C.J.U.E. (GC), 9 novembre 2021, Bundesrepublik Deutschland, C-91/20, EU:C:2021:898

Louvain-La-Neuve

Effectivité du principe de l’unité familiale des réfugiés : le choix du statut le plus favorable pour l’enfant.

Directive 2011/95 – Mineur né dans le pays d’accueil et possédant la nationalité tunisienne – Normes nationales plus favorables – Art. 3 Dir. – Pas d’incompatibilité – Principe de l’unité familiale – Art. 23 Dir. – Articles 7 et 24, par. 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Intérêt supérieur de l’enfant – Octroi, à titre dérivé, du statut de réfugié d’un parent à son enfant mineur – Absence d’incompatibilité avec l’objectif de la Dir. – Statut le plus favorable – Absence de clause d’exclusion

La Cour de justice de l’Union européenne, en grande chambre, juge que la loi qui accorde le statut de réfugié dérivé à l’enfant, né d’un père syrien reconnu réfugié en Allemagne et d’une mère tunisienne, n’est pas incompatible avec la logique de la protection internationale. Cette interprétation permet le maintien de l’unité familiale du réfugié. Même si l’enfant bénéficie de la nationalité tunisienne, la Cour estime que le statut le plus favorable peut lui être octroyé en raison de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’application du principe de l’unité familiale des réfugiés, à condition qu’il n’y ait pas de raisons pour exclure l’enfant du statut de réfugié sur la base de l’article 12 de la Directive 2011/95.

Christine Flamand

A. Arrêt

1. Faits

La requérante au principal est née en Allemagne en 2017 d’une mère tunisienne et d’un père syrien. Elle a la nationalité tunisienne. Au mois d’octobre 2015, son père a obtenu le statut de réfugié en Allemagne. La demande d’asile y introduite par la mère de la requérante n’a pas abouti. La demande d’asile introduite par la requérante après sa naissance a été rejetée par l’Office fédéral des migrations et des réfugiés, comme manifestement non fondée. L’Office a jugé, d’une part, qu’elle ne remplissait pas les conditions matérielles d’octroi du statut de réfugié et, d’autre part, qu’elle pouvait revendiquer la protection nationale de son pays (la Tunisie). En recours, la juridiction réforme cette décision en la considérant comme non fondée. Par jugement du 17 janvier 2019, le Tribunal administratif a annulé cette décision en ce que celle-ci avait rejeté la demande d’asile de la requérante au principal comme étant « manifestement non fondée », plutôt que comme étant « non fondée », et a rejeté le recours pour le surplus. La requérante a formé un pourvoi contre ce jugement devant la juridiction de renvoi, le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne). Celle-ci a estimé que la requérante ne satisfaisait pas aux conditions d’octroi du statut de réfugié, étant donné qu’elle n’invoquait pas de crainte fondée de persécution en Tunisie, l’un des pays dont elle est ressortissante. Elle a également jugé que la requérante ne pouvait bénéficier d’un statut de réfugié dérivé en raison du statut de réfugié octroyé à son père en Allemagne. Elle estime qu’il serait contraire au principe de la subsidiarité de la protection internationale d’en étendre le bénéfice aux personnes qui, en tant que ressortissants d’un État qui est en mesure de leur accorder une protection (in casu, la Tunisie), sont exclues de la catégorie des personnes ayant besoin de protection.

Dans le cadre du recours contre cette décision, la cour administrative pose plusieurs questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après, la Cour), relative à l’interprétation de l’article 3 et 23 de la directive 2011/95 (ci-après, directive qualification) ainsi que sur l’octroi d’un statut de réfugié dérivé à un enfant mineur, sans tenir compte des circonstances individuelles de l’enfant, malgré le fait que celui-ci dispose de la nationalité tunisienne et bénéficie de ce fait déjà d’une protection.

D’une part, le juge demande à la Cour si en vertu du principe de subsidiarité, les personnes qui possèdent deux nationalités peuvent se voir octroyer le statut de réfugié dérivé lorsqu’elles peuvent se réclamer de la protection d’un des pays dont elles ont la nationalité. D’après le juge national, seule la personne qui est sans protection, parce qu’elle ne bénéficie pas d’une protection effective de la part d’un pays d’origine, au sens de l’article 2, sous n), serait réfugiée, au sens de l’article 2, sous d), de de la directive qualification. Or, la requérante pourrait bénéficier d’une protection effective en Tunisie, un pays dont elle a la nationalité (pt. 22) .

D’autre part, en vertu du droit allemand (art. 26 §2 et §5, Asylgesetz), la requérante satisfait aux conditions pour se voir reconnaître le statut de réfugié dérivé en tant qu’enfant mineur célibataire d’un parent auquel a été octroyé ce statut. Le juge d’appel estime qu’il y aurait lieu d’octroyer le statut de réfugié, à titre dérivé et aux fins de la protection de la famille dans le cadre de l’asile, également à cet enfant né en Allemagne et possédant, par son autre parent, la nationalité d’un pays tiers sur le territoire duquel il ne serait pas persécuté (pt. 23). Toutefois, il demande à la Cour si une telle interprétation du droit allemand est compatible avec la directive qualification.

2. Raisonnement et arrêt de la Cour

La Cour traite les questions préjudicielles de manière holistique.

La Cour estime qu’une interprétation téléologique doit être recherchée en tenant compte de l’objectif poursuivi par la directive : protéger les ressortissants de pays tiers à la lumière de la Convention de Genève de 1951 et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après, la Charte). Elle procède à un raisonnement en deux temps.

Au préalable, la Cour rappelle qu’il y a deux conditions pour se voir reconnaître le statut de réfugié. Celles-ci sont intrinsèquement liées et ont trait, d’une part, à la crainte d’être persécuté et, d’autre part, au défaut de protection des autorités nationales contre les actes de persécution (art. 2, directive qualification). En outre, le réfugié ne peut être soumis à une clause d’exclusion.

Tout d’abord, la Cour analyse si l’enfant peut prétendre à titre individuel à la protection internationale. Elle constate qu’il ne remplit pas les deux conditions susmentionnées (pt. 30). Si le demandeur d’asile bénéficie de plusieurs nationalités, la crainte doit être examinée par rapport à chaque nationalité. En l’espèce, l’enfant a la nationalité tunisienne, par sa mère. Il ne sera considéré comme étant privé de protection que s’il ne peut ou, du fait de la crainte d’être persécuté, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. Or, la juridiction de renvoi a considéré que l’enfant n’invoquait pas de crainte de persécution par rapport à la Tunisie.

Ayant posé ce constat, la Cour se pose la question de savoir si, par application du principe de l’unité familiale, l’enfant pourrait bénéficier du statut de réfugié dérivé. Elle rappelle la genèse du principe de l’unité familiale des réfugiés prévu à l’article 23 de la directive qualification lequel recommande qu’un séjour soit octroyé sur la base du principe de l’unité familiale aux membres de la famille d’un réfugié pour autant que cela soit compatible avec leur statut juridique personnel.  Cet article n’oblige pas les Etats à prévoir une extension automatique du statut de réfugié aux membres de la famille du réfugié reconnu. La Cour rappelle sa jurisprudence développée sur les normes nationales plus favorables dans l’arrêt Ahmedbekova

« l’article 3 de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens qu’il permet à un État membre de prévoir, en cas d’octroi, en vertu du régime instauré par cette directive, d’une protection internationale à un membre d’une famille, d’étendre le bénéfice de cette protection à d’autres membres de cette famille, pour autant que ceux-ci ne relèvent pas d’une cause d’exclusion visée à l’article 12 de la même directive et que leur situation  présente,  en  raison  du  besoin  de  maintien  de  l’unité familiale,  un  lien  avec  la  logique de protection internationale » (pt. 74, arrêt Ahmedbekova).

Elle rappelle que le principe de l’unité familiale en faveur de l’enfant mineur a un lien avec la protection internationale qui a été confirmé à de maintes reprises par les organes de l’UNHCR (pt. 42) et conclut que :

« l’extension automatique, à titre dérivé, du statut de réfugié à l’enfant mineur d’une personne à laquelle ce statut a été octroyé, indépendamment du fait que cet enfant satisfasse ou non individuellement aux conditions d’octroi dudit statut et y compris lorsque ledit enfant est né dans l’État membre d’accueil, prévue par la disposition nationale en cause au principal qui, ainsi que la juridiction de renvoi l’expose, poursuit l’objectif de la protection de la famille et du maintien de l’unité familiale des bénéficiaires d’une protection internationale, présente un lien avec la logique de protection internationale » (pt. 44).

La Cour constate qu’il y a deux réserves à l’application du principe de l’unité familiale. D’une part, l’interprétation de l’article 3 de la directive qualification par la Cour (supra) indique qu’un Etat membre ne peut adopter des dispositions octroyant le statut de réfugié à une personne qui en est exclue. Or, la législation nationale en cause exclut de telles personnes du bénéfice de l’extension du statut de réfugié dérivé. D’autre part, une réserve est émise à l’article 23 de la directive qualification puisqu’elle exclut que des avantages accordés au bénéficiaire d’une protection internationale soient étendus à un membre de sa famille lorsque cela serait incompatible avec le statut juridique personnel dudit membre. A ce sujet, « il n’apparaît pas que la requérante aurait par sa nationalité tunisienne ou un autre élément caractérisant son statut juridique personnel, droit à un meilleur traitement en Allemagne que celui résultant de l’extension, à titre dérivé, du statut de réfugié accordé à son père, prévue par la disposition en cause au principal (pt. 58) ». Par ailleurs, l’existence d’une possibilité pour la famille de la requérante de s’installer en Tunisie ne saurait justifier que cette réserve soit comprise comme excluant d’octroyer à cette dernière le statut de réfugié, puisqu’une telle interprétation impliquerait que son père renonce au droit d’asile qui lui est conféré en Allemagne (pt.60).

A la lumière de ces différents éléments, la Cour conclut que la législation allemande est compatible avec la logique de protection internationale (pt. 62).

B. Eclairage

Le raisonnement de la Cour procède d’une approche favorable à l’unité familiale des réfugiés. Elle donne au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant une application concrète et effective, faisant œuvre de de pragmatisme. Ainsi, les deux réserves juridiques sont balayées par la Cour, à la faveur de la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Un triple éclairage de cet arrêt est proposé à la lumière du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

1. L’unité familiale :  le choix du statut de protection le plus favorable pour l’enfant

Une question abordée par l’arrêt et abondamment analysée dans les conclusions de l’avocat général, concerne l’étendue du principe de l’unité familiale. Pour rappel, ce principe trouve sa source dans  l’Acte final de la Conférence de 1951 de plénipotentiaires des Nations Unies lequel prévoit que l’extension de la protection internationale aux membres de la famille du réfugié s’applique, sans examen individuel de leur besoin de protection. Il s’agit en quelque sorte de l’octroi d’une protection automatique en raison du lien de parenté avec le réfugié. La directive qualification ne prévoit pas une telle extension dans l’article 23. Toutefois, l’article 3 permet aux Etats membres de prévoir des dispositions plus favorables. La législation allemande prévoit de telles dispositions en octroyant une extension automatique du statut de réfugié aux membres de sa famille, sans examen de leur besoin de protection (statut de réfugié dérivé)[1].

L’avocat général semble considérer qu’une telle conception va au-delà de la logique de la protection internationale et ne devrait pas être admise. Il relève deux éléments. Premièrement, la définition du membre de la famille à laquelle il est référé à l’article 2, j), de la directive qualification concerne une famille qui est déjà fondée dans le pays d’origine, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. De plus, l’enfant possède, par son autre parent, la nationalité d’un autre pays tiers dans lequel il ne risquerait pas de persécution. De ce fait, l’avocat général estime que la situation de l’enfant né en Allemagne et ayant la nationalité tunisienne n’est pas concerné par le principe du statut de réfugié dérivé.

En opposition à cette conception, la Cour se réfère à la position du HCR à ce sujet.

« Le principe de l’unité de famille découle de l’Acte final de la Conférence de 1951 de plénipotentiaires des Nations Unies relative au statut des réfugiés et des apatrides ainsi que du droit en matière de droits de l’homme. La plupart des États membres de l’Union européenne prévoient un statut dérivé pour les membres de la famille des réfugiés. L’expérience de l’UNHCR montre également que c’est généralement la façon la plus pratique de procéder. Il existe toutefois des situations où ce principe de statut dérivé ne doit pas être suivi, c’est-à-dire lorsque les membres de la famille souhaitent demander l’asile à titre individuel ou lorsque l’octroi du statut dérivé serait incompatible avec leur statut personnel, par exemple parce qu’ils sont ressortissants du pays d’accueil ou parce que leur nationalité leur donne droit à un meilleur traitement».

La Cour de justice s’aligne sur la position du HCR en estimant que, sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, il n’apparaît pas que la requérante relève d’une telle restriction, précisant que sa nationalité tunisienne ne lui donne pas droit à un meilleur traitement en Allemagne que celui résultant du statut de réfugié dérivé (pt. 58). La Cour a une approche souple des réserves tout en étant laconique sur ce que pourrait indiquer la notion de « traitement plus favorable » de l’enfant en Allemagne. Elle  pose le constat que le statut de réfugié est un statut privilégié et qu’il est en tout état de cause plus favorable que le statut de ressortissant de pays tiers en Allemagne. La Cour estime qu’au vu de la clarté de la législation allemande sur l’octroi du statut de réfugié dérivé aux membres de la famille, sans examen individuel de la demande, celle-ci est conforme à la logique de protection internationale puisque les deux réserves sont par ailleurs « acceptées ». Cette prise de position pragmatique donne un contenu effectif au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant privilégiant l’unité de famille plutôt qu’un raisonnement abstrait ne permettant pas d’arriver à la même conclusion.

Ce raisonnement nous  paraît être une balise pour la question pendante devant la Cour dans une affaire contre la Belgique (C-483/20) en matière d’unité familiale. Rappelons que la Belgique n’a pas transposé l’article 23 de la directive qualification, et n’a, a fortiori, pas prévu de normes plus favorables pour l’application de cette norme (vide juridique). En l’espèce, il s’agit de la situation de deux sœurs syriennes, dont l’une est mineure, bénéficiaires de la protection internationale en Belgique. Leur père, reconnu réfugié en Autriche, a introduit en Belgique une demande d’asile afin de les rejoindre. Celle-ci a été déclarée irrecevable, s’agissant d’une personne déjà reconnue réfugiée dans un autre Etat membre de l’Union européenne. Le Conseil d’Etat pose une question préjudicielle quant au respect de cette règlementation (directive procédures 2013/32) avec la notion d’unité familiale prévue à l’article 23 de la directive qualification. Il convient de souligner dans cette affaire la difficulté pour les membres de cette famille de pouvoir se retrouver dans un pays d’accueil puisque les protagonistes ont chacun un statut de réfugié dans un premier Etat membre distinct. Dans ses conclusions, l’avocat général Pikamaë fait état de l’ensemble des contraintes pour pouvoir obtenir le regroupement familial en Belgique ou en Autriche (pts. 44 à 57). Il indique que « l'ensemble des droits réservés aux membres de la famille sur la base de la directive 2003/86 sur le regroupement familial et aux personnes bénéficiant d'une protection internationale n'est pas le même, le traitement de ces dernières étant plus favorable ». La Cour européenne des droits de l’homme a également reconnu la vulnérabilité spécifique des réfugiés et l’importance de l’unité familiale les concernant. Dans l’arrêt Mugenzi, elle rappelle que « l’unité familiale est un droit essentiel du réfugié et que le regroupement familial est un élément fondamental pour permettre à des personnes qui ont fui des persécutions de reprendre une vie normale » (pt. 54). Sur la base de ce constat, il sera intéressant de découvrir la position que la Cour adoptera dans l’affaire. A la lumière de l’affaire commentée, il serait souhaitable que la Cour envisage une réunion en Belgique en raison du principe de l’unité familiale selon une position pragmatique et au vu de l’intérêt supérieur de l’enfant mineur bénéficiant de la protection internationale, unique possibilité de rassembler la famille dans un Etat d’accueil, en l’absence de dispositions spécifiques sur l’unité familiale des réfugiés en Belgique. On peut par ailleurs  remarquer que singulièrement,  les dispositions du Règlement Dublin III (art. 11) auraient permis la réunion de ces membres de la famille s’ils avaient été demandeurs d’asile et se poser la question d’une éventuelle discrimination entre demandeurs d’asile et réfugiés, à qui cette possibilité n’est pas offerte.

 2. L’aspect subsidiaire de la protection internationale mis en balance avec l’intérêt de l’enfant

La spécificité de la situation à laquelle est confrontée la Cour est qu’en l’espèce, l’enfant dispose d’une autre nationalité, par l’autre parent. La question de savoir si l’extension automatique du statut de réfugié peut aussi être accordée à l’enfant mineur disposant d’une autre nationalité fait l’objet de discussions entre la Cour et l’avocat général. Si la Cour conclut qu’une telle situation relève de la logique de protection internationale, l’avocat général estime que l’enfant bénéficie déjà d’une protection qui pourrait être incompatible avec l’octroi d’un statut de réfugié. Tant la Cour que l’avocat général rappellent que la protection internationale est une protection de substitution palliant l’absence de protection nationale des droits de l’homme. Ils qualifient cette protection de subsidiaire.

Si une personne possède plusieurs nationalités, la Convention de 1951 précise en effet en son article 2 que « [n]e sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s’est pas réclamée de la protection de l’un des pays dont elle a la nationalité ». Cette disposition a pour but d'exclure du statut de réfugié toutes les personnes ayant plusieurs nationalités qui peuvent se réclamer de la protection d'au moins un des pays dont elles ont la nationalité. Chaque fois qu'elle peut être réclamée, la protection nationale l'emporte sur la protection internationale (Guide des procédures et critères, par. 106). En d’autres termes, la protection nationale de chaque pays dont une personne a la nationalité prime sur la protection internationale.

La directive 2011/95 intègre ce principe dans le cadre tant de l’octroi du statut de réfugié que de la cessation de celui-ci. Dans un récent, Secretary of State for the Home Department du 20 juin 2021, la Cour a rappelé que les circonstances démontrant l’incapacité ou, à l’inverse, la capacité du pays d’origine d’assurer une protection contre des actes de persécution constituent un élément décisif de l’appréciation conduisant à l’octroi ou, le cas échéant, de manière symétrique, à la cessation du statut de réfugié (pt. 36). S’inspirant de cet arrêt, l’avocat général estime que tout octroi d’une protection internationale devrait être exclu lorsque le membre de la famille bénéficie des droits attachés à sa propre nationalité et, en particulier, de la protection de son pays d’origine (pts. 82 et 83 des conclusions de l’avocat général). En d’autres mots, l’avocat général fait primer la protection nationale tunisienne et met en doute la logique de l’extension du principe de l’unité familiale lorsqu’elle se fonde sur la protection d’autres droits fondamentaux consacrés par les textes internationaux comme le respect de la vie familiale ou de l’intérêt de l’enfant.

Si l’avocat général appuie son raisonnement sur ce principe pour indiquer qu’un statut de réfugié dérivé ne peut être octroyé à quelqu’un qui dispose d’une nationalité d’un Etat envers lequel il n’a pas de crainte, la Cour estime que pour cette même raison, l’enfant ne peut disposer à titre individuel de la protection internationale. Il n’y a donc pas antinomie dans la conception de l’aspect « subsidiaire » de la protection internationale : la Cour opte résolument pour l’interprétation la plus favorable à l’intérêt de l’enfant en estimant que le lien de parenté avec un réfugié suffit à pouvoir le faire bénéficier du statut de réfugié dérivé, selon la loi nationale jugée conforme à la directive qualification. Celle-ci met comme unique réserve à son application, l’absence d’une clause d’exclusion au sens de l’article 12 de la directive qualification. Ceci reflète la volonté des juges de ne pas sanctionner les mesures nationales visant à une plus grande protection des droits fondamentaux des bénéficiaires de protection internationale et à assouplir les conditions de cet octroi. L’avocat général semble craindre un manque d’harmonisation entre les différents Etats, lequel pourrait favoriser les mouvements secondaires, alors que c’est ce que le régime commun sur l’asile tente d’éviter (conclusions, pt.84).

3. L’effectivité de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant

Si la Cour avait déjà largement admis la compatibilité du principe de l’unité familiale aux membres de la famille qui ne peuvent prétendre à titre individuel à un statut de réfugié, elle va plus loin, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’impératif de préserver l’unité familiale du réfugié. La législation nationale favorable à l’unité familiale est probablement pour la Cour, un exemple à suivre ou, à tout le moins, à ne pas sanctionner. La Cour s’inspire des articles 7 et 24 de la Charte relatifs à la vie familiale et à l’intérêt supérieur de l’enfant. Le considérant 16 de la directive qualification stipule expressément que celle-ci respecte les droits fondamentaux consacrés dans la Charte et qu’elle vise à promouvoir l’application, notamment, du droit au respect de la vie familiale et les droits de l’enfant. La Cour s’est laissé guider par le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant comme un principe général de droit et une règle de fond. Ce faisant, elle se positionne de manière pragmatique et assertive sur la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’unité familiale.

Si l’avocat général avait souligné la différence entre la directive sur le regroupement familial et la directive qualification en estimant que cette dernière n’a pas pour vocation d’assurer la création de la vie familiale du bénéficiaire d’une protection internationale, la Cour a conclu que l’article 23 de cette directive doit être interprété en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, à la lumière duquel cette disposition doit être interprétée et appliquée.

L’attitude de la Cour en matière de protection des enfants dans le cadre de l’asile n’est pas nouvelle. Dans l’arrêt A et S, elle a décidé de favoriser l’unité familiale dans le pays d’accueil, puisqu’en raison du statut de mineur réfugié non accompagné, il était nécessaire que les parents puissent le rejoindre, ce qui était  uniquement possible dans le pays d’accueil. Pour donner toutes les chances à l’enfant d’être rejoint et pour favoriser l’égalité de traitement entre tous les enfants, elle a donc tenu compte de la date d’introduction de la demande d’asile pour déterminer l’âge de l’enfant plutôt que la date de la prise de décision. Elle prolonge cette jurisprudence dans un arrêt du 9 septembre 2021, Bundesrepublik Deutschland, s’agissant du moment pour déterminer la qualité de parent d’un mineur au sens de l’article 2, j), de la directive qualification. C’est à la date de l’introduction de la demande d’asile de l’enfant à qui est accordé une protection internationale qu’il convient de se placer pour déterminer la qualité de membre de la famille. Dans le contexte hors asile, dans une affaire BMM, relative au regroupement familial d’un parent avec un enfant mineur (sur la base de la directive 2003/86), la Cour avait décidé qu’il fallait déterminer la qualité de mineur au moment de l’introduction de la demande de regroupement familial. Cette jurisprudence constante illustre une interprétation résolument protectrice et favorable à l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle traduit également une approche pragmatique indispensable au vu du contexte de séparation causée par les migrations forcées.

Conclusions

La Cour, en grand chambre, fait une application pragmatique de la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant afin de lui assurer une vie familiale dans le pays d’accueil, y compris dans le cadre de la directive qualification (pas uniquement en regroupement familial). Elle donne consistance et contenu au concept de l’intérêt supérieur de l’enfant. A la lecture de cet arrêt, les Etats membres ne devraient-ils pas établir des normes claires permettant de veiller à cette unité de famille des bénéficiaires de la protection internationale ? Prenons l’exemple des enfants mineurs reconnus réfugiés en Belgique dont les parents n’obtiennent pas le droit à l’unité familiale ou un autre avantage en termes de séjour tel qu’édicté aux articles 23 et 24 de la directive qualification.

La prise en compte de ces mêmes droits fondamentaux pourrait pallier la crainte exprimée par l’avocat général du manque d’uniformité dans la mise en œuvre de la législation de l’Union. En effet, ces principes lient tous les Etats membres et leur respect tente de favoriser l’égalité de traitement recherchée par le législateur de l’Union et mise en œuvre par la Cour de justice au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant.

En plus de renforcer l’assise des droits de l’enfant en droit de l’Union, l’arrêt témoigne de l’importance du principe de l’unité familiale du réfugié dans le pays d’accueil. L’interprétation téléologique de la disposition relative à l’unité familiale permet une prise en compte croissante et transversale des droits de l’enfant, laquelle doit guider les Etats membres dans le traitement de telles demandes. Et ce, d’autant que la séparation des familles en route et le besoin de les réunir dans un Etat d’accueil est fondamental et prégnant pour optimiser leur intégration.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt :

- CJUE, 9 novembre 2021, Bundesrepublik Deutschland, C-91/20, EU:C:2021:898 ;

- CJUE, 12 mai 2021, Conclusions de l’avocat général , C-91/20, EU:C:2021 :384.

Jurisprudence :

- Cour eur.D.H., 10 octobre 2014, Mugenzi c. France , requête n° 52701/09 ;

- C.J.U.E., 9 septembre 2021,  Bundesrepublik Deutschland, C768/19 ;

- C.J.U.E., 20 janvier 2021, Secretary of State for the Home Department, C255/19 ;

- C.J.U.E.,  16 juillet 2020, C.J.U.E., 16 juillet 2020, B. M. M. ea c. État belge, C133/19, C136/19 et C137/19 ;

- C.J.U.E., 12 avril 2018, A et S,  C-550/16 ;

- C.J.U.E., 30 septembre 2021, Conclusions de l’avocat général, C483/20.

Doctrine :  

- J.-Y. Carlier et S. Sarolea, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, pp.

- Ch. Flamand, « Regroupement familial : Effectivité des recours et garanties procédurales au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant », Cahiers de l’EDEM, août 2020 ;

- Ch. Flamand, « Le C.C.E. a tranché : Le parent d’un enfant reconnu réfugié n’a pas de droit au statut de réfugié dérivé…une occasion manquée », Cahiers de l’EDEM, avril 2020.

- H. Gribomont, « Reconnaissance automatique du statut de réfugié aux membres de la famille d’un réfugié reconnu », Cahiers de l’EDEM, janvier 2019 ;

- S. Sarolea, « Commentaire de l'arrêt : C.C.E., arrêt n°112644 du 24 octobre 2013 : Qui bénéficie du principe de l’unité familiale? », Newsletter EDEM, Décembre 2013.

- A. Slowik, « L’octroi du statut de réfugié à un enfant mineur aux fins du maintien de l’unité familiale », Centre d’études juridiques européennes, 25 novembre 2021.

Pour citer cette note :

Ch. Flamand, « Effectivité du principe de l’unité familiale des réfugiés : le choix du statut le plus favorable pour l’enfant », Cahiers de l’EDEM, janvier 2022.

 


[1] Voir à ce sujet : H. Gribomont, « Reconnaissance automatique du statut de réfugié aux membres de la famille d’un réfugié reconnu », Cahiers de l’EDEM, janvier 2019.

Publié le 31 janvier 2022