Optimiser les procédés chimiques de fabrication

Les industries alimentaire et pharmaceutique cherchent en permanence à améliorer l’efficacité et la sûreté des procédés chimiques sur lesquels repose la fabrication de leurs produits. L’équipe du Professeur De Wilde s’est dotée de réacteurs pilotes uniques au monde pour aider à relever ces défis.

Malgré la pluie qui tombe en abondance, Juray De Wilde ne cache pas sa satisfaction quand nous approchons du bâtiment qui abrite son laboratoire : « Les essais avec le nouveau pilote ont commencé », se réjouit-il à la vue du panache de fumée blanche qui s’élève d’une cheminée métallique flambant neuve. A l’intérieur du bâtiment, des chercheurs, dont Axel de Broqueville avec qui il a développé ce type de réacteur, s’affairent autour d’une cuve métallique au milieu d’un fouillis de fils et tubes en tous genres. « C’est un de nos deux réacteurs pilotes uniques au monde, présente Juray De Wilde. Ici, nous transformons du lait liquide en poudre de lait ». On comprend mieux son contentement à la vue de la vapeur d’eau qui s’échappe : le processus de séchage semble fonctionner.

Professeur au sein de l’Institute of Mechanics, Materials, and Civil Engineering (iMMC) de l’Ecole Polytechnique de l’UCLouvain, Juray De Wilde résume ses recherches d’une phrase lapidaire : « Nous travaillons sur la modélisation et le dimensionnement des réacteurs. » Réacteur est évidemment à entendre ici dans le sens chimique du terme, comme volume où se déroule des réactions chimiques (lire l’encadré). « L’objectif est de réaliser des réactions le plus efficacement possible mais aussi de manière la plus contrôlée et sûre possible. ». De multiples phénomènes se produisent dans les réacteurs et il faut tenir compte de ce qui se passe à des échelles très différentes. Le travail des chercheurs louvanistes consiste en une modélisation fondamentale de ce qui se déroule dans les réacteurs afin d’identifier pour des procédés donnés les étapes lentes et d’y remédier avec des nouveaux concepts de réacteurs permettant des conditions d’opération uniques. « Pour chaque phénomène qui s’y déroule, nous devons disposer d’équipements qui permettent de l’étudier spécifiquement ; il y a trop de paramètres pour pouvoir étudier directement l’ensemble », se désole Juray De Wilde. Les modèles globaux qui couplent la description des différents phénomènes doivent néanmoins être validés. Avec l’aide de partenaires industriels, son équipe a donc conçu et construit deux réacteurs pilotes permettant des mesures détaillées pour valider les modèles de simulation qui sont utilisés pour la mise à l’échelle de deux nouvelles technologies d’importance industrielle, le réacteur à lit fixe structuré et le réacteur à lit fluidisé high-G.

Intensifier la gravité

En ce qui concerne les réacteurs à lits fluidisés, leur principe repose sur l’injection d’un fluide sous un lit de particules afin de mélanger ce fluide à ces éléments solides et permettre de donner à ceux-ci certaines propriétés de ce fluide. De manière imagée, c’est comme si on injectait un gaz ou un liquide sous pression sous un lit de sable. Le fluide va soulever et disperser les grains de sable. Une limite au bon fonctionnement de ces réacteurs va être la loi de la gravité. Car, si un gaz passe à trop grande vitesse à travers un lit de particules, celles-ci vont avoir tendance à s’envoler. Gaz et particules vont se mélanger inadéquatement, ce qui nécessitera de les séparer par la suite. On a donc intérêt à ce que les particules ne soient pas entraînées par le fluide. Comment intensifier la gravité ? Par la force centrifuge, répondent les chercheurs. Une force puissante, propre à garder les particules près de la paroi du réacteur même si un gaz passe à travers à grande vitesse. Sauf que pour cela, il faudrait faire tourner le réacteur à grande vitesse. Difficilement imaginable quand on voit la taille des réacteurs utilisés dans l’industrie. « Nous avons donc imaginé de faire plutôt tourner le fluide injecté et pour cela, nous l’injectons tangentiellement à travers des fentes dans la paroi cylindrique du réacteur, explique le Professeur De Wilde. On arrive ainsi à générer un lit rotatif à grande vitesse rotationnelle, donc une grande force centrifuge. C’est comme si on opérait sous une gravité 10 ou 100 fois plus élevée.» Qu’est-ce que cela change pour les réactions ? Si gaz et particules ont des vitesses très différentes, les transferts de matière et de chaleur entre les deux sont plus efficaces. Mais cela permet aussi de travailler avec des particules beaucoup plus fines, la force centrifuge les empêchant de s’envoler. « Nous pouvons ainsi encore accroître le contact fluide-particules et envisager des nouvelles applications avec des particules ultrafines. »

Des poudres alimentaires

Ce type de réacteur permet des applications essentielles pour l’industrie pharmaceutique et alimentaire, sur lesquelles a travaillé le laboratoire louvaniste. Cette technique permet notamment d’enrober des particules de 40 microns d’une fine couche d’un micron, par exemple pour masquer un mauvais goût. Enrobage qui permet aussi de régler la vitesse de libération du composant actif dans le corps. Et cela doit être réalisé en flux tendu, sur un nombre immense de particules et avec un minimum d’agglomération ou avec agglomération contrôlée ! Sacré défi. Ou encore, de mélanger des particules différentes au sein d’agglomérats qui doivent tous avoir la même composition ! « D’autres partenaires industriels nous ont demandé de produire des poudres alimentaires avec cette technique. Et on travaille maintenant avec une société laitière qui aimerait produire de façon beaucoup plus efficace de la poudre de lait, seule solution pour des exportations lointaines de ce produit. » D’où le panache de fumée blanche qui s’élevait au-dessus du réacteur pilote à lit rotatif….

Une question de transfert de chaleur

Le cheval de bataille de l’industrie chimique reste cependant le réacteur à lit fixe. Celui-ci présente en son centre une structure solide fixe contenant un catalyseur et sur laquelle vont circuler le(s) fluide(s) qui réagissent alors avec ce catalyseur. « C’est le catalyseur qui permet d’accélérer les réactions de façon drastique et sélective », explique Juray De Wilde. Mais l’utilisation des particules introduit des limitations. Perte de pression et transfert de chaleur sont des aspects très importants. Il faut savoir en effet que les réactions sont soit très endothermiques (elles consomment de la chaleur) soit exothermiques (elles en émettent), ce qui nécessite soit de fournir, soit d’ôter cette chaleur en continu, ce qui se fait par échange à travers la paroi du réacteur et de là à travers le lit. C’est d’ailleurs souvent cet échange de chaleur qui détermine la taille du réacteur et la capacité de production. « Si on veut améliorer le transfert de chaleur, explique Juray De Wilde, le prix à payer est une augmentation de la perte de pression. Dans notre laboratoire, nous travaillons sur la structuration du lit, ce qui permet de modifier cette relation et donc augmenter la capacité de production de manière significative pour une même taille de réacteur. »

Valider les modèles de transfert et de réaction, notamment pour le vaporeformage du méthane (gaz naturel) est la raison d’être du second réacteur pilote qui sera bientôt opérationnel sur le site de l’UCLouvain. Une technique qui sert à la production d’hydrogène ou d’un mélange d’hydrogène et de CO (gaz de synthèse) utilisé pour la production d’ammoniac et de méthanol, deux intermédiaires chimiques parmi les plus importants pour l’industrie puisque le premier est utilisé pour la production des engrais, l’autre est la base de différentes synthèses chimiques.

Henri Dupuis

Lire aussi : Booster les réactions chimiques avec un catalyseur hybride

Les réacteurs chimiques

En chimie, un réacteur est une enceinte où se déroule une réaction chimique, donc un procédé de transformation de la matière. Il en existe évidemment de nombreux types. Pour les réactions chimiques lentes, il faut les faire se dérouler en présence de catalyseurs, substances qui vont accélérer les réactions de façon sélective. Dans un réacteur à lit fixe, les particules de catalyseur sont empilées dans le réacteur en un ‘lit’ qui reste immobile. Le fluide avec les réactifs traverse ce lit. De même dans un réacteur à lit fluidisé, mais ici les particules de catalyseur sont en mouvement, permettant une alimentation et une évacuation de façon continue. Les particules sont en général plus fines qu’en lit fixe. Dans beaucoup de procédés, maitriser la chaleur de réaction est critique, aussi bien pour optimiser la conversion des réactifs que pour la sécurité – la conception des réacteurs doit en tenir compte.

Coup d’œil sur la bio de Juray De Wilde

En étant attiré pas les sciences, Juray De Wilde a peut-être réalisé la synthèse des passions de ses parents : son père est philosophe, sa mère violoniste à l’opéra de Gand. La science, n’est-ce pas ce qui tutoie l’art et la philosophie ? « Je me suis lancé dans l’aventure de l’examen d’entrée aux études d’ingénieur civil. Je l’ai réussi… alors j’ai continué ! ». Le voilà donc diplômé de l’université de Gand, sa ville natale, en 1995. Un choix qu’il ne regrette pas du tout aujourd’hui : « Le métier d’ingénieur est un beau métier, il oblige à prendre ses responsabilités, il n’y a pas de place pour les erreurs et l’on est confronté aux limites du pratique donc il faut tirer son plan d’une manière ou d’une autre. » Docteur en 2001, il accomplit un postdoc à Princeton et à Gand puis rejoint l’UCLouvain à partir de 2005. En 2012-2018, il est responsable de la division Materials and Process Engineering Division (IMAP). Depuis 2019 il est président de l’Ecole doctoral thématique FNRS en Génie de Procédés. En 2015-2016, invité par le Département d’Energie des Etats-Unis il reçoit une nomination de l’Oak Ridge Institute for Science and Education pour collaborer avec le National Energy Technology Laboratory et différentes universités américaines, entre autres Columbia University. Le Professeur Juray De Wilde est co-auteur de la ‘bible’ des réacteurs chimiques, Chemical Reactor Analysis and Design (John Wiley & Sons, 2010).

 

Publié le 16 juin 2020