de près les techniques qui pourraient limiter, voire prévenir cette pollution médicamenteuse », conclut la Pr Luis. Une pollution qui, vu le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies chroniques comme le cancer, ne fera qu’augmenter dans les années à venir… 

Candice Leblanc

(1) Le paracétamol et l’ibuprofène sont des antidouleurs et antifièvres. Ils sont en vente libre.
(2) R. Janssens et al., « Slurry photocatalytic membrane reactor technology for removal of pharmaceutical compounds from wastewater: Towards cytostatic drug elimination » in Science of the Total Environment, 2017.

Coup d’œil sur la bio de Patricia Luis Alconero

Patricia Luis Alconero est chercheuse et professeure à l’Institute of Mechanics, Materials and Civil Engineering (iMMC) de l’UCLouvain. Elle est ingénieure chimiste, titre obtenu en 2004 à l’Université de Cantabria (Espagne), où elle a aussi soutenu sa thèse de doctorat, en 2009. Après un postdoc de trois ans à la KULeuven, elle est professeure à l’UCLouvain depuis 2013. Ses recherches portent principalement sur les technologies membranaires et le rôle qu’elles peuvent jouer dans la dépollution.

Coup d’œil sur la bio de Raphaël Janssens

Raphaël Janssens est titulaire d’un Master d’ingénieur chimiste et des matériaux, obtenu en 2015 à l’UCLouvain. Depuis lors, il prépare une thèse sur l’élimination des médicaments oncologiques dans les eaux usées provenant des hôpitaux.

Publié le 25 avril 2019