Charles-Henri Nyns

Bibliothécaire en chef Charles-Henri Nijns

Que représentent pour vous les utopies du temps présent ?

Pour le dire avec Einstein « insanity is doing the same thing over and over again and expecting different results ». Et n’est pas ce que nous faisons : appliquer encore et encore les mêmes recettes, les mêmes méthodes qui n’ont pas abouti, en espérant chaque fois de meilleurs résultats ? Alors oui, il faut des utopies, des idées et des expériences qui, sans naïveté, s’emploient à penser les choses différemment, à imaginer d’autres réalités possibles, à sortir des ornières qui nous empêchent de changer de direction. Si nous voulons des résultats différents, osons des approches nouvelles. Si les « Utopies pour le temps présent » encouragent cette réflexion chez certains, nous aurons gagné notre pari.

Est-ce le rôle d’une université de ranimer ce besoin d’utopies ?

L’Université de Louvain, au début du XVIe siècle, n’était certes pas un bastion « progressiste » si l’anachronisme m’est permis. Et pourtant elle était ouverte aux courants novateurs. Elle accueillit un Erasme. Et l’Utopie de Thomas More put bien paraître chez le typographe de l’Alma Lovaniensium Academia, le lointain ancêtre de nos Presses universitaires.

Ce fragile équilibre fut rompu par la Réforme et l’attitude rigide que l’université adopta peu après dans « l’affaire Erasme » et qui se manifesta aussi dans la publication de l’Index des livres interdits dès 1546. Louvain devint synonyme de conservatisme. Et cela ne changea guère après la refondation de l’université en 1833/34.

Pourtant, cela n’a jamais empêché certains de ses membres de « penser autrement ». Ne citons que Vésale, Mercator ou encore George Lemaître et Jacques Leclercq, plus près de nous. Aujourd’hui, la liberté académique est garantie et les libertés possibles parfois surprenantes. Le rôle de l’université ne peut être de mener la révolte. Mais ancrée dans ces traditions d’ouverture, l’université peut, oui, doit nous aider à mettre en question le monde et son fonctionnement et encourager la réflexion sur des futurs meilleurs.

En quoi ce thème concerne-t-il les étudiants?

Le temps des études est une période de grâce. Le monde de la connaissance s’ouvre aux esprits pas encore trop formatés. Qui n’a jamais « refait le monde », une nuit, avec ses amis ? Mais si refaire le monde ne veut pas rester une rêverie stérile, il faut l’appuyer sur des fondements solides et structurés, une approche critique, des modèles aussi. Où les acquérir si pas à l’université ? Le rôle des enseignants est ici primordial. Pas tellement comme transmetteurs de savoirs, mais comme transmetteurs d’une méthode, d’un état d’esprit. Après, dans la vie personnelle et professionnelle, les contraintes sont énormes. Les étudiants sont appelés à prendre leur place dans la société et à assumer des responsabilités, chacun à son niveau. Sans garder un peu de cet esprit, ne finiront-ils pas par ne plus « fonctionner» que selon ces contraintes ?

Quelle est votre utopie pour le temps présent ?

Un monde décéléré. Tout s’accorde pour constater que nous ne cessons de courir dans tous les sens, à en perdre tout sens, dans une vie ou tout est minuté et programmé. Tel le balai de l’apprenti sorcier, les évolutions économiques et techniques se précipitent au point de devenir ingérables, incontrôlables. Alors mon utopie serait un monde, non pas figé, certes, mais qui ralentit, qui permet d’approfondir les choses, qui laisse le temps au temps pour réfléchir et d’agir dans la durée. Festina lente (hâtes-toi lentement).

► Projet:

Initiateur du projet de l'Année Louvain des utopies pour le temps présent avec Philippe Van Parijs