C. const., 19 janvier 2023, arrêt n° 12/2023

Louvain-La-Neuve

Reconnaissance frauduleuse, droit de l'Union, et intérêt supérieur de l'enfant : comment concilier ?

Cour constitutionnelle – Question préjudicielle – Code de la nationalité belge – Article 8, §4 – Reconnaissance frauduleuse – Perte de plein droit de la nationalité – Proportionnalité – Intérêt supérieur de l’enfant – Appréciation in concreto – Voie de recours et garanties procédurales.

La Cour constitutionnelle aborde la question de la perte de la nationalité belge par un mineur lorsque la filiation sur la base de laquelle cette nationalité a été attribuée cesse d’être établie avant l’âge de dix-huit ans ou son émancipation antérieure à cet âge. Elle conclut à la violation de l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge en ce qu’il ne prévoit pas de possibilité pour un mineur de demander l’annulation rétroactive de la perte de plein droit de sa nationalité belge à une juridiction lorsque les conséquences concrètes de cette perte sont disproportionnées.

Isabelle Fontignie et Julien Hardy

A. Arrêt

L’affaire concerne une enfant mineure, née le 19 mars 2008 à Anvers. De mère macédonienne, elle a été reconnue par un homme belge quelques jours après sa naissance. Sur la base de l’article 8, § 1er, du Code de la nationalité belge[1] (« C.N.B. »), elle a obtenu la nationalité belge.

Le 14 juin 2019, la mère, le père légal et le père biologique de l’enfant ont été condamnés pour faux en écriture par le tribunal correctionnel d’Anvers[2]. Le tribunal a constaté que le père légal n’était en réalité pas le père biologique de l’enfant, et que la reconnaissance de paternité devait être considérée comme non avenue. Sur la base de l’article 463 du Code d’instruction criminelle[3], il a également été jugé que seraient radiées de l’acte de naissance de l’enfant les mentions portant sur la reconnaissance de paternité et sur l’identité de son « père légal ».

Le 27 février 2020, l’officier de l’état civil (« O.E.C. ») compétent a procédé à la radiation de ces mentions dans les actes civils de l’enfant. Sur la base de l’article 8, § 4, du C.N.B.[4], cette dernière a aussi perdu la nationalité belge.

Le 24 octobre 2020, les parents biologiques de l’enfant ont cité à comparaitre l’O.E.C. devant le tribunal de la famille d’Anvers. Le 11 juin 2021, le tribunal a rendu une décision par laquelle il a annulé la décision de l’O.E.C. de supprimer la nationalité belge des actes de l’état civil de l’enfant en cause, soulignant que la perte de cette nationalité produirait à son égard des effets disproportionnés.

Le 28 juin 2021, le ministère public a fait appel du jugement précité du 11 juin 2021 devant la Cour d’appel d’Anvers. Celle-ci, dans un arrêt du 28 juin 2022, a posé une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle (ci-après, « la Cour »), qui l’a reformulée comme suit :

« L’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant et avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’il existe une inégalité de traitement à l’égard de la personne dont la filiation cesse d’être établie avant l’âge de dix-huit ans ou l’émancipation antérieure à cet âge et qui perd de plein droit sa nationalité, alors que, d’une part, une personne (dont la filiation cesse d’être établie) après l’âge de dix-huit ans ou l’émancipation antérieure à cet âge conserve sa nationalité et que, d’autre part, une personne n’est déchue de sa nationalité que pour les motifs mentionnés à l’article 23 du Code de la nationalité belge et à l’issue de la procédure ad hoc ? »

Pour y répondre, la Cour a procédé en deux temps, après avoir rappelé les normes et principes en cause (points B.4.1 à B.5.2).

D’une part, elle a analysé la différence de traitement qu’instaure l’article 8, § 4, du C.N.B. entre une personne dont la filiation cesse d’être établie avant la majorité ou l’émancipation antérieure à cet âge et qui perd de plein droit sa nationalité, et une personne dont la filiation cesse d’être établie après la majorité ou l’émancipation antérieure à cet âge et qui conserve sa nationalité.

La Cour a ainsi rappelé qu’en déterminant les critères de nationalité, les États sont souverains mais doivent respecter les limites posées par le droit de l’Union et le principe d’égalité (points B.6.1 et B.6.2). Elle a aussi longuement cité des passages de l’arrêt Tjebbes e.a. de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après, « C.J.U.E. ») (point B.6.3)[5].

La Cour a ensuite admis la légitimité des objectifs poursuivis par le législateur en matière de nationalité, tels celui de faire dépendre l’attribution et la conservation de la nationalité de l’existence d’un lien effectif avec la société belge, et celui de protéger l’unité de nationalité au sein d’une même famille (point B.7.1). La Cour a estimé que la différence de traitement précitée est raisonnablement justifiée, au motif qu’un mineur non émancipé se trouve encore sous autorité parentale et donc en principe toujours dépendant juridiquement et matériellement de ses parents (point B.7.2)[6].

Bien que l’article 8, § 4, du C.N.B. ne produise d’effets que pour l’avenir et bien que l’article 17 du même code[7] permette à certaines conditions (entre autres avoir joui de la nationalité belge durant dix ans) d’encore acquérir la nationalité belge si elle est contestée dans une telle situation (point B.7.3), la Cour constitutionnelle a cependant jugé qu’il n’est pas proportionné aux objectifs du législateur « de priver le mineur concerné de la possibilité de contester la perte de plein droit de sa nationalité belge et de demander à une juridiction d’annuler rétroactivement cette perte, si les effets concrets de celle-ci s’avèrent excessifs » (point B.8.1). La Cour s’est ici référée explicitement aux paragraphes 40 à 47 de l’arrêt Tjebbes précité, et a précisé que l’article 17 du C.N.B. ne s’applique pas à tout mineur qui perd sa nationalité sur la base de l’article 8, § 4, du code.

Elle a affirmé que le juge doit dès lors prendre en compte la situation individuelle du mineur, et en particulier l’impact de la perte de sa nationalité (au sens large) sur sa vie privée et familiale et sur son développement personnel, « notamment à la lumière des possibilités de séjour légal dont le mineur dispose en sa qualité d’étranger » (point B.8.1). L’intérêt supérieur de l’enfant doit primer dans les décisions qui le concernent (article 22bis, al. 4, de la Constitution).

Il convient également de vérifier si le mineur risque de devenir apatride.

La possibilité de contester la perte de nationalité doit également exister lorsque la filiation est établie, comme en l’espèce, sur la base d’une reconnaissance de complaisance annulée ultérieurement. Selon la Cour, bien qu’il soit justifié de lutter contre les reconnaissances dites frauduleuses, il est important de distinguer le comportement des « parents » dans ce cadre (qui doit être sanctionné) des conséquences que l’enfant subirait en perdant sa nationalité belge. « Il est parfaitement possible que cet enfant, en mettant à profit les droits résultant de la nationalité belge, ait participé assez longtemps à la vie sociale en Belgique, par exemple en y habitant, en y allant à l’école et en y développant une vie sociale » (point B.8.2). Ce dernier n’est d’ailleurs pas responsable des actions frauduleuses que ses « parents » ont menées pour obtenir un titre de séjour (en attribuant la nationalité belge à leur enfant).

La Cour a conclu ce point en indiquant que l’article 8, § 4, du C.N.B., qui ne prévoit pas la possibilité pour un mineur non émancipé de demander l’annulation rétroactive de la perte de plein droit de la nationalité belge car la filiation sur la base de laquelle cette nationalité lui a été attribuée cesse d’être établie, lorsque les conséquences concrètes de cette perte sont excessives, viole les articles 10 et 11 de la Constitution (point B.9.1).

Il revient au législateur de prévoir un tel recours, avec des garanties procédurales suffisantes (point B.9.2).

D’autre part, la Cour constitutionnelle n’a pas analysé la différence de traitement entre une personne qui perd la nationalité belge sur la base de l’article 8, § 4, du C.N.B. sans que des garanties procédurales ne soient prévues, et une personne qui est déchue de sa nationalité sur la base de l’article 23 du C.N.B.[8], et ce, avec des garanties procédurales.

La Cour a en effet pu constater que l’examen de la différence de traitement n’était plus pertinent étant donné l’inconstitutionnalité qui précède, et n’a dès lors pas répondu à la question préjudicielle.

B. Éclairage

Il nous parait utile de revenir sur deux éléments centraux dans le raisonnement de la Cour constitutionnelle : les références au droit de l’Union européenne (1), et l’importance accordée à l’intérêt supérieur de l’enfant (2).

1. Les enseignements du droit de l’Union européenne

– Le champ d’application

Comme l’a indiqué la Cour constitutionnelle, bien que la détermination des conditions d’acquisition et de conservation de la nationalité relève de la souveraineté des États, ceux-ci sont tenus par le respect du droit de l’Union dans les situations qui en relèvent.

Dans l’arrêt Rottman, la C.J.U.E. s’est prononcée sur l’applicabilité du droit de l’Union dans une situation de retrait de la nationalité autrichienne pour cause de manœuvres frauduleuses[9]. Elle a jugé que :

« il est manifeste que la situation d’un citoyen de l’Union qui […] est confronté à une décision de retrait de la naturalisation adoptée par les autorités d’un État membre le plaçant, après qu’il a perdu la nationalité d’un autre État membre qu’il possédait à l’origine, dans une situation susceptible d’entrainer la perte du statut conféré par l’article 17 CE et des droits y attachés relève, par sa nature et ses conséquences, du droit de l’Union » (§§ 39-40).

La C.J.U.E. a réitéré ses propos dans l’arrêt Tjebbes (§ 30) et a rappelé que le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres (§31)[10].

La possibilité de perdre la citoyenneté européenne constitue le lien de rattachement au droit de l’Union, et non les modalités de la perte de la nationalité nationale en question. La situation relève par sa nature et ses conséquences du droit de l’Union (Rottman, §§ 42 et 45, et Tjebbes, § 32).

– La poursuite d’un objectif légitime par les autorités nationales

La Cour constitutionnelle estime que les objectifs, tels que faire dépendre l’attribution et la conservation de la nationalité belge de l’existence d’un lien effectif avec la société belge, ainsi que protéger l’unité de nationalité au sein d’une même famille, sont légitimes. Elle renvoie à cet égard à l’arrêt Tjebbes, en son point 35 (point B.7.1).

La C.J.U.E. a en effet déjà validé divers objectifs poursuivis par les États membres comme étant légitimes afin de justifier les restrictions à l’article 20 TFUE. Parmi eux, on retrouve l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité publique[11].

La C.J.U.E. estime également qu’il est légitime pour un État membre de tenir à protéger le rapport particulier de « solidarité et de loyauté » avec ses ressortissants, ainsi que la « réciprocité des droits et devoirs constituant le fondement du lien de nationalité » (Tjebbes, § 35 et Rottman, § 51). Ce lien entre l’État membre et son ressortissant peut être mis en cause par une résidence de longue durée dans un État tiers. Il en va de même du souci de protéger l’unité nationale au sein d’une même famille (Tjebbes, § 35).

– L’examen de proportionnalité

La Cour constitutionnelle a suivi la même approche que la Cour de justice de l’Union européenne.

Dans l’arrêt Rottman, la C.J.U.E. a expliqué l’examen de proportionnalité que doivent réaliser les autorités nationales dans le cadre de la perte de nationalité :

« vu l’importance qu’attache le droit primaire au statut de citoyen de l’Union, il convient, lors de l’examen d’une décision de retrait de la naturalisation, de tenir compte des conséquences éventuelles que cette décision emporte pour l’intéressé et, le cas échéant, pour les membres de sa famille en ce qui concerne la perte des droits dont jouit tout citoyen de l’Union. Il importe à cet égard de vérifier, notamment, si cette perte est justifiée par rapport à la gravité de l’infraction commise par celui-ci, au temps écoulé entre la décision de naturalisation et la décision de retrait ainsi qu’à la possibilité pour l’intéressé de recouvrer sa nationalité d’origine » (§ 56).

Dans l’arrêt Tjebbes, la C.J.U.E. a clarifié cette jurisprudence et a affirmé qu’il est impératif que le contrôle du respect de la proportionnalité implique un examen individuel de chaque situation (situation individuelle de la personne concernée mais aussi de celle de sa famille) (§ 44). À cet égard, les autorités nationales et, le cas échant, les juridictions nationales sont tenues de vérifier qu’une telle perte de la nationalité est conforme aux droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et plus particulièrement au droit au respect à la vie privée et familiale garanti par son article 7. Il doit être lu en combinaison avec son article 24, § 2, protégeant l’intérêt supérieur de l’enfant (Tjebbes, § 45).

La C.J.U.E. a aussi proposé certains critères qui peuvent guider les autorités et juridictions nationales dans leur appréciation in concreto de la proportionnalité. Les autorités nationales doivent par exemple et notamment avoir égard aux limitations aux droits de circuler et séjourner librement que pourrait entrainer la perte de nationalité. À ce titre, les difficultés pour continuer à se rendre dans l’État membre concerné ou dans un autre État membre de l’UE « afin d’y maintenir des liens effectifs et réguliers avec des membres de sa famille, d’y exercer son activité professionnelle ou d’y entreprendre des démarches nécessaires pour y exercer une telle activité » doivent être prises en compte. Le fait que l’intéressé soit dépendant de ces droits afin d’entretenir des liens réguliers et effectifs avec sa famille ou pour l’exercice de son activité professionnelle pourrait justifier le maintien de la nationalité. La possibilité pour l’intéressé de renoncer ou non à la nationalité de l’État tiers doit également être prise en compte ainsi que les conséquences sur sa sécurité puisqu’il ne peut plus se prévaloir de la protection consulaire européenne dans l’État tiers (Tjebbes, § 46). 

Le droit de l’Union ne s’oppose pas à une législation nationale qui prévoit, pour des motifs d’intérêt général, la perte de plein droit de la nationalité d’un État membre entrainant la perte de la citoyenneté européenne et des droits qui y sont attachés (Tjebbes, § 39) pour autant que les autorités nationales s’assurent du respect du principe de proportionnalité en ayant égard aux conséquences de la perte de nationalité sur la personne concernée ainsi que sur les membres de sa famille (Tjebbes, § 44 et Rottman, §§ 55-56).

Par conséquent, la perte de plein droit de la nationalité sans qu’aucun examen individuel des conséquences que comporte cette perte au regard du droit de l’Union n’ait été effectué, est incompatible avec le principe de proportionnalité (Tjebbes, § 41).

Lorsqu’une perte de nationalité intervient de plein droit, il est nécessaire que les autorités et les juridictions nationales soient en mesure d’examiner de façon incidente les conséquences qu’entraine cette perte de nationalité « et, le cas échéant, de faire recouvrer ex tunc la nationalité à la personne concernée, à l’occasion de la demande, par celle-ci, d’un document de voyage ou de tout autre document attestant de sa nationalité » (Tjebbes, § 42).

Il est également impératif d’examiner si la perte de nationalité entrainant la perte de citoyenneté européenne affecte de manière disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi au niveau national le « développement normal de la vie familiale et professionnelle au regard du droit de l’Union » de l’intéressé. De telles conséquences ne sauraient être hypothétiques ou éventuelles (Tjebbes, § 44).

Dans un arrêt récent de la C.J.U.E., la Cour a jugé que la révocation d’une assurance de naturalisation doit respecter le principe de proportionnalité lorsqu’elle empêche de recouvrer la citoyenneté de l’Union. La Cour fait ici référence aux arrêts précités Rottmann et Tjebbes[12].

2. L’intérêt supérieur de l’enfant

La Cour constitutionnelle insiste sur l’importance d’avoir égard à l’intérêt supérieur de l’enfant, et considère qu’il est inconstitutionnel de ne pas permettre au mineur qui perd la nationalité belge d’introduire un recours contre cette décision.

Dans le cadre de ce recours, il conviendra d’apprécier sa situation individuelle, et spécialement les conséquences de cette décision sur sa vie privée et familiale et sur son développement personnel.

L’arrêt met ainsi l’intérêt supérieur de l’enfant au centre de l’attention, en soulignant qu’il n’est nullement responsable de la fraude commise par son ou ses parents. Même si la lutte contre les fraudes est un objectif légitime, elle ne peut suffire à justifier une décision qui aurait des conséquences « excessives » pour l’enfant. Le respect de son intérêt supérieur est « primordial » (point B.8.1).

La question de ce qui serait « excessif », contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant en cause, va donc cristalliser les débats.

La Cour donne quelques indications : « Lors de l’examen du caractère excessif ou non des effets, le juge doit apprécier la situation individuelle du mineur, et plus spécialement l’impact de la perte de la nationalité belge et des droits qui en découlent sur sa vie privée et familiale et sur son développement personnel, notamment à la lumière des possibilités de séjour légal dont le mineur dispose en sa qualité d’étranger » (point B.8.1) ; le risque de devenir apatride alors qu’il est né à l’étranger (point B.8.1) ou encore le fait qu’« il est possible que cet enfant, en mettant à profit les droits résultant de la nationalité belge, ait participé assez longtemps à la vie sociale en Belgique, par exemple en y habitant, en y allant à l’école et en y développant une vie sociale » (point B.8.2).

Concrètement, dans de nombreux cas, l’obtention de la nationalité belge par l’enfant frauduleusement reconnu par un père belge aura permis à sa mère d’obtenir un droit de séjour en tant que mère d’un enfant belge[13]. Il est permis de penser que si les intéressés ont eu recours à cette reconnaissance frauduleuse[14], c’est parce qu’il n’y avait pas d’autre perspective de séjour pour l’enfant et sa mère. En d’autres termes, dans un nombre considérable de cas, la question sera la suivante : n’est-il pas contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant de lui faire perdre la nationalité belge, alors que cette perte de nationalité l’empêchera, lui et sa mère, de continuer à résider en Belgique, et les contraindra à se rendre dans le pays dont cette dernière a la nationalité ?

Le Comité des droits de l’enfant a dressé une liste non exhaustive des éléments à prendre en considération, en fonction des circonstances de l’espèce, afin de déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant de manière concrète. Il s’agit de l’opinion de l’enfant, l’identité de l’enfant, la préservation du milieu familial et le maintien des relations, la prise en charge, la protection et la sécurité de l’enfant, la situation de vulnérabilité, le droit de l’enfant à la santé et le droit de l’enfant à l’éducation[15].

La Cour se réfère également au « développement personnel » de l’enfant.

Il conviendra souvent de reconnaitre qu’il est dans l’intérêt de l’enfant et de son « développement personnel » de pouvoir se maintenir en Belgique, en tant que Belge, car c’est en Belgique qu’il bénéficiera d’une meilleure éducation, de meilleurs soins de santé, d’une meilleure protection contre toutes sortes de sources d’insécurités, et que sa mère également y bénéficiera certainement de meilleurs revenus et d’un meilleur système d’assistance sociale leur permettant de faire face aux difficultés de la vie.

Rappelons que la Belgique est classée 17e au classement des pays « où il fait bon vivre » (World happiness record 2023), a le 9e meilleur système de soins de santé, est 20e en moyenne au classement PISA, 25e au classement du PIB par habitant selon le FMI, 15e au classement selon le revenu moyen par habitant selon la Banque Mondiale, etc. Peu d’États se classent donc mieux que la Belgique (et nombre d’entre eux sont des États européens, de sorte que si les intéressés en sont ressortissants, ils disposent d’autres perspectives de séjour en Belgique, puisque la perte de la nationalité belge n’entrainera pas la perte de la citoyenneté européenne et les droits y attachés).

Toutes les données objectives laissent donc penser que, a priori, l’intérêt de l’enfant sera le plus souvent de conserver la nationalité belge, puisque la Belgique offrira souvent un meilleur cadre de vie pour lui et sa mère.

En outre, il convient de tenir compte du changement de paradigme induit par le fait que c’est l’enfant qui est belge, et non sa mère, de sorte que c’est lui qui est titulaire des droits attachés à cette nationalité, et que c’est lui qui ouvre le droit de séjour pour sa mère (article 40ter de la loi du 15 décembre 1980). La situation de « dépendance juridique » visée par la Cour au point B.7.2 se trouve sur ce point inversée. Dès lors que le maintien de la nationalité belge est de nature à garantir que sa mère pourra rester à ses côtés en Belgique, il n’est donc pas davantage question de mettre en balance son intérêt de grandir en Belgique avec celui de vivre avec sa mère, puisque le maintien de la nationalité belge suffit en principe à garantir qu’ils y vivront ensemble.

Il nous semble donc que, à moins de réduire à peu de choses l’intérêt supérieur de l’enfant, celui-ci s’opposera presque toujours à la perte de sa nationalité belge.

Toutefois, en règle générale, l’intérêt de l’enfant doit recevoir un poids « primordial » dans l’appréciation qui s’impose, mais pas forcément « exclusif », ce qui peut induire une mise en balance avec d’autres éléments[16].

La Cour semble avoir égard aux attaches que l’enfant concerné aurait développées en Belgique, ce qui semble coïncider avec le souhait du législateur que la nationalité ne s’acquière et ne se conserve qu’en raison de liens avec la Belgique. Elle ne met toutefois pas ces éléments aussi clairement en regard.

S’ils sont à mettre en balance, la question se posera de savoir ce qui peut être considéré comme significatif pour ne pas estimer que les attaches sont « insuffisantes », et comment le vérifier : l’apprentissage d’une langue nationale ? La scolarité ? Des amis ? La présence d’autres membres de la famille ? Ou un certain nombre d’années de séjour ? Et le cas échéant, combien ? Autant que dans le cas visé à l’article 17 du Code de la nationalité (dix ans) ?

Ensuite, il conviendra de clarifier la balance à opérer entre ces différents éléments : l’intérêt d’un enfant de 3 ans de ne pas devoir retourner dans son pays d’origine où les conditions socio-économiques sont moins favorables, peut-il suffire pour qu’il conserve la nationalité belge, ou conviendra-t-il encore absolument d’attester d’autres attaches en Belgique ?

Ces quelques réflexions ne constituent évidemment qu’une brève introduction aux débats qui s’annoncent devant les juridictions de fond qui auront à trancher la question de savoir si l’enfant doit conserver la nationalité belge. Elles augurent probablement aussi des divergences d’interprétation et de jurisprudence à travers le Royaume.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : C. const., 19 janvier 2023, arrêt n° 12/2023.

Jurisprudence :

  • C.J.U.E., 18 janvier 2022, JY, aff. C‑118/20, EU:C:2022:34 ;
  • C.J.U.E., 12 mars 2019, Tjebbes e.a., aff. C-221/17, EU:C:2019:189 ;
  • C.J.U.E., 13 septembre 2016, Rendón Marín, aff. C‑165/14, EU:C:2016:675 ;
  • C.J.U.E., 13 septembre 2016, C.S., aff. C‑304/14, EU:C:2016:674 ;
  • C.J.U.E., 2 mars 2010, Rottmann, aff. C‑135/08, EU:C:2010:104 ;
  • C.J.U.E., 20 septembre 2001, Grzelczyk, aff. C-184/99.

Doctrine :

Sites internet :

Pour citer cette note : I. Fontignie et J. Hardy, « Reconnaissance frauduleuse, droit de l’Union, et intérêt supérieur de l’enfant : comment concilier ? », Cahiers de l’EDEM, mai 2023.

 

[1] Le § 1er prévoit que : « Sont Belges : 1° l’enfant né en Belgique d’un auteur belge ; 2° l’enfant né à l’étranger : a) d’un auteur belge né en Belgique ou dans des territoires soumis à la souveraineté belge ou confiés à l’administration de la Belgique ; b) d’un auteur belge ayant fait dans un délai de cinq ans à dater de la naissance une déclaration réclamant, pour son enfant, l’attribution de la nationalité belge ; c) d’un auteur belge, à condition que l’enfant ne possède pas, ou ne conserve pas jusqu’à l’âge de dix-huit ans ou son émancipation avant cet âge, une autre nationalité. La déclaration visée à l’alinéa 1er, 2°, b, est faite, et, sur la base de celle-ci, un acte de nationalité est établi conformément à l’article 22, § 4. La déclaration a effet à compter de l’établissement de l’acte de nationalité. Celui à qui la nationalité belge a été attribuée en vertu du premier alinéa, 2°, c, conserve cette nationalité tant qu’il n’a pas été établi, avant qu’il n’ait atteint l’âge de dix-huit ans ou n’ait été émancipé avant cet âge, qu’il possède une nationalité étrangère. »

[2] Ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel d’Anvers dans le cadre de l’appel formulé par le « père légal » de l’enfant.

[3] Cette disposition prévoit que : « Lorsque des actes authentiques auront été déclarés faux en tout ou en partie, la cour ou le tribunal qui aura connu du faux, ordonnera qu’ils soient rétablis, rayés ou réformés, et du tout il sera dressé procès-verbal. Les pièces de comparaison seront renvoyées dans les dépôts d’où elles auront été tirées, ou seront remises aux personnes qui les auront communiquées, le tout dans le délai de quinzaine à compter du jour de l’arrêt où jugement, à peine d’une amende de 50 fr. contre le greffier. »

[4] Ce paragraphe dispose : « La personne à laquelle a été attribuée la nationalité belge de son auteur conserve cette nationalité si la filiation cesse d’être établie après qu’elle a atteint l’âge de dix-huit ans ou été émancipée avant cet âge. Si la filiation cesse d’être établie avant l’âge de dix-huit ans ou l’émancipation antérieure à cet âge, les actes passés avant que la filiation cesse d’être établie et dont la validité est subordonnée à la possession de la nationalité belge ne peuvent être contestés pour le seul motif que l’intéressé n’avait pas cette nationalité. Il en est de même des droits acquis avant la même date. »

[5] C.J.U.E., 12 mars 2019, Tjebbes e.a., aff. C-221/17, EU:C:2019:189.

[6] Ainsi, l’enfant suit le sort de ses parents.

[7] L’article 17 du CNB dispose : « La personne de bonne foi à qui la nationalité belge a été octroyée erronément et qui a, de façon constante durant au moins dix années, été considérée comme Belge par les autorités belges, peut, si la nationalité belge lui est contestée, acquérir la nationalité belge conformément à l’article 15. La déclaration doit être faite avant l’expiration d’un délai d’un an prenant cours à la date à laquelle une autorité belge conteste définitivement la détention de la nationalité belge par la personne. Ce délai est prorogé jusqu’à l’âge de dix-neuf ans si le déclarant est une personne dont la filiation à l’égard d’un auteur belge a cessé d’être établie alors qu’il n’était pas émancipé et n’avait pas atteint l’âge de dix-huit ans. […] ».

[8] Cette disposition prévoit notamment : « La déchéance est poursuivie par le ministère public. Les manquements reprochés sont spécifiés dans l’exploit de citation. L’action en déchéance se poursuit devant la Cour d’appel de la résidence principale en Belgique du défendeur ou, à défaut, devant la Cour d’appel de Bruxelles. » (§§ 2 et 3).

[9] C.J.U.E., 2 mars 2010, Rottmann, aff. C‑135/08, EU:C:2010:104.

[10] Dans le même sens, voy. C.J.U.E., 20 septembre 2001, Grzelczyk, aff. C-184/99, § 32.

[11] Voy. C.J.U.E., 13 septembre 2016, Rendón Marín, aff. C‑165/14, EU:C:2016:675, et C.J.U.E., 13 septembre 2016, C.S., aff. C‑304/14, EU:C:2016:674.

[12] C.J.U.E., 18 janvier 2022, JY, aff. C‑118/20, EU:C:2022:34, §§ 57 et s.

[14] L’article 330/1 de l’ancien Code civil prévoit : « En cas de déclaration de reconnaissance, il n’y a pas de lien de filiation entre l’enfant et l’auteur de la reconnaissance lorsqu’il ressort d’une combinaison de circonstances que l’intention de l’auteur de la reconnaissance, vise manifestement uniquement l’obtention d’un avantage en matière de séjour, lié à l’établissement d’un lien de filiation, pour lui-même, pour l’enfant ou pour la personne qui doit donner son consentement préalable à la reconnaissance. » Voy. aussi les articles 330/2 et 330/3 du même code. Voy. S. Sarolea (dir.), Statut familial de l’enfant et migrations, EDEM, UCLouvain, Louvain-la-Neuve, octobre 2018.

 

Publié le 02 juin 2023