Cour eur. D.H., 18 juillet 2023, Camara c. Belgique, req. n° 49255/22

Louvain-La-Neuve

L’exécution des décisions de justice relatives à l’accueil des demandeurs de protection internationale fait partie intégrante du procès au sens de l’article 6, § 1, CEDH

Crise de l’accueil – Accueil conforme à la dignité humaine – Loi belge du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile – Article 3 CEDH – Carence systémique – Exécution des décisions de justice – Procès équitable – Article 6 CEDH.

La carence systémique d’exécution des décisions de justice relatives à l’accueil des demandeurs de protection internationale emporte, par la Belgique, violation du droit à un procès équitable tel que garanti par l’article 6, § 1, CEDH.

Guelor PALUKU MATATA

A. Arrêt

1. Faits

Le requérant, M. Abdoulaye Camara est un ressortissant guinéen. Il arrive sur le territoire belge en date du 12 juillet 2022 en quête de la protection internationale. Trois jours plus tard, il se présente à l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs de protection internationale (ci-après « Fedasil »). Il sollicite le droit à hébergement ainsi qu’à une assistance matérielle tel que garantis par la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile en Belgique.

En date du 15 juillet 2022, le requérant est informé par Fedasil de l’indisponibilité d’une place pour son hébergement. La saturation du système d’accueil belge annoncée depuis le 15 septembre 2021 est la raison principale évoquée par Fedasil. Par requête unilatérale, il saisit en référé le tribunal du travail de Bruxelles. En date du 22 juillet 2022, une ordonnance exécutoire par provision enjoint à Fedasil de mettre en œuvre le droit à l’accueil du requérant. Constatant l’inexécution de cette ordonnance, il saisit la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « la Cour »). Par une requête du 22 octobre 2022, il demande à la Cour de rendre une mesure provisoire enjoignant à la Belgique d’exécuter l’ordonnance précitée. La Cour répond favorablement à cette demande en date du 31 octobre 2022.

Le 4 novembre 2022, le requérant reçoit un hébergement au centre de la Croix-Rouge d’Evere. Toutefois, il estime que la décision de Fedasil du 15 juillet 2022 l’a contraint à vivre dans la rue et que cela l’a empêché de mener une vie conforme à la dignité humaine. Ainsi, en date du 25 novembre 2022, il dépose devant la Cour une requête contre la Belgique dénonçant la violation des articles 3, 6, § 1, 8 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après la « CEDH »).

2. Décision de la Cour

– Sur la recevabilité

La Cour note que seul le grief formulé sous l’angle de l’article 6, § 1, de la Convention est recevable. Son raisonnement est fondé sur trois éléments. Premièrement, le droit à l’hébergement et à l’assistance matérielle des demandeurs de protection internationale a été reconnu au requérant par le tribunal du travail de Bruxelles, et ce sans contestation de la part du gouvernement belge. Ensuite, ce droit revêt un caractère « civil » au sens autonome conféré par la jurisprudence de la Cour. Enfin, l’ordonnance du tribunal ci-avant cité n’a pas été exécutée de manière spontanée par les autorités belges alors qu’elle était exécutoire par provision. Dans ces conditions, le requérant bénéficiait d’un droit au sens de l’article 6, § 1, CEDH. La Cour a, dès lors, déclaré recevable le grief tiré de l’article 6, § 1, CEDH (§§ 91, 92 et 93).

Sur les griefs tirés de l’article 3 et 8, la Cour indique que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. Le raisonnement ayant conduit à l’irrecevabilité de ces griefs met en exergue deux éléments. D’une part, la non-utilisation, par le requérant, du recours en responsabilité extracontractuelle de l’État consacré par l’article 1382 du Code civil belge, et d’autre part, le défaut d’évocation, en interne, des violations du droit au respect à la vie privée et familiale du requérant (§§ 131-136).

– Sur le fond

La Cour conclut à la violation de l’article 6, § 1, CEDH par l’État belge. Son raisonnement démontre que le gouvernement belge a délibérément refusé d’exécuter une décision exécutoire par provision et devenue définitive (§ 121). Selon la Cour, les faits dans l’affaire en l’espèce ne sont pas isolés. Ils s’inscrivent dans la suite de plusieurs autres décisions définitives non exécutées. Un tel état traduit une carence systémique des autorités belges d’exécuter les décisions de justice définitives relatives à l’accueil des demandeurs de protection internationale (§ 118). Cette carence produit deux types d’effets néfastes. Non seulement, elle porte atteinte à la substance même du droit protégé par l’article 6, § 1, CEDH (§ 121), mais aussi elle grève lourdement le fonctionnement d’une juridiction nationale et celui de la Cour elle-même (§ 119).

B. Éclairage

La manière dont la condition d’épuisement des voies de recours internes est appliquée quant aux articles 3 et 8 nous paraît peu flexible. Cela fera l’objet d’un premier éclairage (1). Sur le fond, l’objectif de sanctionner la Belgique pour la carence systémique d’exécuter les décisions de justice relatives à l’hébergement des demandeurs d’asile ressort assez clairement (2). Sans reprendre telle quelle la position du Comité des droits de l’homme des Nations unies dans l’affaire Albert Womah Mukong c. Cameroun selon laquelle les difficultés financières d’un État ne peuvent pas justifier la violation des conditions minimales des détenus en prison (§ 9.3), la Cour indique que l’insuffisante capacité d’accueil d’un État ne peut pas justifier du retard dans l’exécution des décisions de justice (3). De même, elle indique, sans trop argumenter, que le droit à l’hébergement a un caractère civil et rentre dans le champ d’application de l’article 6, § 1, CEDH (4).

1. Une application « peu souple » de l’article 35 CEDH

Le raisonnement de la Cour sur la recevabilité du grief tiré de l’article 3 CEDH nous semble refléter une application peu souple de la règle de l’épuisement des voies de recours internes. En effet, la Cour a déclaré non-recevable ce grief pour non-respect des conditions fixées par l’article 35 CEDH. Ce dernier dispose, entre autres, que « La Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes […] ». Pourtant, il ressort de sa jurisprudence constante sur la recevabilité que cette règle doit s’appliquer avec souplesse et sans formalisme excessif. Cela implique deux situations différentes. D’une part, au sens de l’arrêt Fressoz et Roire c. France, « qu’il n’est pas nécessaire que le droit consacré par la Convention soit explicitement invoqué dans la procédure interne. Si le requérant n’a pas invoqué les dispositions de la Convention, il doit avoir soulevé des moyens d’effets équivalents ou similaires fondés sur le droit interne, afin d’avoir donné l’occasion aux juridictions nationales de remédier en premier lieu à la violation alléguée ». D’autre part, le requérant n’est pas obligé d’épuiser les voies de recours essentiellement indemnitaires car elles n’offrent pas directement un « remède ». Il s’agit, selon la professeure Sylvie Sarolea, d’une application in concreto de l’article 35 CEDH.

Selon la Cour, les violations alléguées des droits consacrés par l’article 3 CEDH ont cessé après l’octroi d’un hébergement au requérant. Elle note qu’en pareilles circonstances, l’ordre juridique interne de la Belgique met à la disposition de la victime un recours en responsabilité extracontractuelle de l’État. Ce recours est fondé sur l’article 1382 du Code civil belge. À ce titre, « tout grief soumis à la Cour, après cessation des violations alléguées, doit impérativement épuiser le recours en responsabilité contre la puissance publique sous peine d’irrecevabilité » (§§ 131 et s.). Le requérant devrait, dès lors, retourner devant les juridictions internes pour ce grief-là. Pourtant, cela ne lui aurait pas évité de dormir dans la rue sans assistance matérielle.

Dans une opinion dissidente à l’arrêt, le juge Krenc soutient qu’une dénonciation, devant les juridictions internes, de la violation du droit à l’accueil se fait généralement sur la base « des moyens d’effets équivalents à l’article 3 de la CEDH ». À ce titre, le requérant aurait épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne le grief tiré de l’article 3 CEDH. Exiger, du requérant, un retour devant les juridictions internes pour agir en responsabilité contre l’État, après la saisine de la Cour, « paraît constituer une entrave excessive et disproportionnée à l’exercice du droit de recours individuel tel que consacré par l’article 34 de la Convention » (§ 6 de l’opinion dissidente). En tant que juge de nationalité belge et donc particulièrement informé de la situation en Belgique, son opinion nous paraît très pertinente. Elle part de l’idée qu’en Belgique, l’effectivité du recours en responsabilité contre la puissance publique est entachée de doute.

En ce sens, sans reprendre telles quelles les réflexions de Sylvie Sarolea se demandant si « les mesures provisoires de la Cour constituent un baromètre de l’effectivité des recours internes en doit de l’immigration », ce juge est d’avis que la Cour avait déjà des doutes sur l’effectivité de ce recours alors qu’elle rendait la mesure provisoire en faveur du requérant. Elle savait également, au regard de son arrêt Clasens c. Belgique, que « le recours en responsabilité contre l’État fondé sur l’article 1382 du Code civil ne constitue pas un recours effectif à épuiser dès lors qu’étant de nature indemnitaire, il s’avère impuissant à améliorer les conditions de vie du requérant. Ainsi, le requérant n’est pas tenu d’épuiser le recours indemnitaire, alors même que la violation alléguée avait cessé peu de temps après l’introduction de la requête devant la Cour » (§§ 27 et 28).

Dès lors que cela n’est pas contesté, la Cour aurait pu déclarer recevable le grief tiré de l’article 3 CEDH. Cela aurait permis d’envoyer à la Belgique un signal fort sur l’impérieuse nécessité de mettre en œuvre le droit à l’hébergement et à l’assistance matérielle des demandeurs de protection internationale.

Il nous semble qu’en rejetant ce grief, la Cour n’a pas fait attention au caractère absolu de la dignité humaine ni à la nécessaire souplesse dans l’application de la règle de l’épuisement des voies de recours internes. Au même titre que la carence systémique d’exécution des décisions de justice (§§ 102 et s.), ce manque d’attention peut, à notre avis, favoriser des entraves à la sécurité juridique. Et ce d’autant plus que la Cour est très exigeante quant au niveau d’effectivité des recours lorsque le droit en cause est un droit absolu tel que celui garanti par l’article 3 CEDH.

2. Entraves à la sécurité juridique par la carence systémique d’exécuter les décisions de justice définitives relatives à l’accueil des demandeurs de protection internationale

La Cour estime que l’essentiel des droits des parties au procès est protégé, au niveau européen, par les dispositions des articles 6 et 13 CEDH (§ 89). Ils sont exprimés à travers le droit à un procès équitable ainsi que le droit à un recours effectif. Citant l’arrêt Kudła c. Pologne, la Cour indique que les garanties procédurales contenues dans l’article 13 ci-avant mentionnées sont moins strictes de par leur contenu. Elles sont absorbées par celles contenues dans le droit à un procès équitable (§ 89). Ainsi, le caractère strict des garanties exprimées à travers le droit à un procès équitable justifie la forme de priorité que la Cour octroie à l’article 6 CEDH, toutes les fois que l’accès à un tribunal est en cause.

Selon Joel Andrianatsimbazovina, parmi les droits protégés par l’article 6, § 1, CEDH, l’accès au tribunal joue un rôle capital. Il conditionne la mise en œuvre d’autres droits fondamentaux. Par ce rôle, l’accès au juge assume la fonction de bouclier de protection et de fer de lance des droits humains, notamment le droit à la dignité humaine, le droit au respect à la vie privée et familiale, etc. Dans sa fonction de « fer de lance », l’accès à un tribunal suppose l’attaque directe contre les violations des droits humains. Parmi les moyens d’attaque, la Cour estime que l’exécution des décisions de justice obligatoires joue un rôle très important. Non seulement elle constate en fait comme en droit les violations des droits humains mais aussi elle contraint les auteurs à cesser leurs actes. Elle doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 CEDH (§ 104).

La Cour indique que l’accès à un tribunal garanti par l’article 6, § 1, CEDH serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie. Cela priverait l’article 6 ci-avant indiqué de tout effet utile (§ 104).

En l’espèce, une carence systémique d’exécution des décisions de justice relatives au droit à l’hébergement et à l’assistance matérielle des demandeurs de protection internationale a pour effet de grever lourdement le fonctionnement d’une juridiction nationale et celui de la Cour elle-même (§ 119 in fine). Cette idée fait écho à la position de l’ordre français des avocats du barreau de Bruxelles agissant en qualité de tiers intervenant dans l’arrêt commenté. L’ordre souligne que la non-exécution des décisions de justice par l’État belge est double. Non seulement les demandeurs de protection internationale ne sont pas hébergés dans les délais impartis par les décisions judiciaires mais, de surcroît, Fedasil refuse de payer les astreintes auxquelles elle est systématiquement condamnée. Selon la Cour, cette attitude met en péril le principe même de l’État de droit. Il provoque également des « questions existentielles pour le monde judiciaire quant à sa fonction, son utilité et son instrumentalisation » (§ 102).

Eu égard à cela, la Cour conclut que le refus caractérisé des autorités belges d’exécuter les décisions de justice relatives à l’accueil des demandeurs de protection internationale (§ 119) viole l’article 6 CEDH et entrave la sécurité juridique. Il faut noter que le droit à l’hébergement est un accessoire à la procédure d’asile. Au regard de l’arrêt Maaouia c. France, les matières d’asile sont, en principe, exclues du champ d’application de l’article 6, § 1, précité. Toutefois, la Cour reconnaît que le droit à l’hébergement est une notion autonome qui remplit les conditions d’applicabilité de l’article 6 susévoqué (§ 93). En ce sens, elle indique que l’insuffisante capacité d’accueil d’un État ne peut pas justifier l’exécution d’un jugement reconnaissant un droit protégé par l’article 6, § 1 (tel que le droit à l’hébergement) dans un délai déraisonnablement long (§ 109).

3. L’insuffisante capacité d’accueil des demandeurs d’asile ne peut pas empêcher l’exécution des décisions de justice définitives dans un délai raisonnable

L’annonce par Fedasil de la saturation de son réseau d’accueil en date du 15 septembre 2021 a produit des effets néfastes. Un nombre considérable de demandeurs de protection internationale ont été empêchés de mener une vie conforme à la dignité humaine telle que garantie aussi bien par les articles 23, 3°, de la Constitution belge et 3 de la loi accueil que l’article 3 CEDH.

Selon Alice Sinon, les droits garantis par les dispositions de l’article 3 CEDH sont revêtus d’un caractère absolu. Faisant référence à l’arrêt N.H. et autres c. France, elle considère que cet article consacre « une valeur de civilisation étroitement liée au respect de la dignité humaine, qui se trouve au cœur même de la Convention. Cela implique, selon la Cour, que les facteurs liés à un afflux croissant de migrants ne peuvent pas exonérer les États contractants de leurs obligations au regard de cette disposition ».

Eu égard au caractère absolu de l’article 3 CEDH, il y a lieu de se demander si cette disposition impose aux États membres de prendre en charge l’accueil des demandeurs d’asile. À l’aune de l’arrêt Chapman c. Royaume-Uni, Jean-Baptiste Farcy pense que « l’article 3 ne saurait être interprété comme obligeant les Hautes Parties contractantes à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur juridiction ou comme imposant un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie. Malgré cela, l’absence de prise en charge des demandeurs d’asile du fait de l’indifférence des autorités peut engager la responsabilité de l’État au regard de l’article 3 de la Convention lorsque le seuil de gravité est atteint. » En ce sens, la Cour s’inscrit dans la logique de sa position prise dans l’arrêt Lacatus c. Suisse. Dans ce dernier, elle met en exergue le fait que la notion de la dignité humaine « est sous-jacente à l’esprit de la Convention […] et qu’elle est sérieusement compromise si la personne concernée ne dispose pas de moyens de subsistance suffisants » (§§ 56-57).

Il était prévisible que la Cour rejette l’argument selon lequel « la saturation du réseau d’accueil justifiait l’inexécution des décisions de justice par les autorités belges ». Dans un commentaire de l’arrêt M.K. et autres c. France, Jean-Baptiste Farcy démontre que la Belgique, à l’instar de la France, était prévenue de son refus caractérisé de se conformer aux injonctions du juge interne concernant l’accueil des demandeurs de protection internationale. Cet auteur considère, à l’aune de l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, qu’un défaut de mise en œuvre du droit à l’hébergement emporte violation de l’article 3 CEDH.

En l’espèce, le gouvernement belge a invoqué une impossibilité matérielle d’exécuter les décisions de justice à cause de la saturation de sa capacité d’accueil. La Cour a jugé qu’« une autorité de l’État ne peut prétexter du manque de fonds ou d’autres ressources pour ne pas » exécuter une décision de justice, reconnaissant des droits au sens de l’article 6, § 1, CEDH, dans un délai raisonnable (§ 108 in fine).

4. Applicabilité de l’article 6, § 1, CEDH au litige relatif au droit d’accueil des demandeurs d’asile

Si les questions relatives à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers échappent au champ d’application de l’article 6, § 1, CEDH selon l’arrêt Maaouia c. France, la Cour indique que ce n’est pas le cas pour le droit à l’accueil des demandeurs de protection internationale. Elle note que le « caractère civil » du droit à l’accueil est bien établi par sa jurisprudence constante en tant qu’une notion autonome (§ 93).

Fondant son raisonnement sur cette autonomie, l’arrêt Maaouia semblait établir une frontière entre les litiges de caractère administratif (relavant du droit public) et litiges de caractère civil (relevant du droit privé). Pourtant, comme soutenu par Jean-Yves Carlier, citant l’arrêt Pellegrin c. France, la frontière entre le droit public et droit privé n’est pas étanche. En effet, l’arrêt Pellegrin opère une forme de revirement jurisprudentiel en indiquant « sont seuls soustraits au champ d’application de l’article 6, § 1, de la Convention, les litiges des agents publics dont l’emploi est caractéristique des activités spécifiques de l’administration publique dans la mesure où celle-ci agit comme détentrice de la puissance chargée de la sauvegarde des intérêts généraux de l’État ou des autres collectivités publiques. Un exemple manifeste des telles activités est constitué par les forces armées et la police ».

Cette évolution de la jurisprudence de la Cour est également à saisir à travers l’arrêt Vilho Eskelinen et autres c. Finlande commenté par Olivier Dubos. Ce dernier démontre que « l’article 6 § 1 de la CEDH est, désormais, applicable dans le contentieux de la fonction publique française. Il ne s’agit, donc, que de la possibilité offerte au fonctionnaire justiciable de s’assurer que les juridictions administratives respectent bien, toujours, les exigences de l’article 6 CEDH ».

Eu égard ce qui précède, il y a lieu d’écrire que l’article 6, § 1, contient des principes communs au droit public et droit privé. Il s’agit de principes transversaux que les professeurs Jean-Yves Carlier et Sylvie Sarolea appellent « garanties procédurales qualifiées ici de communes en ce qu’elles trouvent à s’appliquer tant aux procédures administratives devant les autorités qu’aux procédures juridictionnelles devant le juge ». Sans indiquer que l’article 6, § 1, CEDH s’applique à tous les litiges, la Cour confirme l’importance cruciale de ces garanties procédurales contenues dans le droit à un procès équitable dans un État de droit. En insistant sur la nécessaire consolidation de l’État de droit, l’arrêt commenté paraît s’inscrire dans la logique d’extension du champ d’application dans l’article 6 CEDH. Ainsi, des contentieux accessoires à la procédure d’asile tel que le regroupement familial des réfugiés peuvent, à notre avis, bénéficier des garanties procédurales contenues dans le droit au procès équitable.

Conclusion

Cet arrêt met en lumière les dangers de l’inexécution d’une décision de justice pour l’état de droit, dont le principe de sécurité juridique est un pilier. Il précise qu’un refus caractérisé, des autorités belges, de se conformer aux injonctions du juge interne empiète le principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs et favorise la perte de confiance du citoyen dans l’administration de la justice. Cela grève lourdement le fonctionnement de la Cour elle-même ainsi que la protection des droits humains universellement reconnus.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : Cour eur. D.H., 18 juillet 2023, Camara c. Belgique, req. n° 49255/22.

Jurisprudence :

Doctrine :

  • Andriantsimbazovina, J., « L’accès à la justice au sein des droits de l’Homme », in J. Bétaille (dir.), Le droit d’accès à la justice en matière d’environnement, presses de l’Université de Toulouse Capitole, 2016, pp. 49-61 ;
  • Bingham, T., « The rule of Law », The Cambridge Law Journal, Vol. 70, Issue 2, 2011, pp. 481-483.
  • Carlier, J.-Y. et Sarolea, S., Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, pts 706-757.
  • Carlier, J.-Y., La condition des personnes dans l’Union européenne, Recueil de jurisprudence, Bruxelles, Bruylant, 4e éd., 2020, pp. 406-413.
  • Dubos, O., « L’inéluctable extension du champ d’application de l’article 6 de la CEDH au contentieux de la fonction publique », La lettre juridique, n° 276, octobre 2007.
  • Ekani, Chr.S., « Intégration, exequatur et sécurité juridique dans l’espace OHADA. Bilan et perspective d’une avancée contrastée », Revue internationale de droit économique, 2017/3 (t. XXXI), pp. 55-84 ;
  • Farcy, J.-B., « L’expulsion d’une personne réfugiée à l’aune du pluralisme juridique : entre volonté d’autonomisation et solutions paradoxales », Cahiers de l’EDEM, mai 2021 ;
  • Sarolea, S., « Les mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l’homme en droit des migrations. Un refuge pour les migrants ? », in Fr. Krenc, « Les mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l’homme : un référé à Strasbourg », communication à un colloque, Bruxelles, Larcier, 2011 ;
  • Sarolea, S., « Le juge civil en droit des étrangers : parachute ou paravent ? », in J. Englebert et H. Boularbah, « Le référé civil dans toutes les matières. Actes du colloque organisé par le jeune barreau de Bruxelles », Bruxelles, Éditions du Jeune Barreau, 2004, pp. 389-421 ;
  • Sinon, A., « Un accueil respectueux de la dignité humaine : un droit pour tous les demandeurs d’asile », Cahiers de l’EDEM, août 2020.

Autres :

  • Guide sur l’article 6 (volet pénal) de la CEDH ;
  • Guide sur la recevabilité des requêtes devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Pour citer cette note : G. Paluku Matata, « L’exécution des décisions de justice relatives à l’accueil des demandeurs de protection internationale fait partie intégrante du procès au sens de l’article 6, § 1, CEDH », Cahiers de l’EDEM, août 2023.

Publié le 05 septembre 2023