Booster les réactions chimiques avec un catalyseur hybride

Damien Debecker et son équipe ont développé un catalyseur hybride qui permet de réaliser des réactions chimiques en cascade qui n’avaient jamais été produites auparavant avec une telle efficacité. Une invention bien utile pour améliorer nos procédés chimiques. À terme, certains médicaments pourraient être produits de manière plus verte. Aussi, des molécules issues de la biomasse, comme par exemple le glycérol, cette molécule "déchet", pourrait plus rapidement être transformée en vue de la fabrication de biopolymères.

Si l’envie vous prend un jour de jouer à l’apprenti chimiste, une des premières notions à laquelle vous devrez vous frotter est la catalyse. Le terme provoque chez vous une réaction de curiosité ou d’aversion ? N’abandonnez pas en pensant que tout ceci est hors de votre portée. Malgré son nom qui fait songer à « cataclysme », la catalyse n’a rien d’effrayant. Et provoquer des réactions est bien le propre de la catalyse ! Elle fait partie intégrante de notre vie quotidienne : en toute discrétion, elle est en fait à la base de milliers de réactions chimiques qui se produisent naturellement dans notre environnement ou au sein de nos industries.

Car la catalyse c’est « accélérer une réaction chimique », explique Damien Debecker, Professeur à l’UCLouvain et chercheur au Institute of Condensed Matter and Nanosciences. « Et 90% des produits industriels plastiques, textiles, ménagers, pharmaceutiques, carburants, etc. sont fabriqués grâce à la catalyse et donc à l’aide de catalyseurs ». De la fabrication du pain avec les enzymes de la levure du boulanger aux pots catalytiques de nos voitures visant à réduire la nocivité des gaz d'échappement, la catalyse est partout. Il est donc important de comprendre ce qu’est un catalyseur et surtout de trouver les meilleurs catalyseurs possibles pour optimiser les procédés chimiques. Ce sont eux qui permettent de faire réagir de manière efficace deux substances (ou réactifs) mises en présence l’une de l’autre pour former un nouveau produit de manière sélective.

Catalyseurs hybrides pour réactions en cascades

C’est précisément ce à quoi s’attèlent Damien Debecker et son équipe de recherche : trouver de nouveaux catalyseurs pour le développement de procédés chimiques durables tels que la valorisation de molécules issues de la biomasse - comme le glycérol pour fabriquer par exemple des biopolymères - , la conversion du CO2 en « e-fuels », la synthèse plus verte de molécules à haute valeur ajoutée pour l'industrie pharmaceutique, ou encore les biocarburants. « Il y a trois sous-catégories de catalyseurs », explique le chercheur, « les premiers sont les catalyseurs homogènes qui sont des substances qui se dissolvent dans un milieu réactionnel liquide pour ne former qu’une seule phase. Les seconds sont les catalyseurs hétérogènes qui, eux, sont solides et insolubles dans le milieu réactionnel. Ce qui est intéressant car on peut dès lors les récupérer et les réutiliser après que la réaction a eu lieu. Et enfin, le dernier type de catalyseurs sont les enzymes, ces protéines qui ont pour rôle de favoriser les réactions chimiques au sein des cellules vivantes, soit les réactions biochimiques. Ces trois types de catalyseurs sont généralement utilisés dans différents domaines d’application ; c’est une science relativement compartimentée ».

L’équipe de Damien Debecker se concentre essentiellement sur le développement de nouveaux catalyseurs hétérogènes. Mais il s’intéresse également aux enzymes. « Les enzymes sont solubles, elles ont été développées par la nature au cours de l’évolution darwinienne et sont donc spécialisées pour réaliser avec une grande efficacité une réaction chimique bien précise. Ce sont des catalyseurs « parfaits » mais qu’on n’arrive pas à reproduire en chimie et dont la manipulation est délicate », précise Damien Debecker. Pour certaines, applications, il parait intéressant de combiner les deux types de catalyse. Par exemple pour réaliser une réaction en cascade, où l’enzyme réalise une première transformation, dont le produit sert ensuite de substrat au catalyseur synthétique hétérogène.

Des microsphères chargées d’enzymes

L’idée de Damien Debecker est d’immobiliser des enzymes directement sur un catalyseur solide pour éviter qu’elles se dissolvent et pouvoir les récupérer après la réaction. « C’est faire le pont entre la catalyse hétérogène et enzymatique » résume le chercheur. Un défi que son équipe a récemment réussi à relever et dont les résultats ont été publiés dans la prestigieuse revue Chemical Science. Pour ce faire, les scientifiques ont imaginé un catalyseur hybride qui conjugue l’effet d’un catalyseur solide et d’une enzyme. La piste qu’ils ont suivie pour créer un tel catalyseur est celle des zéolites, catalyseurs solides créés par les chimistes et dont la structure est microporeuse. « Mais les pores des zéolites sont trop petits pour pouvoir y faire entrer des enzymes et les zéolites présentent peu de points d’ancrages pour pouvoir fixer les enzymes à leur surface », poursuit Damien Debecker. C’est ici qu’intervient la créativité des chercheurs. Pour déjouer cet obstacle, ils ont utilisé un procédé aérosol pour créer des microsphères de nanocristaux de zéolites, utilisées comme toutes petites briques de construction assemblées entre elles pour former une sphère creuse. « Cette astuce nous a permis de charger l’intérieur des microsphères avec les enzymes et d’obtenir ainsi un vrai catalyseur hétérogène hybride ! », révèle le chercheur. « On a ainsi deux entités catalytiques « pour le prix d’une » et les microsphères peuvent contenir une grande quantité d’enzymes, ce qui renforce encore les capacités catalytiques de ce dispositif. Ce solide bi-fonctionnel permet en effet de réaliser des réactions en cascades qui n’avaient jamais été produites auparavant avec une telle efficacité ».

Tester le concept pour valoriser la biomasse

La réaction ciblée avec ce nouveau catalyseur était une réaction modèle pour tester le principe de ce catalyseur hybride basé sur l’encapsulation d’enzymes dans des microsphères de zéolites. « Ce nouveau design de catalyseur hybride a fait ses preuves sur notre réaction cascade modèle ; mais c’est prometteur pour d’autres types de réactions ! », précise Damien Debecker. Il s’agit maintenant d’identifier les réactions en cascade pour lesquelles il y a un grand intérêt à travailler avec cette combinaison zéolites-enzymes afin de synthétiser de nouvelles molécules intéressantes, de réduire la complexité ou d’intensifier les procédés chimiques actuels. « Dans un projet qui vient de débuter, nous étudions si notre concept peut être appliqué à d’autres réactions, notamment axées sur la valorisation de la biomasse. Comme par exemple pour valoriser le glycérol, une molécule « déchet » qui doit subir deux étapes catalytiques pour être transformée en acide lactique qu’on utilise pour fabriquer des biopolymères ».

Audrey Binet

 

Publié le 06 février 2020