C. Const., 20 novembre 2019, n° 186/2019

Louvain-La-Neuve

Même la Cour constitutionnelle belge oublie la jurisprudence strasbourgeoise, spécialement l’arrêt Paposhvili contre Belgique de la Cour européenne des droits de l’homme.

C. Const. – 9ter – absence de recours de plein contentieux et d’examen ex-nunc – recours effectif – art. 13 CEDH – distinction entre décision d’éloignement et exécution d’une décision d’éloignement – examen global de la procédure de séjour médical en droit belge.

La Cour constitutionnelle constate l’ineffectivité au sens de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme du recours en annulation qui peut être introduit à l’encontre d’une décision de rejet d’une demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales. Toutefois, la Cour considère que la personne dont la demande d’autorisation de séjour 9ter a été rejetée et dont la situation médicale a évolué depuis la prise de décision de l’autorité bénéficie d’un recours effectif car elle peut introduire une nouvelle demande 9ter ainsi qu’un recours en suspension d’extrême urgence contre la mesure d’éloignement. Cet arrêt lit de manière incorrecte l’arrêt Paposhvili rendu par la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme en 2016. Il se réfère à la possibilité d’introduire une nouvelle demande de séjour 9ter, sans prendre en considération l’ensemble de la procédure d’évaluation d’une demande de séjour médical 9ter.

Céline Verbrouck et Camille van Hamme

A. Arrêt

Le dossier ayant conduit au prononcé de cet arrêt concerne une étrangère gravement malade ayant produit des nouvelles attestations médicales concernant l’évolution de son état de santé au stade du recours devant le Conseil du contentieux des étrangers (ci-après : « CCE »). Ce dernier n’a pas voulu en tenir compte, invoquant que sa compétence est limitée à un contrôle de pure légalité au moment de la décision de l’Office des étrangers (ci-après : « OE »).

Saisi d’un recours en cassation administrative, le Conseil d’état, par l’arrêt n° 241 737 du 7 juin 2018 a posé la question préjudicielle suivante à la Cour constitutionnelle :

« L’article 39/2, § 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 2, 3 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ce qu’il ne permet pas au Conseil du contentieux des étrangers, saisi d’un recours en annulation contre une décision de refus d’autorisation de séjour prise sur la base de l’article 9ter de la même loi dans le cadre duquel la requérante invoque la violation des [articles] 2 et 3 de la Convention précitée, de procéder à un examen ex nunc de la situation de la requérante alors que le Conseil du contentieux des étrangers peut effectuer un tel examen lorsqu’il est saisi de recours formés en vertu de l’article 39/2, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980 par des demandeurs de protection internationale faisant également valoir des risques pour leur vie ainsi que des risques de traitements inhumains et dégradants ? ».

La Cour constitutionnelle répond par la négative. Les paragraphes essentiels de l’arrêt sont ici repris.

La Cour se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qu’elle synthétise comme suit.

« […] La Cour européenne des droits de l’homme a estimé à plusieurs reprises que, "compte tenu de l’importance qu’[elle] attache à l’article 3 de la Convention et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements […], l’article 13 exige que l’intéressé ait accès à un recours de plein droit suspensif" (CEDH, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, § 293; 2 février 2012, I.M. c. France, § 128). » (B.3.1)

« […] Pour apprécier une éventuelle violation de l’article 3 de la Convention en cas d’expulsion d’un étranger gravement malade vers son pays d’origine, la Cour européenne des droits de l’homme juge qu’il y a lieu de tenir compte de l’état de santé de l’étranger à l’heure actuelle, à la lumière notamment des informations les plus récentes (CEDH, 2 mai 1997, D. c. Royaume-Uni, § 50; 13 décembre 2016, Paposhvili c. Belgique, § 188). […] » (B.3.2)

La Cour se penche ensuite sur la procédure belge de recours contre les décisions prises dans le cadre de demandes de séjour fondées sur l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (ci-après : « loi sur les étrangers ») (« séjour pour motifs médicaux »).

« […] Lorsqu’il est saisi d’un recours dirigé contre la décision de rejet d’une demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales, sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, le Conseil du contentieux des étrangers agit en qualité de juge d’annulation, conformément à l’article 39/2, § 2, en cause, de la même loi. […] il n’est dès lors pas autorisé à prendre en considération les éventuels nouveaux éléments de preuve présentés devant lui par le requérant, ni à examiner la situation actuelle de ce dernier, c’est-à-dire au moment où il statue sur une éventuelle violation des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme […] » (B.4)

Il s’ensuit que ce recours en annulation n’est pas un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (B.5).

La Cour nuance aussitôt cette affirmation en soulignant qu’il y a lieu de prendre en compte l’ensemble des recours dont disposent les requérants, notamment, les recours qui permettent de s’opposer à l’exécution d’une mesure d’éloignement (B.6.). D’une part, la Cour tient compte du fait que si sa situation médicale évolue, le requérant peut introduire une nouvelle demande 9ter (B.7.). D’autre part, elle remarque que si une mesure d’éloignement risque d’être exécutée de manière imminente, avant que la nouvelle demande soit déclarée recevable un recours en suspension d’extrême urgence peut être formé et, dans ce cas, le juge appelé à statuer a l’obligation de tenir compte, « au moment où il statue », de la situation de santé actuelle du requérant et des nouveaux éléments de preuve. Cette voie de recours disponible a par ailleurs un effet suspensif de plein droit (B.8.). L’ensemble des moyens juridictionnels à disposition du requérant lui permettent dès lors de bénéficier d’un recours effectif.

Appelée à statuer quant au caractère discriminatoire de la différence de traitement entre ces étrangers et les demandeurs de protection internationale, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de les comparer même si « l’un et l’autre font valoir des risques pour leur vie, ainsi que des risques de traitements inhumains et dégradants » (B.12).

B. Éclairage

En vertu de l’article 39/2 de la loi sur les étrangers, les décisions de l’OE prises sur base de l’article 9ter de la loi sur les étrangers peuvent faire l’objet d’un recours en annulation devant le CCE, présentant les deux caractéristiques essentielles d’être un recours qui n’est pas de « pleine juridiction » et suspensif de plein droit.

Ces caractéristiques distinguent le recours prévu en matière de séjour médical en droit belge de celui prévu en matière de protection internationale[1].

Cette question préjudicielle semble être une opportunité manquée pour la Cour constitutionnelle de comparer la situation de l’étranger qui introduit un recours en annulation contre une décision de refus 9 ter avec la situation du demandeur de protection internationale qui a introduit un recours de pleine juridiction contre une décision de refus d’autorisation de séjour. Ceci alors que cette différence de traitement quant au contrôle du CCE (examen ex nunc/ex tunc) ne parait pas avoir été clairement et adéquatement justifiée dans les travaux préparatoires de la loi du 15 septembre 2006, qui instaurait une procédure 9ter distincte de la procédure de protection internationale (pp. 10 et ss.).

L’arrêt qui nous occupe a par contre permis à la Cour constitutionnelle d’affirmer expressément l’ineffectivité du recours en annulation organisé en droit belge contre un refus de séjour médical. Il est dommage que la Cour nuance immédiatement ce constat en considérant que l’étranger dont la demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales a été rejetée et dont la situation médicale a évolué depuis la prise de décision de l’autorité bénéficie d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme car il peut introduire :

  • une nouvelle demande d’autorisation de séjour 9ter, en invoquant les éléments médicaux nouveaux et
  • un recours en suspension d’extrême urgence contre la mesure d’éloignement.

Cet arrêt est donc l’occasion de rappeler un enseignement essentiel – souvent oublié – de l’arrêt de grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « Cour eur. DH »), Paposhvili c. Belgique du 13 décembre 2016, et de souligner l’importance d’un examen holistique de la procédure d’évaluation d’une demande de séjour médical 9ter.

1. Enseignement de l’arrêt Paposhvili

Si l’arrêt Paposhvili a permis à la Cour eur. DH de faire évoluer le seuil de gravité devant être atteint pour qu’il y ait violation de l’article 3 de la Convention suite à l’arrêt N. c. Royaume-Uni, il a également été l’occasion pour la Cour, de manière plus large, de clarifier les obligations procédurales qui incombent aux autorités nationales lorsqu’elles examinent les arguments des étrangers fondés sur les articles 3 et 8 de la Convention.

Sous ce volet procédural, il nous parait découler de l’arrêt Paposhvili, l’obligation pour les États d’examiner de manière complète et actuelle le risque de violation de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants (article 3 de la CEDH) et le respect de la vie privée et familiale (article 8 de la CEDH) avant la phase d’exécution forcée de toute décision d’éloignement.

En d’autres termes, l’examen des droits fondamentaux d’un étranger gravement malade ne peut pas être reporté au seul stade de l’exécution forcée.

Dans l’affaire Paposhvili, saisi d’un recours en annulation contre la décision de refus 9 ter, le CCE avait écarté les griefs tirés des articles 3 et 8 de la Convention eu égard notamment au fait que l’acte attaqué n’était assorti d’aucune mesure d’éloignement du territoire. Le CCE n’avait pas tenu compte du fait que le requérant avait fait l’objet de plusieurs ordres de quitter le territoire et de mesures d’éloignement antérieurement à la décision de l’exclure du bénéfice de l’article 9 ter, décisions d’éloignement qui pouvaient être réactivées suite au refus 9ter.

Il convient de rappeler qu’une « décision d’éloignement » ne se confond pas avec l’exécution forcée de la décision d’éloignement. La décision d’éloignement est « la décision constatant l'illégalité du séjour d'un étranger et imposant une obligation de retour » – par exemple, un ordre de quitter le territoire (article 1, 6°, de la loi sur les étrangers). L’éloignement est « l'exécution de la décision d'éloignement, à savoir le transfert physique hors du territoire » (article 1, 7°, de la loi sur les étrangers).

Nous déduisons cet enseignement, entre autres, de la combinaison des considérants suivants de l’arrêt Paposhvili.

Les §§ 185-187 soulignent que :

« (...) l’obligation de protéger l’intégrité des intéressés que l’article 3 fait peser sur les autorités s’exécute en premier lieu par la voie de procédures adéquates permettant un tel examen (…). Dans le cadre de celles-ci, il appartient aux requérants de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure litigieuse était mise à exécution, ils seraient exposés à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3 (…) ». (Nous soulignons)

Plus loin, les §§ 200-201 précisent que :

« même si le médecin conseil de l’OE avait rendu plusieurs avis à propos de l’état de santé du requérant basés sur les attestions médicales fournies par ce dernier (…), ceux-ci n’ont été examinés ni par l’OE ni par le CCE au regard de l’article 3 de la Convention dans le cadre de la procédure de régularisation pour raisons médicales. 201. La situation médicale du requérant n’a pas davantage été examinée dans le cadre des procédures d’éloignement menées contre lui (…) ».

Le § 202 est le plus éloquent en ce qu’il indique :

« À elle seule, la circonstance qu’une telle évaluation aurait pu être effectuée in extremis au moment de l’exécution forcée de la mesure d’éloignement (…), ne répond pas à ces préoccupations, en l’absence d’indications quant à l’étendue d’un tel examen et quant à ses effets sur la nature exécutoire de l’ordre de quitter le territoire ».

Par ce § 202, la Cour eur. DH a, selon toute vraisemblance, souhaité répondre à l’argumentation du CCE, confirmé par le Conseil d’Etat, selon laquelle l’évaluation de la situation médicale d’un étranger menacé d’éloignement, dont la demande de régularisation de séjour a été rejetée, doit, le cas échéant, se faire au moment de l’exécution forcée de ladite mesure.

Si la réponse de la Cour strasbourgeoise peut sembler être nuancée par les termes : « en l’absence d’indications quant à l’étendue d’un tel examen et quant à ses effets sur la nature exécutoire de l’ordre de quitter le territoire », l’arrêt, lu dans son ensemble, parait contenir une reconnaissance implicite qu’une telle évaluation ne peut être effectuée au stade de l’exécution forcée eu égard au système belge, qui n’apporte pas de garanties suffisantes. La Cour eur. DH, ayant connaissance de l’étendue d’un tel examen en droit belge, a en effet conclu qu’ « en l’absence d’évaluation par les instances nationales du risque encouru par le requérant à la lumière des données relatives à son état de santé et à l’existence de traitements adéquats en Géorgie, les éléments d’information dont disposaient ces instances ne suffisaient pas à leur permettre de conclure qu’en cas de renvoi vers la Géorgie, le requérant n’aurait pas couru de risque concret et réel de traitements contraires à l’article 3 de la Convention » (§ 205).

L’arrêt commenté, qui pourtant cite en référence l’arrêt Paposhvili, méconnait celui-ci puisqu’il valide la procédure belge qui, souvent, ne prévoit un examen complet du risque de violation des droits fondamentaux en cas de renvoi d’un étranger gravement malade qu’au stade de l’exécution forcée d’une décision d’éloignement, via une procédure de suspension en extrême urgence.

Le seul examen in extremis des droits fondamentaux en jeu via un recours en suspension d’extrême urgence contre l’exécution forcée d’une mesure d’éloignement est d’autant plus risqué que dans certains cas ce recours ne peut être actionné en raison de la complexité et du formalisme du système belge (voir infra).

C’est précisément la situation dans laquelle s’était retrouvée la requérante dans l’arrêt de chambre S.J. c. Belgique, qui, faute d’être détenue, avait vu son premier recours en suspension d’extrême urgence rejeté, ce qui avait eu pour[2] effet de la priver d’obtenir à l’avenir la suspension de son expulsion, lorsqu’elle serait imminente.

La Cour eur. DH avait dénoncé cette situation en ces termes : « le système belge peut mener à des situations dans lesquelles l’étranger n’est en fait protégé par un recours à effet suspensif ni durant la procédure contre l’ordre de quitter le territoire ni face à l’imminence d’un éloignement » (§ 103).

Pour tenir compte de l’enseignement de l’arrêt Paposhvili et de l’ensemble de la jurisprudence strasbourgeoise, la conclusion de la Cour constitutionnelle aurait donc dû être toute autre. L’obligation de réaliser un contrôle attentif, rigoureux et complet des droits fondamentaux s’impose déjà au stade du recours contre une décision de refus de séjour médical devant le CCE. Il ne peut être réalisé uniquement via un recours en suspension en extrême urgence lors de l’exécution forcée d’une mesure d’éloignement ou via l’introduction d’une nouvelle demande de séjour médicale.

2. Nécessité d’examiner l’effectivité de la procédure 9ter dans son ensemble

Si l’intention avancée de la Cour constitutionnelle d’avoir une vision globale est à saluer, l’on regrette que le raisonnement se soit arrêté à mi-chemin, la vision restant in fine cloisonnée.

En effet, le mécanisme double préconisé par la Cour, qui invite à prendre en compte les autres recours et la possibilité d’introduire une nouvelle demande si l’état de santé de l’étranger malade a évolué, ne permet pas de pallier le défaut d’effectivité du recours en annulation contre une décision de refus 9ter en ce qu’elle fait fi des considérations pratiques de l’introduction d’une nouvelle demande et ne prend pas en compte l’ensemble du système belge d’évaluation d’une demande de séjour médical.

Comme le relève à bon droit la Cour constitutionnelle, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13 de la Convention, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul.

Toutefois, dans l’arrêt qui nous occupe, la Cour constitutionnelle ne se réfère pas uniquement aux recours disponibles, mais également à la possibilité d’introduire une nouvelle demande pour considérer que les exigences de l’article 13 de la Convention sont remplies.

Pour confirmer son raisonnement, elle se devait alors d’examiner également les conditions dans lesquelles une demande 9ter peut être introduite ainsi que les conditions d’examen d’une telle demande par l’OE.

Or, la loi belge et la pratique de l’OE empêchent, dans de nombreuses situations, l’introduction d’une nouvelle demande.

Notons, par exemple, l’obligation d’avoir une « résidence effective » comme préalable à l’introduction d’une demande[3], alors que les personnes sans domicile fixe en sont privées, de même que les personnes hospitalisées qui, en pratique, ne sont souvent pas autorisées à signaler leur présence à l’hôpital au titre d’adresse effective.

L’obligation de déposer, au moment de l’introduction de la demande, une preuve d’identité empêche également parfois l’introduction d’une nouvelle demande. Certaines décisions d’irrecevabilité ont ainsi déjà été fondées aussi sur le fait que le document d’identité était périmé, ou que l’identité ne pouvait pas être prouvée moyennant d’autres documents tel un permis de conduire cumulé à un acte de mariage[4].

Relevons également qu’une nouvelle demande 9ter pourra être déclarée irrecevable si des éléments invoqués à l'appui de cette demande ont déjà été invoqués dans le cadre d'une demande précédente d'autorisation de séjour dans le Royaume[5].

La Cour constitutionnelle ne se prononce pas non plus sur le fait que l’introduction d’une nouvelle demande 9ter peut impliquer la perte d’avantages obtenus dans le cadre d’une précédente demande 9ter. Ainsi, le demandeur devra à nouveau attendre un certain délai pour que sa demande soit déclarée recevable et est privé durant ce délai des droits sociaux qui s’attachent à la déclaration de recevabilité d’une demande 9ter. Ceci est d’autant plus problématique que la pratique de l’OE tend actuellement à adopter simultanément une décision de recevabilité et de non-fondement au lieu de procéder par étapes.

Enfin et surtout, dans l’affaire S.J. c. Belgique, la Cour strasbourgeoise avait considéré que si le système belge – qui repose sur une construction de recours (recours en annulation, et en suspension ordinaire et extrême urgence) – peut en théorie être efficace, il est en pratique trop complexe et difficilement opérationnel au regard « des exigences découlant de l’article 13 combiné avec l’article 3 de disponibilité et d’accessibilité des recours en droit comme en pratique » (§ 103). Le mécanisme préconisé par la Cour constitutionnelle exige des contorsions procédurales (encore plus) complexes, qui semblent difficilement conciliables avec l’arrêt Josef.

Si la Cour constitutionnelle avait examiné l’ensemble du système, en ce compris les conditions de recevabilité d’une demande 9ter, ainsi que les conséquences pratiques, fort est à parier qu’elle se serait rendu compte de l’ineffectivité de la solution proposée.

3. Conclusion

Si l’arrêt de la Cour a le mérite de reconnaitre expressément l’ineffectivité du recours en annulation prévu en droit belge contre une décision de refus 9ter, il déçoit par sa vision étroite du système et son défaut de prise en compte de la jurisprudence strasbourgeoise quant aux obligations procédurales incombant aux autorités nationales lors de l’examen d’une demande de séjour médical.

L’article 13 de la Convention impose aux autorités nationales, en tant que premières garantes du respect de la Convention, d’organiser des procédures adéquates permettant de se prononcer sur les moyens tirés de la violation de droits fondamentaux en cas de renvoi d’un étranger gravement malade. L’importance de ce principe en vue du maintenir le caractère subsidiaire du système de la Convention est sans cesse souligné par la Cour de Strasbourg.

En l’état actuel, le système belge, qui n’organise pas un recours de plein contentieux et suspensif de plein droit contre une décision de refus de séjour médical, et qui contraint à multiplier les recours et les demandes, ne garantit pas de manière systématique un examen attentif et complet du risque de violation des articles 3 et 8 de la Convention en cas de renvoi d’un étranger gravement malade dans son pays d’origine. Partant, ce système ne peut être qualifié d’effectif au sens de l’article 13 de la Convention.

La Belgique a déjà été condamnée à plusieurs reprises pour violation du droit à un recours effectif s’agissant d’une décision de séjour médical par les arrêts Yoh-Ekale Mwanje et Josef, mais ne semble pas disposée à modifier son système. L’arrêt de la Cour constitutionnelle le confirme une nouvelle fois.

Cette question de l’(in)effectivité (au sens de l’article 13 de la CEDH combiné avec l’article 3 de la CEDH) de la « procédure 9ter » en Belgique au stade du recours devant le Conseil du contentieux des étrangers est au cœur d’une affaire actuellement pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme, Ngono c. Belgique. Espérons que cet arrêt mène à une condamnation de la Belgique, qui soit cette fois entendue.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : C. Const., 20 novembre 2019, n° 186/2019

Jurisprudence :

- Cour eur. D.H., Grande chambre, 13 décembre 2016, Paposhvili c. Belgique, req. n° 41738/10

Doctrine :

- Leboeuf L., « Expulsion d’étrangers gravement malades. Une clarification du seuil de gravité conventionnel couplée à une responsabilisation des autorités nationales », Newsletter EDEM, février 2017 ;

- SAROLEA S., « Parallèles en droit de l’UE et en droit national », note sous D. NAKACHE, « Le contrôle judiciaire des décisions administratives : de la censure des décisions incorrectes et/ou déraisonnables », Cahier de l’EDEM, janvier 2020 ;

- CARLIER J.-Y. et SAROLEA S., Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, §§ 752 et s.

Pour citer cette note : C. VERBROUCK et C. VAN HAMME, « Même la Cour constitutionnelle belge oublie la jurisprudence strasbourgeoise, spécialement l’arrêt Paposvhili contre Belgique de la Cour européenne des droits de l’homme », Cahiers de l’EDEM, mars 2020.

 

[1] Voir l’article 39/2, § 1er de la loi sur les étrangers. Notez qu’il existe de rares exceptions à l’effet suspensif de plein droit pour des situations toutes particulières.

[2] Cet arrêt a fait l’objet d’un renvoi devant la Grande Chambre de la Cour eur. DH à la demande du Gouvernement et de la requérante le 7 juillet 2014. Par jugement du 19 mars 2015, il a fait l’objet d’une radiation du rôle à la suite d’un règlement amiable.

[3] Article 9 ter, § 3, 1° de la loi sur les étrangers.

[5] Article 9 ter § 3, 5° de la loi sur les étrangers.

Photo de G.Lanting - Eigen werk, CC BY 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=6971717

Publié le 01 avril 2020