C.C.E., 30 novembre 2021, n° 264 721

Louvain-La-Neuve

Reconnaissance du statut de réfugié des apatrides palestiniens : l’impact des informations sur la situation prévalant dans la région d’origine des requérants.

Demande d’asile – Apatride d’origine palestinienne – Informations sur les pays d’origine – Enregistrement UNWRA au Liban – Art. 1, D, 2e al. Convention de Genève – Art. 55/2 Loi 15 décembre 1980 – Exclusion du statut de réfugié – Etat personnel d’insécurité grave – Reconnaissance de statut de plein droit.

Le C.C.E. est saisi des recours introduits par un couple d’apatrides d’origine palestinienne nés et enregistrés au Liban, contre les décisions d’exclusion du statut de réfugié et de refus du statut de protection subsidiaire prises par le C.G.R.A.; décisions prises en application combinée des articles 1D de la Convention de Genève, repris à l’article 55/2 de la loi du 15 décembre 1980, et de l’article 48/4 de la même loi. Dans son appréciation, s’appuyant sur des informations récentes sur la situation prévalant au Liban, le C.C.E. siégeant en plein contentieux, réforme les décisions négatives du C.G.R.A. et reconnaît la qualité de réfugié aux requérants en application du deuxième alinéa de l’article 1D de la Convention de Genève.

Isaac Brock Muhambya

 

A. Arrêt

1. Les faits pertinents de la cause

Les requérants sont un couple d’apatrides palestiniens. Ils sont nés et ont grandi à Ein al-Hilweh, le plus grand camp de réfugiés palestiniens au Liban. En Janvier 2009, Monsieur Ah.A.E., ci-après dénommé « le requérant », s’installe à Oman pour des raisons de travail. En 2014, le requérant retourne à Ein al-Hilweh où il s’est fiancé à Madame A. I., ci-après dénommée « la requérante ».

Le requérant invoque le fait qu’en septembre 2014, quelques jours après s’être fiancé à la requérante, il est interpellé par un membre non identifié d’un groupe islamiste qui a remarqué ses allers-retours entre son quartier et celui dans lequel sa fiancée vit. Il lui est demandé de cesser ses déplacements. Le requérant obtempère et résout de retourner à Oman où il travaillait. En 2015, le père du requérant est recherché par des groupes terroristes actifs au sein du camp de Ein al Hilweh après qu’il se soit rendu à plusieurs reprises à l’administration avec la tante du requérant, dont le mari est un collaborateur d’Israël. Le père du requérant est alors parti avec le reste de la famille pour la Belgique. À son retour d’Oman en 2016, le requérant apprend de son beau-père (membre du Fatah, un parti politique nationaliste palestinien), qu’il est recherché par les mêmes groupes terroristes qui ont cherché son père en 2015. La requérante invoque quant à elle, à l’appui de sa demande, qu’elle est profondément marquée par le fait d’avoir été témoin d’un assassinat devant la porte de leur domicile lorsqu’elle avait 6 ou 7 ans. Le fait d’avoir été témoin de cette horreur a généré en elle la peur, non seulement pour elle-même, mais aussi pour les membres de sa famille lorsqu’ils quittent leur domicile. La requérante corrobore le fait que son fiancé est recherché par des groupes terroristes, et a par conséquent décidé, pour des raisons de sécurité, d’abandonner son appartement situé dans un autre quartier du camp, et a décidé de s’installer chez elle.

Les requérants et leurs familles sont enregistrés auprès de « l’United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East » (ci-après, l’UNRWA). Dans leurs dossiers, ils joignent leurs cartes UNRWA et les attestations de fréquentation des écoles de l’UNRWA ; ils attestent également qu’ils bénéficiaient de soins prodigués par l’UNRWA dans ses dispensaires. Ils ont donc bénéficié de l’assistance de cette agence.

En septembre 2018, ils quittent le Liban accompagnés de leur enfant ainé. En octobre 2018, ils arrivent en Belgique après avoir transité par l’Ethiopie, le Brésil, la Bolivie, l’Espagne et la France. Le 30 octobre 2018, ils introduisent leurs demandes de protection internationale auprès de l’Office des étrangers à Bruxelles. Le 6 mai 2021, en application combinée des articles 1D de la convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 (ci-après, Convention de Genève) repris à l’article 55/2 de la loi du 15 décembre 1980 portant sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers (ci-après, loi du 15 décembre 1980), et sur la base de l’article 48/4 de la même loi, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (ci-après, C.G.R.A.) prend deux décisions « d’exclusion du statut de réfugié et de refus du statut de protection subsidiaire ». Une décision à l’encontre du requérant, et une autre à l’encontre de la requérante.

Le 07 juin 2021, agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leurs trois enfants (dont l’ainé est né au Liban et deux autres sont nés en Belgique), ils introduisent les recours au Conseil du contentieux des étrangers (ci-après, C.C.E) contre les décisions du C.G.R.A. Dans l’intérêt de la bonne administration de la justice, l’examen de ces recours est joint étant donné qu’ils sont introduits par les membres d’une même famille faisant état de craintes de persécution et de risques d’atteintes graves fondés sur des faits similaires. Le 30 novembre 2021, le C.C.E a rendu son arrêt ad hoc.

2. Les décisions du C.G.R.A. attaquées

Sur la base de l'article 55/2 de la loi du 15 décembre 1980, le C.G.R.A. refuse d’octroyer le statut de réfugié aux requérants et estime qu’ils n’entrent pas en considération pour le statut de protection subsidiaire au sens de l'article 48/4 de la même loi. Dans ses décisions, le C.G.R.A. fait valoir les moyens substantiels de fait et de droit suivants.

Premièrement, le C.G.R.A. invoque la clause d’exclusion du statut de réfugié telle qu’édictée à l’article 1D de la Convention de Genève. En effet, cette clause d’exclusion concerne les personnes qui bénéficient déjà « d’une protection ou bien d’une assistance de la part des Nations Unies autre que le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés ». Dans l’affaire en cause, s’appuyant sur les pièces contenues dans les dossiers administratifs des requérants, notamment les cartes d’identités pour les réfugiés palestiniens enregistrés au Liban, les cartes de l’UNRWA et les copies des passeports, le C.G.R.A estime que le fait que les requérants aient bénéficié récemment de l’assistance de l’UNRWA pouvait être tenu pour établi. Il affirme que les requérants peuvent bénéficier de l’assistance UNRWA dans leur région d’origine, -en l’occurrence le Liban-, d’autant plus qu’ils y disposent d’un droit de séjour. Dans ses décisions, le C.G.R.A. admet que l’UNRWA connait depuis 2018 des déficits budgétaires, l’obligeant à recourir à plusieurs appels aux dons d’urgence en 2020 ; qu’en dépit des fonds réunis, ces difficultés ont eu des incidences négatives sur la qualité de l’assistance sociale assurée par l’agence. Malgré les mesures exceptionnelles de rationalisation et d’assainissement budgétaire qui ont été prises afin de permettre à l’UNRWA de continuer à fonctionner, à remplir son mandat et à assurer la continuité de ses services de base, ces mesures ont entraîné la suspension provisoire de certains services et la réduction à minima de certains programmes et services essentiels, soutient le C.G.R.A. Ce dernier conclut que nonobstant les difficultés financières et la crise liée au COVID-19 auxquelles est confrontée l’UNRWA, cette agence continue de fournir l’assistance aux réfugiés palestiniens et a toujours la capacité d’exercer la mission qui est la sienne au Liban. Ni l’Assemblée générale de l’ONU ni l’UNRWA elle-même, bien que préoccupées par la situation financière de l’agence, n’ont déclaré que l’UNRWA a cessé ses activités ou ne serait plus en mesure de remplir son mandat affirme le C.G.R.A.

Deuxièmement, le C.G.R.A. met en évidence l’absence des critères « positifs » de reconnaissance du statut de réfugié.  Se basant sur les enseignements de la C.J.U.E. dans son arrêt El Kott (§§55-65), le C.G.R.A. examine de manière individuelle si les requérants se trouvent dans un état personnel d’insécurité grave. Pour le C.G.R.A. il n’y a aucune raison substantielle pour que les requérants soient reconnus comme réfugiés, d’autant plus qu’ils n’ont pas invoqué « l’état personnel d’insécurité grave » qui les aurait contraints de quitter le camp d’Ein al-Hilweh au Liban, zone d’action de l’UNRWA. De surcroît, les requérants n’invoquent pas les « circonstances indépendantes de leur volonté, d’ordre humanitaire, socio- économique ou sécuritaire, les empêchant d’y retourner et d’y vivre dans des conditions conformes au mandat de l’UNRWA ».

Troisièmement, le C.G.R.A. relève un défaut de crédibilité dans le récit des requérants. Les faits allégués ne peuvent être tenus pour établis, d’une part, pour des raisons de « pauvreté flagrante des informations » sur les évènements qui ont causé le départ des requérants du Liban et d’autre part, en raison « d’importantes contradictions d’ordre chronologique » qui sèment le doute sur leurs déclarations.

Les requérants contestent la motivation du C.G.R.A. en faisant valoir diverses considérations juridiques et factuelles devant le C.C.E. En effet, ils estiment que le statut de réfugié doit leur être accordé.

3. L’appréciation du C.C.E.

Par arrêt du 30 novembre 2021, le C.C.E., statuant en plein contentieux, réforme les décisions négatives du C.G.R.A. et reconnaît la qualité de réfugié aux requérants en application du deuxième alinéa de l’article 1D de la Convention de Genève.

En effet, Il n’est pas soutenu par les parties que l’UNRWA a cessé d’exister. Ainsi, le C.C.E. met en évidence les enseignements de la C.J.U.E. dans son arrêt El Kott (§ 55-58) afin de déterminer « si un évènement concernant l’UNRWA directement le place, d’une manière générale, dans l’impossibilité d’accomplir actuellement sa mission à l’égard des réfugiés palestiniens placés sous son assistance » (pt. 3.1. in fine). Cela étant, les requérants et la partie défenderesse - le C.G.R.A – ont transmis plusieurs rapports généraux au C.C.E., dont le plus récent intitulé « COI FOCUS. Palestinian territories – Jordan. The UNRWA financial crisis and its impact on programs » mis à jour le 23 février 2021 (ci-après, COI FOCUS).

Le C.C.E. se rallie à sa décision récente (C.C.E., n° 258 835 du 29 juillet 2021) prise dans une affaire dans le cadre de laquelle le rapport COI FOCUS avait également été déposé par le C.G.R.A. Dans la décision précitée, le C.C.E. avait observé « qu’au Liban, seuls des services minimums sont maintenus par l’UNRWA en faveur des réfugiés palestiniens, lesquels comptent parmi les personnes les plus vulnérables et les plus pauvres de la société libanaise » (pt. 4.5.). Dans l’arrêt commenté, pour les mêmes motifs, le C.C.E. « estime que la dégradation des conditions de fonctionnement de l’UNRWA au Liban a atteint un niveau tel que, même si cette agence n’a, formellement, pas cessé toute présence dans ce pays, elle se trouve, en pratique, confrontée à des difficultés de fonctionnement à ce point graves que les réfugiés palestiniens ne peuvent, de manière générale, plus compter sur sa protection ou son assistance dans cette zone d’activité » (pt. 3.2.).

B. Éclairage

Dans l’arrêt discuté, le C.C.E. examine, à l’égard des requérants d’origine palestinienne, la portée de l’article 1D Convention de Genève, repris à l’article 55/2 de la du 15 décembre 1980, avec un regard holistique sur la situation au Liban où ils sont nés et enregistrés.

Deux observations peuvent être tirées de cet arrêt. D’une part, l’arrêt met en exergue l’impact des informations récentes sur la situation prévalant dans la région d’origine, sans lesquelles la décision n’aurait probablement pu être la même (1). D’autre part, le C.C.E. met également en lumière une certaine stabilité et une cohérence dans la prise des décisions du C.C.E. en matière d’exclusion (art. 1 D de la convention de Genève) en ce qui concerne les réfugiés palestiniens (2).

1. « Actori incumbit probatio » : les informations qui révèlent l’ineffectivité de l’assistance de l’UNRWA et qui renversent la décision du C.G.R.A.

Lorsque le C.C.E est saisi de recours contre les décisions d’exclusion du statut de réfugié et refus du statut de protection subsidiaire prises par le C.G.R.A., il statue en plein contentieux. Alors que le C.C.E fait office de juge de pleine juridiction pouvant confirmer, annuler ou réformer la décision du C.G.R.A, il reste contraint par la procédure écrite et l’absence de pouvoir d’instruction.[1] En l’occurrence, le C.C.E n’a égard qu’aux seules informations qui lui sont soumises par les parties en cause.

L’article 39/62 de la loi du 15 décembre 1980 dispose que « le Conseil correspond directement avec les parties. Il est habilité à se faire remettre par ces parties toutes les pièces et informations concernant les affaires sur lesquelles il doit se prononcer ». Dans l’arrêt commenté, en application de cet article, le C.C.E. a invité les parties à lui faire parvenir des informations permettant de l’éclairer « sur la situation sécuritaire prévalant actuellement au Liban, en particulier dans la région d’origine de la partie requérante ainsi que sur la situation des Palestiniens du Liban et sur la capacité d’assistance de l’UNRWA au Liban » (p. 23). Il incombe en effet au requérant d’apporter « les preuves des faits qu’il invoque en vue de répondre aux critères définis par la convention de Genève », en vertu de son devoir de collaboration à l’établissement des faits[2]. Il lui revient de démontrer un degré raisonnable de probabilité qu’il serait persécuté en cas de retour dans son pays d’origine[3].

Dans une procédure de demande d’asile, l’établissement des faits est un défi complexe. Les informations sur les pays d’origine (ci-après C.O.I.) sont ainsi cruciales pour l’évaluation de la demande de protection internationale. C’est dans cette perspective, que dans l’arrêt commenté, le rapport COI FOCUS a éclairé l’appréciation du C.C.E. En effet, plusieurs Etats, en ce compris des organismes non étatiques ont mis en place des unités spécifiquement dédiées à la production des C.O.I. afin de soutenir les organes chargés de la détermination du statut de réfugié[4]. Dans ses lignes directrices sur les C.O.I., l’EASO met en évidence divers contextes en vertu desquels, l’information sur les pays d’origine est nécessaire (pp. 17-21). A cet égard, l’EASO estime que l’information actualisée sur les pays d’origine « peut aider à comprendre les facteurs qui sont susceptibles de créer un risque lors du retour, au-delà de ceux qui ont initialement poussé la personne à quitter son pays » (p.20).

Pour l’EASO, les C.O.I. sont utiles en ce qu’elles aident les décideurs sur la protection internationale à évaluer le besoin de protection des requérants à la lumière de la situation en matière de droits de l’homme et de sécurité, la situation politique et le cadre légal, les aspects culturels et les attitudes sociétales, la situation humanitaire et économique, les événements et les incidents, les questions géographiques (p. 20). Dans l’arrêt commenté, s’agissant d’exclusion, le C.C.E. épingle certains éléments du rapport COI FOCUS (paragraphes 7, 8, 13, 17, et 25 à 29) qui démontrent l’ineffectivité de la protection et des services de l’UNRWA. Cet élément est décisif dans le cadre de l’exclusion ou non des apatrides d’origine palestinienne de la protection internationale.

Dans l’affaire commentée, les instances chargées de statuer sur la protection internationale, à savoir, le C.G.R.A. et le C.C.E., ont une lecture différente de la situation prévalant au Liban et, dès lors, prennent des décisions opposées.

D’une part, pour soutenir sa position, le C.G.R.A., interprète l’arrêt El Kott par analogie avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après, CourEDH) dans les arrêts Sufi en Elmi et K.A.B. En vertu de ces arrêts, la CourEDH examine le « degré de gravité » requis pour qu’une « situation générale de violence » soit réputée comme telle à la lumière de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (ci-après, CEDH ) qui dispose que «[n]ul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Il ressort des enseignements de la CourEDH que dans les cas les plus extrêmes de violence généralisée dans la région d’origine, un retour dans ce pays emporterait une violation de l’article 3 de la CEDH. Cependant dans ce cas précis, au regard des informations contenues dans plusieurs rapports, le C.G.R.A. estime que rien ne faisait obstacle à ce que les requérants retournent au Liban, car aucun empêchement pratique ou lié à des questions de sécurité ne pouvait compromettre leur jouissance de l’assistance de l’UNRWA à nouveau.

De son côté, le C.C.E. argue que le C.G.R.A. ne démontre pas que nonobstant les difficultés que traverse l’UNRWA, « les requérants bénéficient effectivement d’une assistance de l’UNRWA au Liban en raison de circonstances qui leur sont propres » (pt. 3.2.). De surcroit, le C.C.E. « n’aperçoit, dans les dossiers administratifs et de procédure, aucun élément de nature à établir que tel serait le cas en l’espèce » (pt. 3.2.).

Par ailleurs, l’appréciation du C.C.E. laisse entendre que les informations sur le pays d’origine justifient de manière objective le bénéfice de la protection en application de l’article 1D, alinéa 2 de la Convention de Genève. Cet article dispose que « lorsque la protection ou l’assistance [de l’UNRWA] aura cessé pour une raison quelconque, sans que le sort de ces personnes ait été définitivement réglé, conformément aux résolutions y relatives adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies, ces personnes bénéficieront de plein droit du régime de cette Convention ». Cette position du C.C.E.  peut être soutenue par les lignes directrices du HCR estimant que l’évaluation de l’inclusion sur base du deuxième alinéa précité doit tenir compte aussi « de la situation de l’individu et des informations pertinentes et mises à jour » ( par. 19).

2. Non revirement de la jurisprudence : une stabilité fluidifiant l’appréciation par analogie

La position du C.C.E. est conforme et cohérente au vu de sa jurisprudence constante et de la jurisprudence européenne.

L’appréciation du C.C.E. s’inscrit dans la logique du raisonnement de la C.J.U.E. dans son arrêt Bolbol. Dans cet arrêt, aux fins de l’application de l’article 12, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la directive qualification, la Cour estime « qu’une personne bénéficie de la protection ou de l’assistance d’une institution des Nations unies autre que l’UNHCR lorsque cette personne a effectivement recours à cette protection ou à cette assistance » (§§ 53-57). Dans l’arrêt commenté, les apatrides palestiniens ont bénéficié de l’assistance de l’UNRWA quand ils étaient au Liban mais n’y recourent plus effectivement depuis leur départ.

Dans l’affaire commentée, le C.C.E. reprend l’enseignement de la C.J.U.E dans  El Kott relatif à l’article 12, § 1er, a, de la directive qualification. Dans cet arrêt, la C.J.U. enseigne que « l’assistance fournie par l’UNRWA pourrait être considérée comme ayant cessé du fait non seulement de sa suppression même qui implique la cessation de la protection ou de l’assistance fournie par elle (§ 55), mais également l’impossibilité pour l’UNRWA d’accomplir sa mission (§ 56); un événement le plaçant, d’une manière générale, dans l’impossibilité d’accomplir sa mission (§ 58). La C.J.U.E réitère son raisonnement de l’arrêt Bolbol  sur la nécessité de l’effectivité de l’assistance de l’UNRWA en ce qu’elle estime que c’est avant tout « l’assistance effective » fournie par l’UNRWA et non l’existence de celui-ci qui doit cesser pour que la cause d’exclusion du statut de réfugié ne trouve plus à s’appliquer (§ 57). Dans l’affaire commentée, les informations mises en exergue dans le rapport COI FOCUS et épinglées par la C.C.E. au sujet de l’ineffectivité de l’assistance de l’UNRWA sont assez persuasives pour faire valoir l’enseignement de El Kott en faveur du couple d’apatrides palestiniens, partie demanderesse.

La décision du C.C.E. dans l’arrêt commenté rappelle également l’enseignement de la C.J.U.E dans XT,  arrêt plus récent du 13 janvier 2021. Dans cette affaire, le C.J.U.E enseigne que pour déterminer la cessation de la protection ou de l’assistance l’UNRWA « il convient de prendre en compte, dans le cadre d’une évaluation individuelle de tous les éléments pertinents de la situation en cause, tous les secteurs de la zone d’opération de l’UNRWA sur les territoires desquels un apatride d’origine palestinienne ayant quitté cette zone dispose d’une possibilité concrète d’accéder et de demeurer en sécurité » (§ 82.1).

La décision du C.C.E. rallie ses propres enseignements repris dans les arrêts récents mettant en exergue l’ineffectivité de UNRWA, et reprend expressément son arrêt  n° 258 835 du 29 juillet 2021, en vertu duquel le rapport COI FOCUS l’avait conduit à reconnaitre la qualité de réfugié au requérant.

En tout état de cause, lorsque l’assistance de l’UNRWA n’est plus effective, l’asile est accordée ipso facto à un ressortissant palestinien, telle est la ratio legis de la directive qualification à son article l’article 12, § 1er, a, in fine.  Flamand souligne que dans ce contexte, « il n’y a pas d’examen approfondi de la demande d’asile au sens de l’article 1, A, de la Convention. Il s’agit d’une reconnaissance de plein droit après examen des raisons pour lesquelles la personne estime ne pas pouvoir bénéficier de l’assistance de l’UNRWA ».

3. Conclusion

Il ressort de l’arrêt discuté que dans une procédure de protection internationale impliquant des demandeurs d’origine palestinienne, l’appréciation et la conviction de l’autorité saisie devraient a priori tenir compte de la situation qui prévaut dans la région d’origine. Comme soutenu par Thomas, « en matière d’asile, même si les règles juridiques définissent les critères que les décideurs doivent appliquer, c’est généralement autour des faits et non du droit que se joue l’orientation de la décision »[5]. Crine quant à elle, estime que le fait que le C.C.E. s’attache à analyser les effets concrets de la cessation de l’assistance de l’UNRWA à l’égard des réfugiés palestiniens, permet « d’éclairer leur besoin de protection à l’aide de leurs vulnérabilités décuplées par cette crise. Il leur garantit, par cette appréciation, la reconnaissance d’une protection adéquate dans un contexte singulier ». Il n’en demeure pas moins que l’impact des informations sur la situation qui prévaut au Liban rappelle que l’existence de, ou l’enregistrement auprès de l’UNRWA ne suffit pas ipso facto pour que le requérant soit exclu du champ d’application de la convention de Genève.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt :

C.C.E., 30 novembre 2021, n° 264 721.

Législation :

Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951.

Directive « Qualification », Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte).

Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers du 15 décembre 1980, M.B. 31 décembre 1980.

Jurisprudence

Internationale :

C.J.U.E., 17 juin 2010, Nawras Bolbol c. Bevandorlasi es Allampolgarsagi Hivata, C-31/09.

C.J.U.E, arrêt du 19 décembre 2012, El Kott, C-364/11.

C.J.U.E., 13 janvier 2021, XT c. Allemagne, C‑507/19.

Cour eur. D.H., 28 juin 2011, Sufi en Elmi c. Royaume- Uni, req. n° 8319/07 et 11449/07.

Cour eur. D.H., 5 septembre 2013, K.A.B. c. Sweden, req. n° 866/11.

Nationale :

C.C.E., 31 juillet 2017, n° 190 280.

C.C.E., 6 mai 2019, n° 220747.

C.C.E, 24 février 2021, n° 249 784.

C.C.E., 25 février 2021, n° 249 930.

C.C.E., 26 janvier 2021, n°248 158.

C.C.E., 26 janvier 2021, n° 248 163.

C.C.E., 11 mars 2021, n° 250 868.

C.C.E., n° 258 835 du 29 juillet 2021.

Doctrine:

CARLIER J.-Y. et SAROLEA S., Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 1.

CARLIER J.-Y., Droit des réfugiés, Bruxelles, Story-Scentia,1989.

CARLIER J.-Y., Qu’est-ce qu’un réfugié?, Bruxelles, Bruylant,1998.

CRINE Z., « Covid-19, crise économique et réfugiés palestiniens : le Conseil du Contentieux des étrangers apprécie l’assistance de l’UNRWA à Gaza dans un contexte de pandémie mondiale », Cahiers de l’EDEM, mars 2021.

CRINE Z., « Covid-19, crise économique et réfugiés palestiniens : le Conseil du Contentieux des étrangers apprécie l’assistance de l’UNRWA à Gaza dans un contexte de pandémie mondiale », Cahiers de l’EDEM, mars 2021, p.12.

FLAMAND C., « Les principes de l’exclusion ou de la reconnaissance de plein droit du statut de réfugié pour les demandeurs d’asile palestiniens en Belgique », Cahiers de l’EDEM, octobre 2017.

MAHESHE T., « L’enregistrement auprès de l’UNRWA : une présomption réfragable du bénéfice effectif de l’aide », Cahiers de l’EDEM, août 2019.

ROSSET D., « Le savoir sur les pays d’origine dans les procédures d’asile », in  Jusletter, 16 mars 2015.

WIBAULT T., « Droit d’asile et recours effectif en Belgique : Procédure accélérée, mais pas amputée », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 24 février 2014, p.1. URL: consulté le 7 mars 2022.

Notes HCR et EASO :

HCR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Genève, 1979 (réédité en 2019).

HCR, Principes directeurs sur la protection internationale no. 13 : Applicabilité de l’article 1D de la Convention de 1951 relative au Statut des réfugiés aux réfugiés palestiniens, Genève, 2017.

EASO, Guide pratique  juridique relatif à l’information sur les pays d’origine, publications de l’EASO à l’usage des membres des magistrats, Luxembourg: Office des publications de l’Union européenne, 2019.

 

Pour citer cette note : I.B. MUHAMBIYA, « Reconnaissance du statut de réfugié des apatrides palestiniens : l’impact des informations sur la situation prévalant dans la région d’origine des requérants », Cahiers de l’EDEM, mars 2022.


[1] T. WIBAULT, « Droit d’asile et recours effectif en Belgique : Procédure accélérée, mais pas amputée », Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 24 février 2014, p. 1 (consulté le 7 mars 2022).

[2] J.-Y. CARLIER, Droit des réfugiés, Bruxelles, Story-Scentia, 1989 p. 22.

[3] J.-Y. CARLIER, Qu’est-ce qu’un réfugié », Bruxelles, Bruylant,1998, p.628.

[4] D. ROSSET, « Le savoir sur les pays d’origine dans les procédures d’asile », Jusletter, 16 mars 2015, p. 4.

[5] T. Robert, Administrative justice and asylum appeals: a study of tribunal adjudication, 2011, Bloomsbury Publishing, p. 37 (comme référencé par D. Rosset, Le savoir sur les pays d’origine dans les procédures d’asile. Construction et négociation institutionnelle de la réalité, disponible sur  https://www.unine.ch/files/live/sites/christin.achermann/files/shared/documents/article%20jusletter%2003.2015.pdf).

Publié le 31 mars 2022