Une technologie UCL dans chaque smartphone

La Médaille Blondel, le SOI Consortium Award. De prestigieuses récompenses décernées à Jean-Pierre Raskin, professeur au Pôle en ingénierie électrique de l'UCL, pour la technologie qu'il a découverte en matière de télécommunications sans fil (RF). L'innovation est telle qu'elle équipe 100% des dernières générations de smartphones et tablettes.

La technologie mise au point par Jean-Pierre Raskin, professeur au Pôle en ingénierie électrique de l'ICTEAM de l’UCL, n'est commercialisée que depuis 2012. Et si, aujourd'hui, tous les smartphones en sont équipés, aucun utilisateur ne l'a remarqué. Mais les fabricants s'en frottent les mains... Car le coût de production des appareils utilisant les communications sans fil, comme les smartphones et tablettes, s'en trouve sensiblement diminué. L'innovation est telle qu'après avoir obtenu la médaille Blondel, un prestigieux prix international récompensant des recherches dans les domaines de la science et de l'industrie électrique ayant un impact majeur sur la société, Jean-Pierre Raskin vient d'être récompensé par le SOI Consortium, qui regroupe les plus grandes entreprises internationales évoluant dans le domaine de la microélectronique, pour ses travaux sur la technologie SOI (Silicone-on-Insulator) dans le domaine des télécommunications sans fil (RF). C'était le 10 septembre 2016, à Shanghai.

Moins cher et plus durable

Entre Jean-Pierre Raskin et les RFSOI, l'aventure ne date pas d'hier... Le chercheur a commencé à étudier les radiofréquences silicium sur isolant durant sa thèse de doctorat. Et si celle-ci est terminée depuis 1997, il ne les a jamais vraiment quittées... Au fil des ans, il est parvenu à développer une technologie capable d’éliminer les interférences au sein des circuits électroniques intégrés des appareils utilisant les radiofréquences (smartphones, tablettes,...) grâce à l'utilisation de ces RFSOI. Une découverte faite aux côtés de Dimitri Lederer, qui réalisait à l'époque une thèse sur le sujet.

Auparavant, les fabricants des appareils communicants utilisaient de l'arséniure de gallium ou du phosphure d'indium comme substrats (bases sur lesquelles sont montés les circuits électroniques). Des matériaux stables, mais rares et coûteux. « Cela fonctionnait, précise le professeur. Mais cela coûtait cher. Ce sont aussi des matériaux rares, ce qui impliquent des conditions d'extraction et un traitement peu éthiques et peu écologiques. Au contraire du silicium, qui est de la silice fondue, soit du sable. »

Depuis toujours, les fabricants cherchaient donc à mettre au point une technologie utilisant le silicium. Mais le matériau lui-même perturbait le bon fonctionnement des circuits en étant peu résistant aux couplages parasites entre les circuits et en diminuant leur vitesse de réaction.

Jean-Pierre Raskin a eu l'idée d'ajouter un isolant, du dioxyde de silicium, au sein du substrat en silicium lui-même. Mais cela n'a pas suffi... « Des électrons se logeaient entre le substrat et la couche de dioxyde de silicium, explique-t-il. La solution : les empêcher de bouger. Pour cela, on a dégradé le matériau. On a créé des pièges à l’interface entre la couche de dioxyde de silicium et le substrat de silicium pour éviter que les électrons se déplacent et engendrent des pertes électromagnétiques. Le cheminement est plus chaotique, donc le matériau devient plus résistif. On a choisi de détériorer la qualité du matériau, et c'est paradoxal, car dans la microélectronique, les fabricants veulent toujours réaliser des interfaces sans défaut ! Mais cela fonctionne, c'est ce qui compte. »

Une systématisation rapide

Cette découverte a très vite intéressé de nombreuses entreprises à travers le monde, dont SOITEC, société leader dans le développement de substrats à base de silicium pour les applications de la microélectronique. Le développement de cette technologie a également été soutenu par QORVO, une grosse entreprise américaine ayant de très importantes parts de marché dans la fabrication de circuits électroniques spécifiques pour les smartphones.

Le produit, commercialisé au printemps 2012, présente un avantage non négligeable : il permet aux fabricants d'utiliser les mêmes machines de production qu'auparavant. Son usage s'est donc rapidement généralisé. Aujourd'hui, 100% des smartphones produits depuis lors intègrent cette technologie développée à l'UCL.

« Avec le silicium, le smartphone coûte moins cher et consomme moins d'énergie, constate Jean-Pierre Raskin. L'utilisateur ne remarque peut-être pas que son prix diminue, mais c'est parce que son téléphone est de plus en plus performant. Personnellement, je pense qu'à un moment, il faut arrêter de rechercher la performance et moins consommer. C'est d'ailleurs dans ce sens que j'oriente mes recherches : ne plus chercher la performance sans éthique, suivre le cheminement du minerai depuis son extraction, sa purification, la fabrication des circuits électroniques, le packaging, la vente et le recyclage. Bref, aller vers une économique la plus circulaire et la plus juste possible. »

Une aventure humaine

Malgré l'importance technologique de sa découverte, ce que Jean-Pierre Raskin en retient, c'est le facteur humain. « C'était assez excitant car personne n'y croyait vraiment, au début. En détériorant l'interface, nous sommes allés à contre-courant de la pratique habituelle. De nombreux emplois ont été créés chez SOITEC, qui finance par ailleurs d'autres recherches ici, à l'UCL. » Et d'ajouter : «La recherche est sortie du labo. Cela nous a permis de nous frotter à des gens de terrain, qui viennent avec de bonnes questions. Ce genre de démarche nous bouscule, nous booste. Le lien fort avec l'entreprise est extrêmement salutaire et renforce la recherche fondamentale. Nous avons pu avoir des interactions avec des personnes qui vivent des choses différentes mais nous nous rejoignons sur les mêmes questions.  Il faut arrêter d'opposer l'académique et l'industriel. »

Depuis cette découverte, 3 nouveaux chercheurs poursuivent ces travaux, qui ont offert au laboratoire en ingénierie électrique de l'UCL une reconnaissance internationale. Grâce à ce succès commercial s'est également créée une spin-off de l'UCL, Incize, qui mesure la performance électrique de toutes ces technologies SOI et qui occupe plusieurs emplois.

Anne-Catherine De Bast

​​​​​​Quelques hyperliens :

http://www.advancedsubstratenews.com/2016/02/rf-soi-innovator-jp-raskin-his-teams-work-is-in-your-smartphone-awarded-blondel-medal/
http://incize.com/
https://www.see.asso.fr/fichier/14602_rf-soi-100-nos-smartphones
http://www.microwavejournal.com/articles/25255-rf-soi-revolutionizing-rf-system-design?v=preview
http://www.soiconsortium.org/
https://www.soitec.com/media/upload/3_publications/RFSOI/soitec_rf-soi_substrates_wp.pdf
https://www.soitec.com/fr/produits/rf-soi-for-front-end-module
http://www.advancedsubstratenews.com/?s=rf+soi

Coup d'oeil sur la bio de Jean-Pierre Raskin

Jean-Pierre Raskin

Jean-Pierre Raskin est professeur ordinaire et président du Pôle en ingénierie électrique de l'UCL. Il a obtenu un doctorat en sciences appliquées à l'UCL en 1997. En 1998, il rejoint l'Université du Michigan, où il est impliqué dans le développement de techniques de micro- et nano-fabrication pour la réalisation de circuits aux ondes millimétriques.

En 2000, il intègre le laboratoire à micro-ondes de l'UCL en tant que chargé de cours, puis devient professeur titulaire en 2007.
Ses intérêts de recherche sont la modélisation, la caractérisation large bande et la fabrication de dispositifs semi-conducteurs avancés ainsi que la micro et nanofabrication de capteurs et actionneurs MEMS/NEMS, y compris l'extraction des propriétés intrinsèques des matériaux à l'échelle nanométrique. Il a supervisé 37 doctorants (28 thèse accomplies) et 20 post-doctorants. Il a publié plus de 270 articles dans des revues internationales. Il a obtenu l'IC Industry Awards 2006 - Recherche & Développement, le Prix en nanotechnologies Marcel De Merre 2009, le Leverhulme Trust, le Leverhulme Award 2009, la Médaille Blondel 2015 et le SOI Consortium Award 2016

Publié le 09 décembre 2016