C.C.E., 6 mai 2019, n° 220747

Louvain-La-Neuve

L’enregistrement auprès de l’UNRWA : une présomption réfragable du bénéfice effectif de l’aide.

Convention de Genève, art. 1, D – directive qualification, art. 12, § 1, a) — état d’insécurité grave — impossibilité d’offrir les conditions de vie conformes — bénéfice effectif de l’aide.

Le Conseil du contentieux des étrangers reconnait la qualité de réfugié à un requérant palestinien originaire de la bande de Gaza sur base de l’article 1, D, de la Convention de Genève. Il reproche au Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides de faire peser sur le demandeur la charge de prouver le bénéfice effectif de l’aide UNRWA alors qu’il est enregistré. Son raisonnement repose sur les enseignements tirés des arrêts El Kott et Bolbol de la Cour de justice de l’Union européenne.

Trésor Maheshe

A. Arrêt

Le requérant vient de la bande de Gaza en Palestine. Il introduit une demande de protection internationale en Belgique en date du 15 janvier 2019. À la base de sa requête, il invoque les agressions du Hamas et les problèmes d’ordre économique.

Les agressions dont il a été victime débutent le 10 septembre 2018 à cause de propos critiques à l’égard du Hamas. Invité à Khan Younès, il a fait l’objet d’un passage à tabac au sein du bâtiment des services de renseignements du Hamas (CCE, n° 220747, p. 2). Par la suite, deux de ces cousins sont agressés dans des conditions similaires (CCE, n° 220747, p. 4). Pour fuir ces agressions, il quitte la bande de Gaza en date du 19 septembre 2018 en passant par l’Égypte, la Turquie, la Guinée Bissau (CCE, n° 220747, p. 4). À l’appui de ses allégations, il dépose une attestation médicale dans le but de confirmer les blessures occasionnées par les agressions (CCE, n° 220747, p. 6).

En ce qui concerne les problèmes d’ordre économique, ils surviennent après ses études à l’étranger (3 ans en Allemagne, 5 ans en Égypte). Depuis son retour, les entreprises ne l’embauchent pas, estime-t-il, à cause de ses prises de position contre le Hamas. Pour la même raison, son épouse est contrainte d’accepter un contrat mi-temps à la place d’un temps plein (CCE, n° 220747, p. 4). L’absence de l’aide UNRWA contribue à exacerber ses problèmes économiques alors qu’il est enregistré en tant que membre d’une famille réfugiée. À cet effet, il dépose une attestation et une carte familiale UNRWA (CCE, n° 220747, p. 4).

Le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides lui refuse la protection internationale en se fondant sur le défaut de crédibilité de son récit et la situation sécuritaire dans la bande Gaza.

En ce qui concerne la crédibilité du requérant, le CGRA la remet en question à plusieurs reprises.

D’abord, le CGRA relève l’absence de crédibilité dès le début de la procédure. Il lui reproche d’avoir dissimulé les informations à travers la destruction volontaire de son passeport. L’instance d’asile en déduit que le document détruit contenait des informations contraires à celles de la présente procédure (CCE, n° 220747, p. 6).

Ensuite, le CGRA identifie les incohérences contenues dans le deuxième moyen du requérant relatif aux agressions du Hamas. L’attestation médicale demeure sommaire, contradictoire et largement postérieure aux faits. Cette attestation renseigne les maladies de reins alors que le requérant a subi des coups sur l’avant du corps. Quant au récit sur les agressions, le CGRA y décèle des réponses laconiques et improvisées, ainsi qu’un manque de consistance confirmant l’absence de crédibilité des propos du requérant (CCE, n° 220747, p. 8).

Enfin, le CGRA relève également un défaut de crédibilité en ce qui concerne les problèmes d’ordre économique liés à l’absence de l’aide UNRWA. Le requérant dit ne pas connaitre les raisons pour lesquelles il n’a jamais reçu l’aide UNRWA alors que les membres de sa famille exercent un travail en lien direct avec l’UNRWA. Par ailleurs, le CGRA ne considère pas les problèmes économiques comme une persécution au sens de la Convention de Genève (CCE, n° 220747, p. 8).

Au sujet de la situation sécuritaire dans la bande Gaza, le CGRA vérifie la situation du requérant par rapport à la violence aveugle au sens de l’article 48/4, § 2, c) de la loi du 15 décembre 1980. Après analyse de son dossier, le CGRA qualifie la situation sécuritaire dans la bande de Gaza « d’accrochages de faible niveau (…) interrompue par des escalades de violence majeure » (CCE, n° 220747, p. 10). À défaut d’avancer des circonstances personnelles, le CGRA conclut à l’absence d’un risque réel de subir des atteintes graves (CCE, n° 220747, p. 11).

Le Conseil du contentieux des étrangers (CCE), après avoir reçu la requête en annulation du demandeur, reforme la décision de refus du CGRA. Il lui reconnait le statut de réfugié sur base de deux conditions cumulatives de l’article 1, D, de la Convention de Genève, à savoir l’état personnel d’insécurité grave et l’impossibilité de l’UNRWA d’offrir des conditions de vie conformes à sa mission. Le Conseil adopte une démarche en deux temps pour démontrer le caractère forcé du départ du requérant de la zone d’action de l’UNRWA.

Premièrement, il examine la situation du requérant par rapport à la condition relative à l’état personnel d’insécurité grave. Il aboutit à la conclusion selon laquelle le demandeur se trouve personnellement dans une situation de grave insécurité. Selon le Conseil,

« en raison de la persistance de la violence qui caractérise la bande de Gaza depuis la prise du pouvoir par le Hamas et l’installation du blocus israélien qui a suivi, les affrontements entre les forces armées israéliennes et le Hamas sont régulièrement interrompus par des escalades de violence de grande ampleur, comme cela s’est produit très récemment, et qu’Israël cible non seulement des cibles militaires, mais aussi des cibles civiles, la violence et l’insécurité persistent, ainsi que les violations systématiques et continues des droits fondamentaux de l’homme qui constituent une grave atteinte à la dignité humaine et un traitement inhumain et dégradant pour la population civile à Gaza » (CCE, n° 220747, p. 20).

Deuxièmement, le Conseil analyse l’exigence relative à l’impossibilité de l’UNRWA d’offrir au requérant des conditions de vie conformes à sa mission. Il déduit cette impossibilité de l’état d’insécurité grave dans lequel se situe le requérant. Il considère que, pour les mêmes raisons,

« le requérant, en tant que Palestinien de la bande de Gaza, se trouve dans une situation de grave insécurité, qu’il est par conséquent empêché de bénéficier de l’assistance accordée par l’UNRWA et que, de ce fait, l’UNRWA ne peut lui offrir dans cette zone des conditions de vie à la mesure de la tâche qui relève de sa mission » (C.C.E., n° 220747, p. 20).

Ces conditions étant satisfaites, il reconnait automatiquement au demandeur le statut de réfugié.

B. Éclairage

Dans la décision commentée, le Conseil adopte une position opposée à celle du CGRA. Sa démarche est fondée non pas sur l’article 1, A, de la Convention de Genève, mais sur l’article 1, D. Cette disposition prévoit :

« D. Cette Convention ne sera pas applicable aux personnes qui bénéficient actuellement d’une protection ou d’une assistance de la part d’un organisme ou d’une institution des Nations Unies autre que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

Lorsque cette protection ou cette assistance aura cessé pour une raison quelconque, sans que le sort de ces personnes ait été définitivement réglé, conformément aux résolutions y relatives adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies, ces personnes bénéficieront de plein droit du régime de cette Convention ».

Cette disposition vise à éviter un chevauchement entre le HCR et d’autres organismes mis en place par les Nations unies pour s’occuper des réfugiés tels que l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East)[1]. Pour qu’un réfugié palestinien bénéficie du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, l’article 1, D, exige la cessation des activités de l’UNRWA. Cette cessation suppose soit la suppression de l’UNRWA, soit l’impossibilité pour cette dernière d’accomplir sa mission. Cette impossibilité peut résulter du départ forcé du requérant de la zone d’action de l’UNRWA[2]. Deux conditions cumulatives doivent être remplies pour démontrer que le demandeur était contraint au départ : l’état personnel d’insécurité grave et l’impossibilité pour l’UNRWA d’offrir des conditions de vie conformes à la mission. Pour comprendre le raisonnement du Conseil dans la présente affaire, il convient de s’arrêter sur ces deux conditions.

La condition relative à l’état d’insécurité grave implique des « menaces pour la vie, la sécurité physique, la liberté ou d’autres raisons sérieuses liées à un manque de protection »[3]. L’état d’insécurité grave équivaut à un risque de subir la persécution ou une atteinte grave[4] en cas de retour dans le pays d’origine. En l’espèce, le Conseil conclut que le demandeur se trouve personnellement dans une situation grave d’insécurité (CCE, n° 220747, p.20. Pourtant, dans la décision attaquée, le CGRA juge que le requérant ne court pas des risques de subir une atteinte grave dans la bande de Gaza. Selon cette instance,

« il n’y a pas actuellement dans la bande de Gaza de situation exceptionnelle dans le cadre de laquelle la violence aveugle serait d’une ampleur telle qu’il existerait de motifs sérieux de croire que le seul fait de votre présence vous exposerait à un risque réel de subir les atteintes graves (…) » (CCE, n° 220747 p. 11).

Entre les deux instances (CCE et CGRA), il se dégage deux positions diamétralement opposées sur des faits pourtant objectifs. Le point de vue du Conseil s’aligne sur sa propre jurisprudence. Celle-ci l’invite à prendre en compte les informations circonstanciées et actuelles sur le pays d’origine[5]. Dans la présente espèce, le Conseil se base sur les informations précises et récentes qui mettent en avant la dégradation de la situation sécuritaire dans la bande de Gaza. Contrairement au CGRA, il se réfère à un document récent contenant des informations sur le pays d’origine (COI Focus Territoires palestiniens — Bande de Gaza — la situation sécuritaire en mars 2019), sans lequel la décision aurait pu être différente.

En ce qui concerne l’impossibilité pour l’UNRWA d’offrir des conditions conformes à sa mission, cette condition vise la situation dans laquelle cet organisme n’est plus en état de poursuivre ses fonctions[6]. Dans la présente espèce, le Conseil déduit cette impossibilité pour l’UNRWA à partir de l’état d’insécurité grave en considérant que « pour les mêmes raisons (…), le requérant se trouve dans l’impossibilité de se placer à nouveau sous la protection de l’UNRWA et il se rallie aux motifs reproduits ci-dessus » (CCE, n° 220747, p. 20). Par ce raisonnement, il s’aligne sur les enseignements de l’arrêt El Kott. Pour la Cour de justice de l’Union européenne, en effet, l’état d’insécurité grave prive le requérant de l’aide de l’UNRWA. La Cour préconise « aux juridictions nationales compétentes de vérifier si le départ de la personne concernée est justifié par des motifs échappant à son contrôle et étant indépendants de sa volonté qui la contraignent à quitter cette zone, l’empêchant ainsi de bénéficier de l’assistance accordée par l’UNRWA »[7].

Outre ces deux conditions, le raisonnement du Conseil soulève également une observation relative au champ personnel de l’article 1, D, de la Convention. Pour tomber dans son champ d’application personnel, cette disposition implique de bénéficier effectivement de l’aide UNRWA. Pourtant, si le Conseil constate que le requérant est effectivement enregistré auprès de l’UNRWA, il ressort de l’arrêt que ce dernier n’a jamais effectivement bénéficié de l’aide de cette instance. Le requérant déclare lui-même n’avoir jamais eu accès à l’aide UNRWA en dépit de son enregistrement (CCE, n° 220747, p. 17). Néanmoins, le CCE lui reconnait la qualité de bénéficiaire de cette aide.

Le raisonnement du Conseil se fonde sur l’arrêt Bolbol de la Cour de justice de l’Union européenne qui exige le bénéfice effectif de l’aide UNRWA pour tomber dans le champ personnel de l’article 1, D, de la Convention de Genève. La preuve du bénéfice effectif de l’aide diffère selon que la personne éligible à l’aide UNRWA est enregistrée ou pas[8]. En cas d’enregistrement, une présomption d’accès à l’aide lui est reconnue[9]. Dans le cas contraire, le requérant doit apporter la preuve du bénéfice effectif de l’aide. Dans la présente espèce, le Conseil reconnait l’existence d’une présomption réfragable d’accès à l’aide de l’UNWRA sur la base de l’enregistrement du requérant auprès de cette instance. En effet, lorsque le requérant est enregistré, la charge de la preuve de l’absence de bénéfice de l’aide de l’UNWRA est renversée : elle repose sur les instances d’asile, non sur les demandeurs d’asile. Dans cette optique, le CCE reproche au CGRA d’exiger du requérant d’apporter la preuve du bénéfice effectif en plus de celle de son enregistrement. En lui reconnaissant ipso facto la qualité de réfugié, le Conseil précise les enseignements de l’arrêt Bolbol au sujet des personnes qui sont enregistrées et éligibles à l’aide UNRWA sans jamais avoir eu accès à cette aide. 

Cet arrêt traduit la difficulté des instances d’asile d’examiner les demandes fondées sur l’article 1, D, de la Convention de Genève. Ces instances mettent en avant le défaut de crédibilité pour écarter les requérants du champ de l’article 1, D. Pourtant, l’examen de crédibilité n’a pas de place dans l’ordre d’examen de l’article 1, D. Cette disposition repose sur des circonstances extérieures à la volonté du requérant[10]. Dans la présente espèce, le Conseil du contentieux des étrangers suit ce raisonnement en se focalisant sur une appréciation objective.

 

C. Pour en savoir plus

Lire l’arrêt

C.C.E., 6 mai 2019, n° 220747.

Jurisprudence :

C.J.U.E. (G.C.), arrêt du 19 décembre 2012, El Kott, C-364/11

C.J.U.E., arrêt du 17 juin 2010, Bolbol, C-31/09

CCE, 31 juillet 2017, n° 190 280

Doctrine :

Carlier, J.-Y., Droit d’asile et des réfugiés – De la protection aux droits, R.C.A.D.I., La Haye, Martinus Nijhoff Publishers, 2008.

Carlier, J.-Y., et Saroléa, S., Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016.

Flamand, C., Les principes de l’exclusion ou de la reconnaissance de plein droit du statut de réfugié pour les demandeurs d’asile palestiniens en Belgique, Cahiers de l’EDEM, octobre 2017, p. 15.

Leboeuf, L. et Saroléa, S. (dir.), La réception du droit européen de l’asile en droit belge : la directive qualification, Louvain-la-Neuve, U.C.L-CeDie, 2014

 

Pour citer cette note : T. Maheshe, « L’enregistrement auprès de l’UNRWA : une présomption réfragable du bénéfice effectif de l’aide », Cahiers de l’EDEM, août 2019.

 


[1] J.-Y. Carlier et S. Saroléa, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 446.

[2] C. Flamand, Les principes de l’exclusion ou de la reconnaissance de plein droit du statut de réfugié pour les demandeurs d’asile palestiniens en Belgique, Cahiers de l’EDEM, octobre 2017, p. 15.

[3] L. Leboeuf  et S. Saroléa (dir.), La réception du droit européen de l’asile en droit belge : la directive qualification, Louvain-la-Neuve, U.C.L-CeDie, 2014, p. 125.

[4] Idem, p. 126.

[6] L. Leboeuf  et S. Saroléa (dir.), op. cit., p. 126.

[7] CJUE (G.C.), arrêt du 19 décembre 2012, El Kott, C-364/11, § 65.

[8] L. Leboeuf et S. Saroléa (dir.), op. cit., p. 123.

[9] CJUE, arrêt du 17 juin 2010, Bolbol, C-31/09, § 52.

[10] J.-Y. Carlier, Droit d’asile et des réfugiés – De la protection aux droits, R.C.A.D.I., La Haye, Martinus Nijhoff Publishers, 2008, p. 242.

Photo : Rudi Jacobs, cce-rvv

Publié le 02 septembre 2019