Les légumes oubliés, des prébiotiques retrouvés

 

Ce jeudi, la professeure Nathalie Delzenne présentait les conclusions et les perspectives du projet FOOD4GUT. Programme d’excellence interdisciplinaire financé par la région Wallonne, FOOD4GUT porte sur le développement durable dans le contrôle de l’obésité. Après cinq années de travail, il permet d’avoir en main des outils pour proposer une série d’approches alimentaires et sociétales innovantes. L’interdisciplinarité de cette recherche, ayant mêlé des compétences en sciences humaines, médicales et technologiques assure aujourd’hui de dynamiques perspectives dans le secteur de la nutrition.

Le « microbiote » intestinal, anciennement appelé « flore » intestinale, est aujourd’hui évoqué comme un acteur important de l’état de santé, et fait l’objet de recherche dans nos laboratoires. Alors que l’obésité et les pathologies associées font l’objet d’une attention particulière en santé publique – vu les conséquences dramatiques sur le confort de vie et le coût sociétal lié aux pathologies connexes (diabète, maladies cardiovasculaires, certains cancers) – ce « deuxième cerveau » intestinal devient une intéressante cible thérapeutique à l’étude.

« Elles y sont près de cent mille milliards… Des bactéries, de plus de mille espèces différentes, vivent dans notre intestin, lance avec entrain Nathalie Delzenne. Elles forment un véritable écosystème avec lequel nous vivons en symbiose. Ces dernières années, l’évolution des techniques, comme le séquençage du génome bactérien a révélé l’importance de l’écosystème bactérien pour la santé…mais aussi son évolution constante, influencée par l’hôte, l’environnement et surtout son alimentation. »

C’est dans ce contexte d’épanouissement de la recherche en nutrition que la région Wallonne a soutenu le projet FOOD4GUT, coordonné par Nathalie Delzenne, professeure à l’UCLouvain où elle préside le Louvain Drug Research Institute (LDRI), co-dirige le Metabolism and Nutrition Research Group (MNUT) et le Louvain4Nutrition. Plus précisément intitulé « Approche nutritionnelle novatrice de l’obésité basée sur l’apport en nutriments coliques (prébiotiques(1)) : aspects biologiques, comportementaux et sociétaux », son objectif principal est de pointer comment « bien » nourrir son microbiote pour améliorer son état de santé et diffuser ces bonnes pratiques au sein de la population. Le projet FOOD4GUT vise plus globalement à promouvoir les aliments d’origine végétale issus de l’agriculture wallonne, caractérisés par leur richesse en nutriments coliques (prébiotiques).

L’inuline, un prébiotique nécessaire à notre bonne santé

« Parmi les bons éléments pour ces bactéries nécessaires au maintien d’une bonne santé : des prébiotiques de type inuline ont été identifiés, poursuit la chercheuse. Au sein du laboratoire MNUT de l’UCLouvain, nous avions beaucoup travaillé sur ces composantes de l’alimentation. Notre hypothèse de travail dans le cadre du projet était que favoriser la culture et la consommation d’aliments végétaux riches en inuline, peut apporter un bénéfice pour la santé. »

Présente en quantité dans les topinambours, les poireaux, les oignons, les artichauts, dans ces racines que l’on appelle souvent « légumes oubliés », l’inuline est en réalité une molécule que notre corps ne digère pas… Mais que certaines bactéries se trouvant dans notre intestin, elles, digèrent voire même : adorent. « Or, ces bactéries-là peuvent en se développant changer le microbiote intestinal…et avoir ainsi un impact sur l’état général de la santé de l’hôte », explique Nathalie Delzenne.

Ces aliments existent-ils en Wallonie ? Contiennent-ils suffisamment d’inuline pour être actifs pour la santé ? Peut-on développer et favoriser ces aliments en circuit court ? Sont-ils bien tolérés d’un point de vue biologique par les consommateurs ? Peut-on influencer leur acceptation et leur accessibilité ? Ces questions, multiples, ont provoqué l’interdisciplinarité : diététiciens, médecins diabétologues, chercheuses et chercheurs en agronomie, droit, ou psychologie … Tout un panel de partenaires académiques et scientifiques différents ont appris à dialoguer ensemble. Le projet FOOD4GUT a mis en réseau plusieurs groupes de l’UCLouvain MNUT et EDIN en sciences de la santé, ELIA en sciences et technologies, PJTD et IPSY en sciences humaines – mais aussi des équipes de l’ULB et de l’ULiège, et des trois hôpitaux universitaires (St Luc, Erasme et CHU Liège). Des « parrains » du monde agro-industriel et sociétal wallon ont également contribué activement. « J’ai voulu que ce projet soit fédérateur autour de questions innovantes de recherche en nutrition », poursuit la coordinatrice de FOOD4GUT, qui salue le travail de toutes et tous, et particulièrement de post-doctorantes impliquées dans la gestion de ce projet d’envergure : B. Pachikian, J. Rodriguez et A. Neyrinck.

Une recherche applicable à une grande variété d’aliments et prébiotiques

Une cartographie des systèmes de production et de consommation des sources alimentaires de nutriments coliques cultivées en Wallonie a été réalisée. Une partie du projet s’est également attachée à caractériser l'impact biologique sur la santé de ces nutriments dans des approches précliniques et cliniques chez des patients en surpoids. Puis, des questions relatives à la promotion du changement individuel et sociétal ont été abordées.

« L’objectif est rempli : nous avons identifié les critères à prendre en compte pour qu’un changement de comportement individuel et sociétal mettant en avant l’apport en une classe d’aliments particuliers (en l’occurrence ici, les nutriments coliques prébiotiques d’origine végétale) puisse créer un bénéfice de santé publique, précise la chercheuse responsable. Maintenant que nous avons pu établir et nommer clairement les aliments riches en inuline et leur importance, nous allons mettre à disposition des chercheurs, les outils validés – questionnaires, banque de données, modèles précliniques, in vivo, analyses biostatistiques… – et du grand public (répertoire et recettes d’aliments riches en inuline, qui pourront être utilisés dans d’autres contextes. La suite du projet tient dans les partenariats que nous avons créés entre secteurs d’études et universités… » Car cette pépinière d’experts en Wallonie se lance déjà dans de nombreux projets innovants : « La démarche menée dans le cadre de FOOD4GUT est en effet applicable à une très grande diversité de constituants présents dans l’alimentation : l’inuline n’en est qu’un parmi tant d’autres ! », conclut, enthousiaste, la professeure Delzenne.

Le projet en quelques chiffres

  • 50 personnes directement impliquées
  • 10 partenaires académiques
  • 9 parrains industriels et institutions
  • 3 centres hospitalo-universitaires
  • 10 nouveaux docteurs
  • 26 articles scientifiques déjà acceptés et de nombreux en cours de préparation
  • 9 nouveaux projets dans la poursuite de FOOD4GUT
  • 135 présentations lors de conférences belges et internationales

TEDxLiège : Nathalie Delzenne explique l’importance des fibres alimentaires

LEXIQUE
(1) Prébiotique : substrat sélectivement utilisé par les microorganismes de « l’hôte » qui confèrent un bénéfice pour la santé.
(2) Inuline : fibres alimentaires composées d’unité fructose qui résistent à la digestion mais sont largement et sélectivement fermentées par les bactéries intestinales nécessaires à notre bonne santé.

Coup d’œil sur la bio de Nathalie Delzenne

Nathalie Delzenne est professeure de biochimie, métabolisme et nutrition à l’UCLouvain. Elle anime depuis plus de 25 ans un groupe de recherche qui vise à mieux comprendre l’impact pour la santé de constituants de l’alimentation qui interagissent avec le microbiote intestinal. Après un diplôme de pharmacienne en 1986 dans notre université, elle effectue un Doctorat en Science pharmaceutiques dans le domaine de la toxicologie. Après une formation post doctorale en nutrition humaine à l’Université de Lausanne, elle entre dans la carrière académique en 1995 et développe, après un séjour à l’Institut Pasteur de Lille et l’Unité Inserm à l’Hôpital Saint Vincent de Paul à Paris, une recherche en nutrition expérimentale visant à découvrir l’intérêt thérapeutique de nutriments qui interagissent avec le microbiote intestinal, dans différents contextes physiopathologiques (obésité, diabète, cachexie) à l’UCLouvain.

Publié le 12 septembre 2019