C.J.U.E., 14 janvier 2021, TQ, C-441/19, EU:C:2021:9

Louvain-La-Neuve

Pas d’éloignement sans une solution durable réelle et effective pour le MENA.

Directive 2008/115/CE – Art. 5, 6, 8, et 10 – Décision de retour prise à l’encontre d’un mineur non accompagné – Intérêt supérieur de l’enfant – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Art. 24 – Obligation pour l’État membre concerné de s’assurer d’un accueil adapté dans l’État de retour – Pas de distinction de normes applicables en fonction de l’âge du MENA – Décision de retour doit être suivie de mesures d’éloignement.

En cas de renvoi d’un mineur étranger non accompagné (MENA) vers son pays d’origine, l’État doit s’assurer d’un accueil sur place, qui soit adapté et prenne en compte l’intérêt supérieur de l’enfant. En cas de changement de circonstances entre la décision de retour et son exécution, la solution doit être adaptée (évaluation ex nunc). Les règles concernant les mineurs et la prise en compte de leur intérêt supérieur sont les mêmes pour tout MENA de moins de 18 ans. Si une solution adaptée a été trouvée dans le pays d’origine, la décision de retour doit être exécutée. Si elle ne l’est pas, le MENA a droit au séjour dans le pays d’accueil.

Christine Flamand

A. Arrêt

1. Faits

TQ est un mineur étranger non accompagné (ci-après, MENA) d’origine guinéenne. Il est né en 2002. Dès son plus jeune âge, il part vivre avec sa tante en Sierra Leone. Après le décès de celle-ci, TQ entre en contact avec un homme nigérian qui lui propose de l’emmener en Europe. Arrivé à Amsterdam, il est victime de traite des êtres humains et d’exploitation sexuelle. Il introduit une demande d’asile aux Pays-Bas le 30 juin 2017 comme MENA, alors âgé de 16 ans. La législation en vigueur aux Pays-Bas prévoit que, lors de l’examen d’une première demande d’asile, il est examiné d’office si, dans le cas où l’étranger ne peut pas prétendre au statut de réfugié ou à la protection subsidiaire, un permis de séjour à durée limitée doit lui être accordé. Cette loi dispose également que la décision par laquelle une demande d’asile est rejetée vaut décision de retour.

Le bénéfice de la protection internationale lui est refusé le 23 mars 2018. Malgré la décision de rejet, le secrétaire d’État accorde un report provisoire de la reconduite à la frontière pour une période maximale de six mois, dans l’attente d’un examen médical. En avril 2018, TQ forme un recours contre le refus de protection internationale.

En date du 18 juin, le secrétaire d’État déclare que le report de la reconduite à la frontière pour raisons médicales n’est pas accordé et impose à TQ une obligation de quitter le territoire dans un délai de quatre semaines. TQ introduit une réclamation contre cette décision, qui est rejetée par le secrétaire d’État en mai 2019. TQ estime qu’il ne peut être renvoyé dans son pays d’origine, où il ne connaît aucun autre membre de sa famille. Il n’y a pas grandi, n’y connaît personne et ne parle pas la langue de ce pays. Il déclare qu’il considérait la famille d’accueil dans laquelle il réside aux Pays-Bas comme sa famille.

La juridiction de renvoi relève que le service du retour et du départ a procédé régulièrement à des entretiens avec TQ pour le préparer à retourner dans son pays d’origine, ce qui aurait entraîné un accroissement des troubles psychiatriques dont souffre l’intéressé.

TQ étant âgé de 16 ans, il ne peut bénéficier d’une circulaire datant de 2000, qui prévoit pour les MENA âgés de moins de 15 ans une obligation de procéder à une investigation relative à l’existence d’un accueil adéquat dans l’État de retour avant l’adoption d’une décision sur cette demande. En l’absence d’un tel accueil adéquat, le MENA de moins de 15 ans se verrait accorder un titre de séjour ordinaire. Cette règle n’existe pas pour les MENA de plus de 15 ans. Il n’y aura pas d’enquête en vue de s’assurer qu’il sera remis à un membre de la famille ou une structure d’accueil. Dans ce cas, le séjour de ce MENA sera toléré jusqu’à l’âge de 18 ans.

Le juge saisi (Rechtbank Den Haag, zittingsplaats 's-Hertogenbosch, ci-après, le juge de renvoi), pose plusieurs questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après, CJUE), sur l’obligation pour l’État de procéder à des investigations s’agissant du retour d’un MENA vers son pays d’origine et ce, avant la prise d’une décision de retour (première question préjudicielle), sur la distinction opérée par la législation néerlandaise, par circulaire, entre les MENA âges de plus de 15 ans ou de moins de 15 ans lors de l’introduction de la demande d’asile (deuxième question préjudicielle) ainsi que sur l’obligation ou non pour l’État néerlandais de procéder effectivement à l’éloignement d’un MENA au sens de l’article 10 de la Directive retour, vu que les autorités néerlandaises ne renvoient pas les MENA de plus de 15 ans sur la base d’une pratique administrative et tolèrent leur séjour sur le territoire hollandais (troisième question préjudicielle).

2. Raisonnement de la Cour

Sur la première question préjudicielle, la Cour est formelle : la directive retour, lue en combinaison avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (ci-après, Charte) (en particulier les art. 24 par. 2 et 51), interdit l’éloignement d’un mineur si un accueil adapté dans le pays de renvoi n’est pas prévu. Ces dispositions obligent l’État, qui entend prendre une décision de retour à l’encontre d’un MENA, à prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant à tous les stades de la procédure. Ceci implique que l’État doit prendre une décision en appréciant la situation individuelle de l’enfant. Selon les conclusions de l’avocat général, cela inclut l’âge du mineur, sa vulnérabilité particulière, à la fois en tant que mineur non accompagné et en tant que victime de la traite des êtres humains, son placement dans une famille d’accueil aux Pays-Bas au moment où la décision de retour est prise, son environnement social et son état de santé mentale, l’éventuelle présence de membres de sa famille dans le pays de retour et, plus généralement, la disponibilité de structures d’accueil adéquates dans le pays de retour (pt. 69). Sans cette appréciation individuelle, il ne peut être question d’un retour vers le pays d’origine. Il s’agit de la préoccupation primordiale dont l’État doit s’inquiéter. Afin de déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant, la Cour juge que le mineur doit pouvoir être entendu pour donner son avis quant à la solution proposée (pt. 59). Cette détermination doit avoir lieu avant que la décision de retour ne soit prise pour que l’enfant puisse être fixé sur son sort. Sans cela, il se trouvera dans « une situation de grande incertitude quant à son statut juridique et à son avenir, notamment quant à sa scolarisation, à son lien avec une famille d’accueil ou à la possibilité de demeurer dans l’État membre concerné » (pt. 53). Il résulte de ces différents éléments qu’avant de prendre une décision de retour, l’État membre concerné a l’obligation de mener une investigation afin de vérifier, concrètement, qu’un accueil adéquat est disponible, dans l’État de retour, pour le MENA concerné. Si un tel accueil n’est pas disponible, le MENA ne peut pas faire l’objet d’une décision de retour (pt. 53).

Sur la seconde question préjudicielle, la Cour estime que rien, dans la directive ni la Charte, ne permet d’opérer une distinction entre les MENA de moins de 15 ans et ceux de plus de 15 ans et rappelle que la Directive accueil définit le mineur comme tout  ressortissant  de  pays  tiers  ou  apatride  âgé  de  moins  de  18  an (art. 2, d). Or, l’État néerlandais prévoit qu’une enquête est réalisée sur l’existence d’un accueil adéquat dans l’État de retour pour les mineurs de moins de 15 ans. Si cet accueil fait défaut, ces mineurs se voient accorder un titre de séjour ordinaire. Cela n’est pas le cas pour les mineurs de plus de 15 ans. L’avocat général estime que cette approche a pour effet d’affaiblir la protection que les États membres doivent accorder aux MENA en vertu du droit international et du droit de l’Union et en déduit une discrimination fondée sur l’âge interdite par le droit de l’Union (pt. 83). La Cour conclut que l’État membre ne peut pas opérer une distinction entre les mineurs non accompagnés selon le seul critère de leur âge en vue de vérifier l’existence d’un tel accueil. Elle estime que les mêmes principes doivent s’appliquer s’agissant de la l’évaluation de l’intérêt de l’enfant et de la rechercher d’un accueil adapté pour tous les mineurs non accompagnés âgés de moins de 18 ans. Une enquête doit donc être réalisée, avant qu’une décision de retour soit prise et ce, pour tous les MENA. L’âge à prendre en considération est celui qu’avait la personne à la date de l’introduction de sa demande d’asile dans le pays d’accueil (pt. 68).

Sur la troisième question préjudicielle, concernant l’obligation ou non pour l’État néerlandais de procéder effectivement à l’éloignement d’un MENA, la Cour juge que, si un accueil a été trouvé et que le retour est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant, cette décision doit être exécutée. Elle précise toutefois que l’État membre concerné doit prendre en compte toute évolution de la situation qui surviendrait postérieurement à l’adoption d’une telle décision de retour. Par ailleurs, si, au stade de l’éloignement du MENA, il s’avère qu’un accueil adéquat dans l’État de retour n’est plus assuré pour le mineur, alors l’État membre concerné ne pourra pas exécuter la décision de retour. Dans ce cas, le MENA doit pouvoir bénéficier d’un droit de séjour (pts 77-78).

B. Éclairage

Le MENA fait l’objet d’une protection particulière ancrée dans la Charte des droits fondamentaux (art. 24). Il est sujet de droits, comme migrant, distincts de ceux des majeurs visés par ces mêmes directives. Parmi les mineurs, la Cour juge qu’il ne peut être fait de distinction entre les jeunes mineurs et ceux qui sont plus âgés. La protection de leurs droits découle de cette seule minorité.

La Cour érige la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant comme un principe de fond absolu lorsqu’il est question des MENA, définis comme vulnérables, davantage encore en cas d’éloignement. Cet arrêt permet de revenir sur la pratique des autorités belges en matière d’éloignement des MENA, dans le cadre de la recherche d’une solution durable (1). Cet arrêt permet également d’aborder la question de l’appréciation des circonstances évolutives dans le cadre de l’éloignement et sur la compétence d’annulation du Conseil du contentieux des étrangers (ci-après, CCE) (2).

1. Détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant en vue d’une solution durable

La Cour rappelle, en application de l’article 5 de la directive retour, que les États membres, lorsqu’ils mettent en œuvre cette directive, doivent, d’une part, dûment tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, de la vie familiale et de l’état de santé du ressortissant concerné d’un pays tiers et, d’autre part, respecter le principe de non-refoulement. Seule une appréciation générale et approfondie de la situation individuelle du mineur non accompagné en cause permet d’identifier son intérêt supérieur. Si la Cour ne se réfère pas explicitement, dans l’arrêt commenté, à la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, la prise en compte de l’intérêt supérieur au sens de l’article 3 de est une règle de fond, une règle interprétative et une règle de procédure, qui s’impose aux autorités en charge de prendre une décision à l’égard du mineur[1]. Il résulte en outre de la jurisprudence du Comité des droits de l’enfant et de l’arrêt commenté que, lorsque l’État membre concerné envisage d’adopter une décision de retour à l’encontre d’un MENA, il doit recueillir la parole de celui-ci concernant les conditions dans lesquelles il pourrait être accueilli dans l’État de retour. Cette exigence doit s’appliquer à tout mineur, tel que défini dans la directive accueil, donc tout enfant de moins de 18 ans. Le droit d’être entendu participe à la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant, comme le rappelle régulièrement le Comité des droits de l’enfant.

En cas de retour, la Cour estime que l’accueil sur place doit présenter des garanties de prise en charge effective au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est l’adéquation et l’effectivité de cet accueil qui importe, notion que la Cour met au cœur de son raisonnement et ce, de manière insistante. En ce sens, la Cour de justice prend en considération l’observation n° 6 du Comité des droits de l’enfant : les enfants ont droit à une détermination de leur intérêt supérieur en vue de l’identification et de la mise en œuvre d’une solution durable. Si la détermination de l'intérêt supérieur amène à la conclusion que la solution durable pour l'enfant peut être mieux mise en œuvre dans le pays d'origine, l'enfant y sera rapatrié. Dans ce cas, le retour requiert une préparation et une assistance à titre de suivi appropriées. Le Comité des droits de l'enfant a souligné que le rapatriement d’un enfant non accompagné doit être sûr, adapté à son âge et sensible à la dimension de genre (par. 84 à 87).

En droit belge, cela évoque la recherche d’une solution durable qui doit être déterminée en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant, préalablement à une décision de retour. Cette recherche de solution durable est stipulée aux articles 61/14 et suivants de la loi du 15 décembre 1980. Si le MENA n’introduit pas de demande d’asile ou qu’il est débouté de celle-ci, il peut introduire une demande de séjour comme MENA qui sera examinée par une cellule spécifique de l’Office des étrangers (ci-après, OE) (cellule MINTEH). Ces dispositions prévoient la désignation d’un tuteur et la recherche d’une solution durable qui est prioritairement envisagée dans le pays où ses parents résident légalement afin de favoriser le regroupement familial de l’enfant avec ceux-ci. S’il n’y a pas de possibilité de regroupement familial, un retour est envisagé vers le pays d'origine ou vers le pays où le MENA est autorisé ou admis à séjourner, avec des garanties d'accueil et de soins adéquats, en fonction de son âge et de son degré d'autonomie, soit de la part de ses parents ou d'autres adultes qui s'occuperont de lui, soit de la part d'organismes publics ou d'organisations non gouvernementales. S’il n’y a pas de solution durable trouvée dans le pays de retour, celle-ci est examinée dans le pays d’accueil.

Cet article n’évoque par contre pas expressément l’intérêt supérieur de l’enfant. La Cour Constitutionnelle, dans son arrêt 106/2013, insiste sur l’importance de la recherche d’une solution durable correspondant à l’intérêt supérieur de l’enfant. Selon cette Cour, « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en compte par l’autorité dans la recherche d’une solution durable, quelle qu’elle soit » (considérant B.6.4). Elle ajoute que « l’article 61/14, 2°, de la loi du 15 décembre 1980, combiné avec les articles 61/17 et 74/16 de la même loi, ne permet, comme solution durable, le retour du mineur vers son pays d’origine ou vers le pays où il est autorisé ou admis à séjourner ou le regroupement familial que pour autant que ce retour ou ce regroupement soit compatible avec l’intérêt supérieur de l’enfant » (considérant B.6.6). L’article 74/16, § 2, de la loi du 15 décembre 1980 dispose qu’« avant de prendre une décision d'éloignement à l'égard d'un mineur étranger non accompagné en séjour irrégulier sur le territoire, le ministre ou son délégué prend en considération toute proposition de solution durable émanant de son tuteur et tient compte de l'intérêt supérieur de l'enfant ». De plus, la loi stipule « [...] que ce mineur, qui est éloigné du territoire, puisse bénéficier dans son pays d’origine ou dans le pays où il est autorisé ou admis  à séjourner de garanties d'accueil et de prise en charge en fonction des besoins déterminés par son âge et son degré d'autonomie, soit par ses parents ou par un autre membre de sa famille ou par son tuteur qui   s'occupe   de   lui,   soit   par   des   instances   gouvernementales   ou   non   gouvernementales ». Ces circonstances doivent être examinées au cas par cas, en fonction des circonstances individuelles. Le CCE a, dans un arrêt du 21 septembre 2018, souligné que l’OE ne peut se contenter de constater que  les  parents  biologiques du MENA, qui le maltraitaient, étaient toujours détenteurs de l’autorité parentale et qu’aucune autorité compétente n’avait décidé qu’il était nécessaire de séparer l’enfant de sa famille, pour considérer que la solution durable pour celui-ci consiste à la renvoyer auprès de sa famille en Albanie. La Cour de justice insiste également sur cet aspect d’examen individuel de la situation du MENA.

En Belgique, cette recherche de solution durable n’est que rarement concertée avec l’enfant. L’enfant est parfois entendu mais pas systématiquement. De plus, cet avis de l’enfant, quand il est entendu, n’est pas déterminant dans la recherche de la solution durable (rappelons que l’autorité n’est pas obligée de suivre l’avis de l’enfant). Par ailleurs, la solution proposée par les autorités est rarement adéquate alors qu’elle devrait être guidée par l’intérêt supérieur de l’enfant. Voici un exemple concret issu de la jurisprudence du CCE dans un arrêt en annulation du 23 janvier 2020, qui illustre la pratique à ce sujet en Belgique.

Une jeune MENA d’origine congolaise est arrivée comme MENA en Belgique, accompagnée de deux sœurs. Elles introduisent via leurs tuteurs une demande de séjour à l’OE sur la base de l’article 64/14 après que leur demande d’asile ait été rejetée[2]. Elles n’ont plus de nouvelles de leurs parents en République Démocratique du Congo. Leur oncle paternel, chez qui elle sont placées, réside en Belgique. Elles sont entendues par le service des tutelles. Dans l’attente d’une solution durable les concernant, elles se voient délivrer une attestation d’immatriculation valable 6 mois. La cellule MINTEH de l’OE qui examine la demande prend contact avec le directeur de la Cité des  Jeunes  de  Don  Bosco  à Lukunga-Kinshasa, s’occupant d’enfants abandonnés, pour la prise en charge de la  requérante et de ses sœurs. Par un courriel le directeur de la Cité des Jeunes a transmis le « projet de prise en charge totale des enfants de la maison papy » à l’OE. L’Office prend alors un ordre de reconduire (annexe 38), à l’encontre de la requérante et de ses sœurs, en estimant que la solution durable les concernant se trouve en République Démocratique du Congo, dans cet orphelinat. Cette décision est notifiée à leur tuteur.

L’avocate, n’étant pas de cet avis, introduit un recours contre l’ordre de reconduire. Le CCE annule cette décision, pour défaut de motivation. Il estime qu’il ne ressort pas du dossier administratif  que  l’OE se soit assurée que la requérante, mineure d’âge (14 ans), puisse bénéficier de garanties d’accueil et d’une prise en charge en fonction de ses besoins dans son pays d’origine par « La Cité des Jeunes Don Bosco ». C’est exactement ce que la Cour de justice veut éviter. Elle indique qu’il faut des assurances d’un accueil adéquat sur place en cas de retour, après évaluation approfondie de la situation individuelle. Il est difficile de croire que la solution conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant en l’espèce est de séparer cette mineure de son oncle paternel et de la renvoyer vers un orphelinat où sa prise en charge, au vu des conditions précaires de l’institution, ne semble nullement assurée.

Cet exemple démontre que la solution durable élaborée par l’OE ne correspond pas toujours aux aspirations des mineurs en question alors que la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être la préoccupation majeure de l’instance en charge de la recherche de solution durable. Une piste pour assurer l’aspect objectif de cette recherche de solution en phase avec l’intérêt supérieur de l’enfant est la mise en place d’un comité neutre et indépendant, distinct des autorités en charge de réguler la migration. Il s’agirait d’une façon de garantir que l’enfant migrant soit d’abord traité comme un enfant et d’envisager cette thématique comme distincte des questions de contrôle de l’immigration.

2. Une appréciation ex nunc

En Belgique, le recours contre les décisions de l’OE quant à la détermination de la solution durable se limite à un contrôle marginal de la légalité de la décision, qui exclut l’examen de l’opportunité de la mesure. Cette compétence d’annulation ne permet pas au juge du CCE de réformer la décision ni d’y substituer son appréciation. Pour statuer, l’administration se base uniquement sur les informations disponibles lors de l’introduction du recours (examen ex tunc). Si le CCE annule la décision, le dossier est renvoyé pour examen à l’OE, ce qui parfois conduit à un jeu de ping-pong entre administration et juridiction, au détriment du MENA qui se trouve dans un état d’’incertitude quant à une décision finale.

Il nous semble que la protection du MENA exige une compétence plus large, permettant de prendre en charge de nouveaux développements postérieurs à la décision de retour et l’exécution de ce retour. L’appréciation, en cas de recours, de l’intérêt supérieur de l’enfant exige une compétence étendue impliquant la une possibilité pour la juridiction d’entendre l’opinion de l’enfant. Il s’agit d’une garantie procédurale et de fond qui participe à l’effectivité de la protection dont il doit bénéficier. Rappelons par ailleurs que la prise en compte de l’intérêt de l’enfant fournit un cadre et des orientations aux personnes chargées de prendre des décisions relatives aux enfants, y compris les administration et juridictions (CDE, observation n°14, 2003, par. 14).

De plus, l’examen par le CCE est un examen ex tunc et ne permet pas de prendre en considération de nouveaux éléments survenant à un stade ultérieur de la procédure. Or, la Cour de justice, dans l’arrêt commenté, exige qu’une appréciation ex nunc soit faite de la situation du MENA à l’encontre duquel une décision d’éloignement a été prise. En cas de changement de circonstances dans le pays de retour, la situation du MENA ainsi que son accueil dans ce pays doit être examinée à nouveau (pt. 78) et dans cet intervalle, le MENA ne peut être éloigné. Or, en Belgique, le CCE ne dispose pas d’une compétence pour évaluer la situation ex nunc mais uniquement ex tunc. La jurisprudence de la Cour étant constante quant à l’application du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant à tous les stades de la procédure, un signal clair est envoyé en ce sens aux États membres pour qu’ils appliquent effectivement cette appréciation.

3. Conclusions

Par cet arrêt, la Cour de justice affine et définit les balises encadrant le retour des MENA : celui-ci doit être concerté avec le mineur, après que son avis ait été recueilli, et aucun retour ne peut être exécuté sans que les autorités ne se soient préalablement assurées de l’existence d’un accueil adéquat et effectif pour le mineur non accompagné. Sans cela, le mineur ne pourra être éloigné. A contrario, si une solution durable est trouvée dans le pays de retour et qu’elle est dans l’intérêt de l’enfant, la Cour juge que le MENA doit y donner suite, puisqu’il se trouve sous le coup d’une décision de retour. Les enseignements de cet arrêt invitent à une réflexion approfondie sur le besoin d’une instance neutre et indépendante dans le cadre de la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant et sur la compétence du CCE comme juridiction administrative. Il en va de la protection des droits de tous les mineurs.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt :

C.J.U.E., 14 janvier2021, TQ, C-441/19, EU:C:2021:9

Jurisprudence :

- Comité des droits de l’enfant, 28 septembre 2020, V.A., au nom de E.A. et U.A. c. Suisse, com. n° 56/2018 ;

- C.J.U.E., 16 juillet 2020, B. M. M. ea, C133/19, C136/19 et C137/19, EU:C:2020:577.

Doctrine :  

- G. Mathieu et  S. Sarolea, « Entendre les enfants migrants et admettre qu’ils sont des sujets du droit de l’immigration, aussi », Cahiers de l’EDEM, janvier 2021 ;

- Ch. Flamand, « Regroupement familial : Effectivité des recours et garanties procédurales au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant», Cahiers de l’EDEM, août 2020.

Autres :

- UNCRC, Report of the 2012 Day of General Discussion: The Rights of all Children in the Context of International Migration (2013) ;

- Rapport : Belgique 2015 : solutions durables pour les mineurs étrangers non accompagnés en Europe.

Pour citer cette note : Ch. Flamand, « Pas d’éloignement sans une solution durable réelle et effective pour le MENA », Cahiers de l’EDEM, février 2021.

 


[1] S. Sarolea, « L’intérêt supérieur de l’enfant dans les affaires de droit international privé devant la Cour européenne des droits de l’homme », in Barnich L., Nuyts A., Pfeiff S. et Wautelet P., Le droit des relations familiales internationales à la croisée des chemins, Bruxelles, Bruylant, 2016.

[2] Pour plus d’information sujet des MENA, consultez le site de plateforme mineurs en exil.

Photo : https://www.designingbuildings.co.uk/wiki/Buildings_of_the_EU

Publié le 01 mars 2021