C.J.U.E., 30 janvier 2024, CR e.a. c. Landeshauptmann von Wien, C-560/20, EU:C:2024:96

Louvain-La-Neuve

Droit au regroupement familial d’un réfugié mineur non accompagné devenu majeur au cours de la procédure du regroupement familial devant la Cour de justice de l’Union

Directive 2003/86 – Droit au regroupement familial – Art. 10, § 3, sous a) – Réfugié mineur non accompagné devenu majeur – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Intérêt supérieur de l’enfant – Droit à l’unité familiale.

La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 30 janvier 2024, a tranché en faveur de l’extension du droit au regroupement familial à la sœur majeure d’un réfugié mineur non accompagné, dépendante de ses parents pour des raisons de santé. Elle a affirmé que la directive 2003/86 protège spécifiquement les réfugiés mineurs non accompagnés en leur accordant un droit au regroupement familial, qui doit aussi couvrir, dans des circonstances exceptionnelles, les membres de la famille nécessitant une assistance permanente due à une maladie grave. Ainsi, la Cour a établi que le droit au regroupement familial ne peut être conditionné par des exigences matérielles, garantissant le maintien de l’unité familiale au-delà des barrières administratives.

Romuald Nama Cuma

A. Arrêt

1. Les faits

L’affaire concerne Jose Hussein (RI), un ressortissant syrien, arrivé en Autriche le 31 décembre 2015 en tant que mineur non accompagné. Il y demande la protection internationale le 8 janvier 2016. RI se voit reconnaitre le statut de réfugié par décision de l’Office fédéral autrichien pour le droit des étrangers et le droit d’asile, le 5 janvier 2017. Trois mois et un jour après, soit le 6 avril 2017, ses parents, CR et GF, ainsi que sa sœur, TY, introduisent auprès de l’ambassade de la République d’Autriche établie en Syrie des demandes d’entrée et de séjour en Autriche à des fins de regroupement familial avec RI. L’ambassade décide de rejeter leurs demandes, estimant que RI était devenu majeur au cours de la procédure de regroupement familial.

Sur la base de l’article 46, § 1, point 2, de la directive 2003/86, CR, GF et TY, en date du 11 juillet 2018, saisissent le chef du gouvernement du Land de Vienne des demandes de titres de séjour à des fins de regroupement familial. À l’appui de leurs demandes, TY a invoqué l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après, CEDH), signée à Rome le 4 novembre 1950. Le chef du gouvernement du Land de Vienne, le 20 avril 2020, rejette leurs demandes parce qu’introduites dans les trois mois à partir de la date à laquelle la qualité de réfugié avait été reconnue à RI. Insatisfaits, les requérants, CR, GF et TY, saisissent le tribunal administratif de Vienne pour contester les décisions prises par l’ambassade et le chef du gouvernement du Land de Vienne à la suite de leurs demandes.

2. Les questions préjudicielles

Saisi par CR, GF et TY, le tribunal administratif de Vienne estime que les réponses à plusieurs questions portant sur l’interprétation de la directive 2003/86 relatives au regroupement familial sont nécessaires à la solution du litige qu’il est appelé à trancher. Ainsi, il saisit la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle à trois fins : premièrement, pour savoir si l’introduction d’une demande de regroupement familial avec un réfugié mineur non accompagné peut être soumise à un délai déterminé lorsque le réfugié devient majeur au cours de la procédure de regroupement familial. Deuxièmement, il s’interroge sur la portée de la faculté pour les États membres d’exiger que le réfugié dispose, pour lui-même et les membres de sa famille, d’un logement, d’une assurance maladie ainsi que de ressources suffisantes, tel que prévu par la directive 2003/86 et transposé en droit autrichien. Troisièmement, s’il convient d’accorder directement sur la base du droit de l’Union un titre de séjour à la sœur d’un étranger qui s’est vu reconnaître la qualité de réfugié si, en cas de refus de ce titre de séjour, les parents du réfugié étaient, de facto, contraints de renoncer à leur droit au regroupement familial au titre de l’article 10, § 3, sous a), de la directive 2003/86.

3. Décision

Dans son arrêt du 30 janvier 2024, la Cour de justice de l’Union européenne constate que les questions préjudicielles soulevées par le tribunal administratif de Vienne s’articulent autour de trois points essentiels : le respect du délai pour introduire une demande aux fins du regroupement familial, l’observation des conditions requises en vue d’un tel regroupement et enfin, la nécessité et l’opportunité d’octroyer un titre d’entrée et de séjour à un membre de la famille du regroupant qui, pour des raisons de maladie grave, est obligé de vivre avec les parents du regroupant.

Sur le délai pour introduire une demande à des fins de regroupement familial, la Cour rappelle l’objectif de l’article 10, § 3, sous a), de la directive 2003/86, qui est de garantir une protection accrue aux réfugiés mineurs non accompagnés en raison de leur vulnérabilité, en favorisant le regroupement avec leurs parents. Au regard de cet objectif, la Cour considère que « tant que le réfugié est mineur, ses parents peuvent introduire une demande d’entrée et de séjour aux fins du regroupement familial avec celui-ci, sur le fondement de l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86, sans être tenus de respecter un délai pour pouvoir bénéficier des conditions plus favorables prévues par cette disposition ». Elle souligne qu’aucun délai déterminé ne sera imposé à ses ascendants directs au premier degré pour introduire la demande d’entrée et de séjour aux fins du regroupement familial avec ce dernier, et cela, même s’il devient majeur au cours de la procédure de regroupement familial.

Sur les conditions à remplir aux fins du regroupement familial, dans la présente affaire, la Cour rappelle les conclusions de l’avocat général dans lesquelles il précise que la lecture combinée des dispositions de l’article 10, § 3, sous a), de la directive 2003/86, et de l’article 4, § 2, sous a), de celle-ci, que les États membres doivent s’abstenir d’exiger du réfugié mineur non accompagné ou de ses parents, de prouver qu’ils répondent aux conditions de l’article 7, § 1, de cette directive lorsqu’ils se fondent sur l’article 10, § 3, sous a), pour introduire une demande d’entrée et de séjour aux fins du regroupement familial avec le réfugié mineur.

Les conclusions de l’avocat général renforcent l’objectif poursuivi par l’article 10, § 3, sous a), de favoriser le regroupement des réfugiés mineurs non accompagnés avec leurs parents et de leur garantir une protection accrue à ces mineurs en raison de leur vulnérabilité particulière. De plus, elles précisent l’économie de la directive 2003/86 mentionnée à son article 12, § 1, qui régit uniquement les demandes relatives aux membres de la famille visés à l’article 4, § 1, de celle-ci, à savoir notamment le conjoint du regroupant ainsi que les enfants mineurs.

Il ressort de la lecture des articles 12, § 1, et 10, § 3, sous a), de cette directive que le législateur de l’Union a consacré deux différents régimes en matière de regroupement familial. Le premier reconnait aux États membres le pouvoir d’exiger au regroupant de satisfaire aux conditions prévues à l’article 7, § 1, de cette même directive dans l’hypothèse où la demande de regroupement familial n’est pas introduite dans un délai de trois mois suivant l’octroi du statut de réfugié. Ce régime s’applique uniquement au regroupement familial d’un réfugié avec les membres de sa famille nucléaire. Le second régime consacré par le législateur de l’Union ne prévoit pas cette possibilité. Il s’applique particulièrement aux réfugiés mineurs non accompagnés avec leurs parents. Selon la Cour, le second régime est conforme non seulement aux obligations visant le respect de la vie familiale découlant de l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[1], mais également, à l’obligation de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant dans tous les actes qui l’impliquent. Se référant au rapport de la Commission européenne soulignant les difficultés qu’éprouvent les réfugiés mineurs non accompagnés et leurs parents à remplir les conditions de l’article 7, § 1, de la directive 2003/86, la Cour considère que « faire dépendre la possibilité du regroupement familial des réfugiés mineurs non accompagnés avec leurs parents du respect desdites conditions reviendrait, en réalité, à priver ces mineurs de leur droit à un tel regroupement, en méconnaissance des exigences découlant de l’article 7[2] et de l’article 24, §§ 2 et 3, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». Par conséquent, les États membres ne devraient pas exiger ni de ce mineur ni de ses parents de satisfaire à cesdites conditions.

Sur la question d’octroi d’un titre d’entrée et de séjour à la sœur majeure d’un réfugié, qui souffre d’une maladie grave nécessitant l’assistance permanente de ses parents, la Cour assure l’effet utile du droit de RI au regroupement familial découlant de l’article 10, § 3, sous a), de la directive 2003/86, ainsi que le respect des droits fondamentaux consacrés à l’article 7 et à l’article 24, §§ 2 et 3, de la Charte. Elle reconnait qu’au regard des circonstances exceptionnelles de la présente affaire, un titre de séjour doit être octroyé à la sœur majeure de RI, ressortissante d’un pays tiers qui, en raison d’une maladie grave, dépend de manière totale et permanente de l’assistance de ses parents lorsqu’un refus d’accorder ce titre de séjour aboutirait à ce que ce réfugié soit privé de son droit au regroupement familial avec ses parents, conféré par cette disposition.

Au regard des circonstances exceptionnelles de l’affaire qui lui est soumise, la Cour estime qu’il est nécessaire, afin d’assurer l’effet utile du droit de RI au regroupement familial avec ses deux parents, qu’un titre d’entrée et de séjour soit également accordé à sa sœur majeure. L’État membre concerné ne saurait non plus exiger que RI ou ses parents remplissent les conditions prévues à l’article 7, § 1, de cette directive au regard de la sœur du réfugié.

La Cour conclut que « l’interprétation de l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86 doit aller dans le sens de faire bénéficier au réfugié mineur non accompagné, le droit au regroupement familial avec ses parents, sans exiger de ceux-ci les conditions prévues à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive, et ce indépendamment de savoir si la demande de regroupement familial a été introduite dans le délai prévu à l’article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, de ladite directive ».

B. Éclairage

L’arrêt commenté s’inscrit dans la suite des décisions prises par la Cour en matière de regroupement familial des réfugiés mineurs non accompagnés. Sa particularité réside, d’une part, dans l’appréciation du délai d’introduction d’une demande aux fins de regroupement familial avec un réfugié mineur non accompagné devenu majeur au cours de la procédure de regroupement familial, et d’autre part, dans la reconnaissance du bénéfice de regroupement familial à la sœur majeure d’un réfugié lorsque celle-ci nécessite l’assistance permanente de ses parents en raison d’une maladie grave.

La particularité relative à l’appréciation du délai amène la Cour à préciser la différence qui existe entre le délai à respecter pour introduire une demande aux fins de regroupement familial avec un réfugié mineur devenu majeur au cours de la procédure de demande d’asile et celui à respecter lorsque le réfugié mineur est devenu majeur au cours de l’examen de la demande de regroupement familial. En effet, dans son arrêt A et S, la Cour a jugé incompatible toute démarche consistant à invoquer le bénéfice de l’article 10, § 3, sous a), « sans aucune limitation dans le temps », afin d’obtenir le regroupement familial, par un réfugié qui avait la qualité de mineur non accompagné au moment de sa demande d’asile mais qui est devenu majeur au cours de la procédure relative à cette demande. Elle a considéré que, dans pareil cas, la demande de regroupement familial fondée sur l’article 10, § 3, sous a), doit intervenir dans un délai raisonnable de trois mois, à compter du jour où le mineur concerné s’est vu reconnaitre la qualité de réfugié (§ 37).

Dans l’affaire commentée, la Cour est invitée à se prononcer sur le délai à respecter pour introduire une demande aux fins de regroupement familial avec un réfugié mineur devenu majeur au cours de la procédure de regroupement. C’est ici que réside toute la différence. Dans la première affaire, le mineur est devenu majeur au cours de la procédure de demande d’asile, alors que dans la seconde, celui-ci l’est devenu au cours de la procédure de demande de regroupement familial. Pour déterminer le délai d’introduction de la demande aux fins de regroupement familial dans le second cas, la Cour interprète l’article 10, § 3, sous a), à l’aune de l’objectif qu’il poursuit, en précisant que « tant que le réfugié est mineur, la demande de regroupement familial peut être introduite sans être tenu de respecter un délai déterminé ». La Cour déduit de cette disposition le droit pour un réfugié mineur non accompagné de bénéficier du regroupement familial avec ses parents, même s’il est devenu majeur au cours de la procédure de regroupement. Elle considère que l’exercice de ce droit ne peut être subordonné au respect des conditions prévues à l’article 7, § 1, de la directive 2003/86, d’après lesquelles le disposant ou ses parents doivent disposer d’un logement, d’une assurance maladie ainsi que de ressources suffisantes. Cette décision de la Cour témoigne de l’intérêt qu’elle accorde à la vulnérabilité particulière des mineurs non accompagnés, qui nécessitent une protection accrue. Elle renforce davantage l’objectif de favoriser le regroupement familial des réfugiés mineurs non accompagnés avec leurs parents, objectif poursuivi par la directive 2003/86. Désormais, les États membres de l’Union devront se conformer à cette décision dans le traitement des demandes introduites aux fins de regroupement familial avec un réfugié mineur devenu majeur au cours de la procédure relative à la demande de regroupement familial.

Par ailleurs, la Cour se fonde sur les principes de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’unité familiale pour reconnaitre que le regroupement familial doit exceptionnellement s’étendre à une sœur majeure d’un réfugié lorsque celle-ci nécessite l’assistance permanente de ses parents en raison d’une maladie grave. Autrement, le réfugié serait, de facto, privé de son droit au regroupement familial avec ses parents, étant donné qu’il est impossible pour ses parents de rejoindre leur fils sans emmener leur fille avec eux. La Cour précise que le bénéfice du regroupement familial dans ce contexte ne peut être soumis au respect des conditions prévues à l’article 7, § 1[3] de la directive 2003/86. Cette décision traduit la prise en compte par la Cour des vulnérabilités liées à des situations de dépendance des ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant. Elle s’écarte cependant de la position qu’elle a adoptée dans l’affaire Bevándorlási és Menekültügyi Hivatal du 12 décembre 2019, dans laquelle elle admet qu’un État membre ne peut autoriser le regroupement familial de la sœur d’un réfugié que si celle-ci est, en raison de son état de santé, incapable de subvenir à ses propres besoins, pour autant que le regroupant soit, au regard de sa situation particulière, à même de lui assurer le soutien matériel requis. 

Quoi qu’il en soit, la décision de la Cour dans l’affaire examinée traduit sa volonté de promouvoir l’intérêt supérieur de l’enfant par la protection du droit à la vie familiale reconnu à réfugié mineur par l’article 7 de la Charte. Elle renforce sa position prise dans l’arrêt Bundesrepublik Deutschland dans lequel elle a admis que la directive 2003/86 doit être interprétée et appliquée dans toutes ses dispositions conformément aux articles 7 et 24, § 2, de la Charte, comme cela ressort de l’article 5, § 5, de cette directive, qui oblige les États membres à examiner les demandes de regroupement familial dans l’intérêt des enfants concernés et dans le souci de favoriser la vie familiale[4] (§ 50).

En reconnaissant le bénéfice du regroupement familial à la sœur majeure d’un réfugié lorsque celle-ci nécessite l’assistance permanente de ses parents en raison d’une maladie grave, la Cour confirme la nécessité d’une interprétation large des principes de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’unité familiale, et assure la reconnaissance d’une protection appropriée à cette catégorie de personnes.

C. Conclusion

Cette décision de la Cour constitue une avancée significative en matière de protection et de promotion du droit au regroupement familial d’un mineur non accompagné devenu majeur au cours de la procédure de regroupement. La promotion du droit à la vie familiale et la volonté de protéger l’intérêt supérieur d’un réfugié mineur non accompagné amènent la Cour à considérer qu’un mineur non accompagné dispose du droit au regroupement familial avec ses parents même s’il est devenu majeur au cours de la procédure de regroupement familial. La Cour reconnait que le regroupement familial doit exceptionnellement s’étendre à une sœur majeure lorsque celle-ci nécessite l’assistance permanente de ses parents en raison d’une maladie grave. Le cas contraire reviendrait à priver de facto la personne réfugiée de son droit au regroupement familial avec ses parents.

D. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : C.J.U.E. (gde ch.), 30 janvier 2024, CR e.a. c. Landeshauptmann von Wien, C-560/20.

Législation :

Jurisprudence :

Doctrine :

Pour citer cette note : R. Nama, « Droit au regroupement familial d’un réfugié mineur non accompagné devenu majeur au cours de la procédure du regroupement familial devant la Cour de justice de l’Union européenne », Cahiers de l’EDEM, février 2024.

 

[1] L’article 24 de la Charte dispose que 1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. 2. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privés, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. 3. Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt.

[2] L’article 7 de la Charte dispose que : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications ».

[3] L’article 7, § 1, de la directive 2003/86 exige au réfugié de disposer, pour lui-même et les membres de sa famille, d’un logement, d’une assurance maladie ainsi que de ressources suffisantes.

[4] C.J.U.E., 12 avril 2018, A et S, C‑550/16, EU:C:2018:248.

Publié le 08 mars 2024