Journée d'étude | Habiter le monde

LOUVAINTER

28 mars 2019

Journée d'étude de 8h45 à 18h

Louvain-la-Neuve

Salle du Conseil FIAL

Journée d'étude des membres de l'INCAL

Découverte des recherches accomplies par les membres de l'Institut

• 8h45 : Accueil
• 9h : Ouverture de la journée Marco Cavalieri, Président de l'Institut
• 9h20 : [session 1] Habiter, entre territoires urbains et territoires ruraux

Nathalie Dereymaeker (CRAN) S’approprier un lieu par sa représentation miniature
Plutôt que de voyage, la collection française des plans-reliefs questionne la manière de s’approprier un territoire. Produites de 1668 à 1870, ces maquettes représentent des villes situées aux frontières du royaume. Elles sont avant tout des outils militaires, pour renseigner sur la situation topographique des villes afin de mieux les défendre ou de les envahir. Ce sont aussi de puissants symboles politiques lorsque la représentation miniature d’une ville est physiquement intégrée dans la collection royale au moment de sa conquête. La force symbolique et sensible de ces objets en trois dimensions explique le renversement qui s’opère lorsque des villes réclament les plans-reliefs qui les représentent. Ces villes, et leurs populations, cherchent à récupérer leur image et ainsi à se (ré)approprier leur propre territoire mais aussi leur identité, leur histoire et leur patrimoine. Les plans-reliefs sont donc la manifestation des prétentions sur un territoire à travers la représentation miniature de celui-ci.

Anthony Peeters (CEMA) Habiter le monde rural. La situation en Italie à la fin de l’Antiquité
Pendant de nombreuses années, les chercheurs ont considéré l’Antiquité tardive comme un moment de crise et de recul qui provoqua l’effondrement du monde romain. Dans ce contexte, on a généralement estimé que les campagnes faisaient l’objet d’une désertion se traduisant par une diminution drastique du nombre de sites et par l’abandon de nombreuses villas. Aujourd’hui, cette vision est à reconsidérer, au profit d’une approche moins radicale. Ainsi, il apparaît plutôt que les différents changements politiques, économiques, culturels et sociaux que connait l’Italie à partir du IIIe siècle de notre ère ont favorisé le développement de nouvelles formes de villas qui se présenteraient davantage comme des « centres administratifs » d’un plus large fundus. Nous chercherons donc à faire le bilan des recherches menées sur le sujet pour démontrer que les campagnes sont loin d’être complètement désertées, mais qu’elles connaissent, en revanche, des changements dans les diverses formes d’occupation. De plus, l’arrivée de nouvelles populations, à la suite des invasions, n’a pas nécessairement eu un impact aussi négatif qu’on le pensait. Au contraire, la rencontre et la cohabitation avec l’autre ont pu être bénéfiques sur la manière d’habiter le monde rural, en Italie, à la fin de l’Antiquité.

• 10h20-10h40 : pause-café
• 10h40 [session 2] Opportunités et difficultés de la cohabitation 

Sarah Béthume (CEMA) Habiter le monde en le nommant. De la cohabitation en Grèce ancienne matérialisée par les inscriptions dialectales
Habiter le monde, c’est aussi le nommer, différemment d’une culture à l’autre… et la très riche diversité linguistique de Grèce ancienne reflète bien les diverses manières possibles d’y procéder : chaque cité-état communique au moyen d’un dialecte qui lui est propre, au point qu’il est possible de questionner l’intercompréhension des Grecs, la notion de langue grecque (au singulier) et, plus généralement, la dichotomie courante langue vs. dialecte. Les inscriptions qu’ils ont laissées derrière eux, notre source principale pour l’étude de leurs dialectes, reflète fortement cette diversité. En premier lieu car elles étaient inscrites, jusqu’au début de l’époque hellénistique, dans des alphabets épichoriques très divers.

En second lieu parce que, à travers ces épigraphes, tout comme ils ont pu le faire en recourant à l’urbanisme, les Grecs se sont appropriées l’espace que leurs diverses communautés occupaient – ils ont donc habité le monde grâce à elles également, en structurant le paysage naturel en un paysage civique, en l’humanisant et d’une certaine façon en le ‘‘civilisant’’, au sens littéral du terme.

Mais la diversité linguistique témoigne fréquemment aussi pour nous de la co-habitation des Grecs entre eux (issus de différentes cités, amies ou ennemies) ou encore avec le divin ou avec des étrangers, quelle que soit la nature des inscriptions (privées ou officielles). Elles nous montrent qu’elles constituent une modalité de tisser des liens entre humains, Grecs autochtones ou de passage, et avec les divinités qu’elles prennent à témoin ou qu’elles honorent. Une des manifestations les plus intéressantes de cette implication dans la co-habitation peut s’illustrer à partir d’inscriptions bi-lingues (bi-dialectales) et bi-alphabétiques, ou encore à la langue hybride, qui ont fleuri dans les sanctuaires panhelléniques, tout autant que dans les cités et les petits sanctuaires locaux. C’est ce que nous examinerons dans notre exposé.

Nicolas Simon (CHDJ) Vivre l’expérience de la diversité dans les Pays-Bas habsbourgeois (1580-1610)
Ce que l’historiographie retient comme la Guerre de Quatre-Vingts ans (1568-1648) constitue un moment charnière dans l’histoire des territoires qui constituent l’espace du BENELUX actuel. D’une opposition aux pratiques du gouvernement habsbourgeois, cette révolte et guerre civile s’est finalement muée en véritable conflit sécessionniste donnant naissance aux Provinces-Unies lorsque celles-ci proclament unilatéralement la déchéance de leur prince naturel, Philippe II d’Espagne, en 1581. La polarisation entre des territoires méridionaux catholiques, les Pays-Bas habsbourgeois, et ceux septentrionaux calvinistes, les Provinces-Unies, a longtemps été perçue comme une opposition confessionnelle entre deux blocs. Après tout, ce qui n’était qu’une limite juridictionnelle entre deux principautés relevant d’un même prince se mue, à l’aune de cette partition, en véritable frontière séparant deux entités politiques distinctes, deux États. La situation des Pays-Bas habsbourgeois à la fin du 16e siècle constitue donc un cas d’analyse particulièrement riche pour une réflexion centrée sur la thématique « Habiter le monde ». S’il est indéniable qu’il s’agit d’un conflit où s’opposent deux visions du monde, on ne peut soutenir l’idée que ces deux espaces (Pays-Bas vs. Provinces-Unies) étaient hermétiques l’un par rapport à l’autre. Les échanges étaient fréquents, obligatoires même, de sorte que l’expérience de la diversité était une réalité dont les autorités politiques devaient tenir compte. Les réponses apportées par les autorités politiques des Pays-Bas habsbourgeois à cette situation inédite de partition ne relevaient d’ailleurs pas d’actions bien programmées et articulées. On montrera durant cette communication que ces tentatives de réponses s’apparentaient souvent à des décisions ad hoc, très conjoncturelles voire même hasardeuses. Cette communication tâchera ainsi de rappeler que la réalité des pratiques quotidiennes durant cette période troublée de l’histoire des Pays-Bas habsbourgeois doit s’envisager à la lumière des échanges économiques, des discours politiques et de la mobilité des agents sociaux.

• 11h40-12h : pause-café
• 12h : [session 3] Souci du quotidien, souci de l’environnement

Corentin Lahouste (CRI) Habiter le monde, investir l’infra-ordinaire. L’œuvre de Philippe De Jonckheere
Le site internet Désordre, alimenté et développé par Philippe De Jonckheere depuis le tout début des années 2000, est une œuvre hypermédiatique à la structure labyrinthique qui se caractérise par l’hybridation sémiotique et la transartialité dans un cadre oscillant entre l’autobiographique et l’autofictionnel. Elle vient rejouer la pratique diaristique, en convoquant, de par son ancrage numérique, texte, images, vidéos et sons. Composée de très nombreux projets, elle constitue une œuvre polyphonique qui s’inscrit notamment dans la lignée des réflexions menées par Georges Perec sur l’infra-ordinaire. De Jonckheere, pour qui l’auteur de La vie mode d’emploi représente un modèle littéraire, parle d’ailleurs d’un « enjeu du minuscule » dans son travail : ce qui constitue d’habitude l’arrière-plan, l’anodin, le non-spectaculaire y est mis à l’avant-plan. Il s’agirait dès lors de mettre en lumière comment l’œuvre de De Jonckheere ne cesse d’interroger le quotidien et de le mettre en scène à travers les différents projets qui participent de Désordre, qui peut être appréhendée comme une œuvre-rhizome ou une œuvre-archipel. En nous arrêtant sur plusieurs d’entre eux, nous verrons comment le quotidien peut y apparaitre comme « forme-force » (Macé, 2016 : 21) de la création et comment l’artiste touche-à-tout en creuse la richesse et s’ouvre à son caractère multiforme, indéfini, dispersé, équivoque, flottant (Bégout, 2005 : 37 et 43).

Véronique Bragard (ECR) Ecrire d'autres espèces: habiter la terre et imaginaires utopiques
Les derniers rapports sur le climat ou la disparition de la biodiversité terrestre posent la question suivante: "L'espèce humaine peut-elle habiter le monde?". A de nombreux égards, les sociétés humaines se révèlent destructrices au point de détruire l’habitat dont elles ont besoin pour survivre. Ma réflexion tentera de montrer comment, après la génération de Huxley, HG Wells et bien d’autres écrivains qui avaient imaginé d’autres peuples face aux humains, certain(e)s écrivain(e)s comme Margaret Atwood (Oryx and Crake) mettent en scène d'autres espèces quasi humaines mais plus en phase avec leur environnement comme autant de détour pour nous faire voir notre manière peu "durable" d'habiter le monde. J’établirai des liens avec le roman de Vincent Message Défaite des maitres et possesseurs (2016) dans lequel les espèces se suivent, se distinguent et se ressemblent à la fois. Si de nombreux écrivains ont imaginé des espèces gigantesques d’animaux, d’araignées ou de créatures fantastiques, comment l’espère humaine peut-elle être réimaginée? Cette présentation se veut appel à dialogue sur ces questions liées à un imaginaire du posthumain.

• 13h-14h20 : pause-midi
• 14h20 : [session 4] Interculturalités

Wim Weymans (INCAL) Habiter notre monde européen
Democracies are by definition forms of society in which the people are deemed sovereign. Yet, unlike other forms of society, democracies have a hard time imagining what its sovereign—the people—looks like. In this paper I will try to examine how democracies in their relatively short history have tried to represent the people (in the sense of visualising or creating an image of). I will schematically differentiate between three ways of representing the people that were subsequently developed: the people as an abstraction (represented by symbols like a flag), a pluralist vision of the people (through institutions such as political parties) and, lastly, a “poetic” representation of the people (through stories). Although the use of these three modes of representation as varied over time, I believe that, if combined, they all still remain relevant today. This becomes clear when applied to attempts to represent the people at a European level.

Hubert Roland (ECR)
Quelle(s) conception(s) de l'interculturalité et des identités sous-tendent aujourd'hui les recherches sur l'histoire des échanges internationaux dans l'art et la littérature?
(À définir)

• 15h20-15h40 : pause-café
• 15h40 : [session 5] L’exil en question

Claude Obsomer (CIOL) Le thème de l'exil dans le Roman de Sinouhé, chef d'œuvre de la littérature égyptienne du XXe siècle (av. J.-C.)
Après la mort du roi Amenemhat, Sinouhé surprend une conversation entre deux individus, dont la teneur n'est pas livrée au lecteur, mais qui provoque chez le héros un trouble si profond qu'il prend le chemin de l'exil. Qui était Sinouhé ? Pourquoi fuit-il ? Dans quelles circonstances le roi est-il décédé ? Ces questions ont longtemps divisé les égyptologues, mais une étude précise des données textuelles et du contexte historique permet de lever les silences volontaires du récit. Le séjour de Sinouhé en Syrie le montre errant d'une ville à l'autre, avant d'être recueilli par un dirigeant local qui, mettant à profit ses compétences, lui permet une ascension sociale rapide. Jusqu'au jour où un chef de guerre le défie en combat singulier

Élise Deschambre (ECR) Ithaque (Notre Odyssée 1) de Christiane Jatahy : dispositif scénique, texte(s) et expérience exilique
Premier volet d’un diptyque prenant pour texte matrice l’Odyssée d’Homère, la mise en scène Ithaque (Notre Odyssée 1) de la metteuse en scène brésilienne Christiane Jatahy aborde un épisode précis du récit grec : tandis que Pénélope l’attend à Ithaque, Ulysse, revenant de Troie vers sa femme et ses terres dans un long périple, est retenu plusieurs années par la nymphe Calypso. Si divers thèmes traversent la mise en scène et le texte inédit, l’exil constitue le point de départ de la création de Jatahy, cette dernière souhaitant aborder sur la scène, au travers de l’épopée homérique, à la fois la question migratoire actuelle et sa propre expérience d’exilée artistique en Europe.

Aussi sera-t-il question, dans ma communication qui préparera une intervention au colloque international « Théâtre et exil », d’envisager en quoi ce traitement de l’exil a appelé un dispositif scénographique particulier, et en quoi ce dernier problématise en retour l’expérience exilique (exil convoqué en tant qu’expérience du dédoublement spatial et expérience existentielle « bipolaire »[1]). Mon intervention amènera par là à une réflexion plus générale autour du concept de frontière. Par ailleurs, ma communication questionnera également le texte de la représentation, lequel mêle texte homérique, écrits de Jatahy et témoignages d’exilés, dans le but d’en envisager les effets discursifs.

[1] Voir Nouss (Alexis), La condition de l’exilé. Penser les migrations contemporaines, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 2015, coll. « Interventions », et Poinsot (Marie), Treiber (Nicolas), « ‪Pourquoi en finir avec l’exil ? Entretien avec Alexis Nouss », in Hommes & Migrations, 2016/2 (n°1314), p.116-119. (URL : https://www.cairn.info/revue-hommes-et-migrations-2016-2-page-116.htm ; page consultée le 7/11/2018).

• 17h: POSTERS ET DISCUSSSIONS

Jonathan Châtel (ECR) (coll. P. Piret) – présentation d’un projet de recherche –
Présentation du projet de publication autour de l’exil « Penser l’exil. Approche théorique et intermédiale » et du colloque « Théâtre et exil » qui se tiendra du 15 au 17 mai.

Smeesters (GEMCA) & Margaux Dusausoit – Poster – Mettre en scène les errances d’Enée
Ce poster s’inscrit dans un projet d’adaptation théâtrale (4-5 avril 2019), avec une douzaine d’étudiants latinistes de l’UCL, des 6 premiers chants de l’Enéide de Virgile. Cette première moitié de l’œuvre, souvent comparée à l’Odyssée homérique, est consacrée aux errances d’Enée entre Troie et le Latium, et fait donc écho au thème de la journée INCAL. Le poster présentera aussi bien l’œuvre virgilienne en elle-même que la spécificité de l’approche théâtrale qui en est proposée. Mettre un texte en scène, c’est évidemment le dire ; mais c’est aussi, forcément (par nos choix de découpage, de mise en scène, d’intonation…), lui faire dire quelque chose. Le message politique initialement affiché par l’Enéide (chanter la grandeur de la destinée impérialiste romaine) n’est bien sûr plus d’actualité - que l’on y reconnaisse ou non (comme certains l’ont fait) des touches subversives introduites par le poète. Mais le texte même de Virgile est suffisamment riche et complexe, et sa puissance poétique suffisamment grande, pour nous offrir aujourd’hui encore matière à réflexion et à émotion. « L’Enéide, un grand récit du métissage ? », s’interrogeait Florence Dupont dans le sous-titre d’un livre paru en 2011 ; « Enée, héros de la migration ? » titrait Franck Colotte dans un article de 2015. Enée, Didon, Palinure et les autres sont en tout cas autant de personnages en errance, aux rencontres éphémères, ballotés par les flots mais aussi ballotés par leurs sentiments, leurs doutes, leurs loyautés contradictoires, et qui, dans leur vie comme dans leur mort, cherchent à la fois une terre d’ancrage géographique et un état de repos intérieur. Le poster et sa présentation seront l’occasion d’exposer différentes facettes de l’œuvre et du projet, en donnant la parole à plusieurs intervenants.

Elies Smeyers, Stéphanie Vanasten (ECR) – Poster – la traduction comme littérature grise et son agir redirectionnel
En deçà des œuvres littéraires qui ont été traduites et ont effectivement habité d’autres champs linguistiques, il est tout aussi intéressant de se pencher sur celles qui n’ont atteint que la première étape de ce processus : non publiées officiellement, elles sont reléguées au rang de ‘littérature grise’, comme le sont par exemple les textes de théâtre ayant servi à la représentation scénique mais n’ayant pas vu le jour dans l’espace public. Cas-frontière de transit entre une culture source et une culture cible, si de telles traductions ont été réalisées mais sont restées spectrales, elles n’en font pas moins histoire. L’objet de ce poster est de montrer, à partir de divers cas d’étude de littérature traduite dite ‘grise’, que le processus de traduction se réfracte, parfois de manière inattendue et après coup dans l’histoire, dans d’autres sens traductifs, brouillant les catégories entre départ et arrivée, ici et ailleurs, traduction et adaptation, le texte dit ‘source’ pouvant devenir à l’insu un produit dérivé du texte traduit ; le statut de ces textes dépendra dans une large mesure de l’habitus du traducteur (un auteur établi traduisant occasionnellement vs. un traducteur ‘ordinaire’ mais professionnel). L’acte de traduire met en évidence sa performativité potentielle pour l’œuvre littéraire, tandis que le texte traduit, dans son état de publication non abouti et d’archive latente, met en lumière la cognition externe (‘extended mind’) et les différentes voix génétiques. Notre étude de cas mène ainsi à une enquête des ‘frontières’ de l’œuvre littéraire, non seulement par rapport au concept de authorship vis-à-vis de celui de translatorship, mais aussi d’un point de vue radicalement transculturel et transnational.

Cet événement fait partie des activités organisées dans le cadre de l'année thématique "Année internationale - Année Louvain 2018-2019".