Immunothérapie : armer notre corps contre le cancer

L’immunothérapie est l’une des pistes les plus prometteuses pour combattre certains cancers. À l’UCL, plusieurs équipes de chercheurs étudient nos mécanismes immunitaires. Objectif : trouver de nouveaux traitements.

Tous les jours, notre corps est confronté à des agresseurs intérieurs ou extérieurs : virus, bactéries, champignons, ratés de la reproduction cellulaire, etc. Pour empêcher ces agresseurs de proliférer, de nous rendre malades et, à terme, de nous tuer, la nature nous a dotés d’un ensemble de mécanismes de défense : le système immunitaire. On peut se le représenter comme une armée de petits soldats, les lymphocytes, chargés de combattre nos agresseurs. Comment les repèrent-ils ? Grâce aux antigènes, situés sur les cellules menaçantes et qui, normalement, déclenchent une réponse immunitaire.

Origine et principe de l’immunothérapie du cancer

Il y a 25 ans, Thierry Boon, professeur et chercheur à l’UCL, a découvert l’existence d’antigènes spécifiques des tumeurs, que l’on ne trouve qu’à la surface des cellules cancéreuses. « Ces antigènes peuvent être vus comme de petits drapeaux qui n’auraient pas la bonne couleur », explique le Pr Sophie Lucas, immunologiste à l’Institut de Duve de l’UCL. « Prenons l’exemple du cancer. Si les cellules saines ont des petits drapeaux blancs, les cellules cancéreuses, elles, ont des drapeaux rouges, bleus, verts, etc. Le système immunitaire les reconnaît comme anormales. Pourtant, pour des raisons pas tout à fait élucidées, il ne les attaque pas ou ne parvient pas à détruire les cellules cancéreuses. Résultat : celles-ci prolifèrent et le cancer se développe. »

Et si on boostait le système immunitaire ? Et si on aidait nos petits soldats à faire leur job, c’est-à-dire attaquer et détruire les cellules cancéreuses ? Tel est le principe de l’immunothérapie oncologique : utiliser le propre système immunitaire du patient comme traitement contre son cancer.

Ces dernières années, plusieurs types d’immunothérapie ont été développés et testés un peu partout dans le monde. Avec plus ou moins de succès. « Quand ça marche, les résultats peuvent être spectaculaires ! », commente le Pr Lucas. « Des rémissions ont été obtenues chez des personnes souffrant de mélanome, de cancer du poumon ou encore de lymphome. Malheureusement, l’immunothérapie ne fonctionne que dans 20 à 50 % des cas. De plus, de graves effets secondaires sont possibles… »

Chercheuses Sophie Lucas

Le feu immunitaire… et ses petits pompiers !

Le principal risque lorsque l’on chipote au système immunitaire, c’est qu’il se retourne contre le patient… et provoque une maladie auto-immune. Car, quand il est face à un agresseur, le système immunitaire ne fait pas dans la dentelle ! « Il est conçu pour réagir de façon explosive, brutale et intense ! » explique le Pr Lucas. « Comme un incendie qui s’allumerait brusquement. La nature a donc prévu un mécanisme pour le temporiser et l’interrompre. C’est le rôle des lymphocytes T régulateurs (“T-regs”) qui inhibent les autres lymphocytes lorsque c’est nécessaire. Ce sont les T-regs qui nous protègent contre les maladies auto-immunes. S’ils n’existaient pas, c’est bien simple : notre système immunitaire se retournerait contre nous et finirait par nous détruire de l’intérieur ! »

Bref, les T-regs sont les pompiers du système immunitaire. Ils éteignent le « feu » immunitaire en refroidissant les ardeurs des soldats/lymphocytes.

Schéma anticorps t-reg garp cancer

Quand les pompiers font du zèle

Oui, mais voilà ! Chez les patients cancéreux, les pompiers/T-regs font de l’excès de zèle ! Les équipes du Pr Lucas et du Pr Pierre Coulie, également chercheur en immunologie à l’UCL, cherchent à comprendre comment les T-regs procèdent. « Nous avons découvert que, grâce à GARP, une protéine située à leur surface, les T-regs produisent une hormone, la cytokine TGF-béta. Pour reprendre notre métaphore, GARP est la lance d’incendie du pompier et le TGF-béta, c’est l’eau qui en sort. En cas de cancer, les pompiers/T-regs s’accumulent dans la tumeur et l’inonde d’eau. Ce qui paralyse les soldats immunitaires qui, du coup, ne font plus leur travail. »

Une fois ce mécanisme compris, les chercheurs de l’UCL et arGEN-X, une société de biotechnologie située à Gand, ont mis au point un nouvel anticorps. « Cet anticorps bloque GARP : il “ferme” la lance d’incendie des pompiers/T-regs. Du coup, ce sont eux qui ne peuvent plus travailler ! Et les soldats/lymphocytes ont à nouveau le champ libre pour attaquer les cellules cancéreuses… » Des études précliniques et cliniques doivent encore être réalisées. Si tout fonctionne comme prévu, nous disposerons bientôt d’une forme nouvelle d’immunothérapie pour traiter certains cancers… sans provoquer de maladie auto-immune.

Candice Leblanc

​​​​​Les recherches du Pr Lucas sont ou ont été principalement financées par le FNRS, WELBIO, l’Union européenne et la Fondation contre le Cancer. 

Bio express de Sophie Lucas

Sophie Lucas

1994                       Doctorat en médecine (UCL)
1994-2002              Chercheuse au Ludwig Institute for Cancer Research (Bruxelles)
2000                       Thèse de doctorat (UCL)
2002-2004              Chercheuse chez Genentech, San Francisco (USA)
Depuis 2004           Chercheuse à l’Institut de Duve (UCL)

Coup d'oeil sur la bio de Pierre Coulie

Pierre Coulie

1982                       Doctorat en médecine (UCL)
1989-1995              Chercheur au Ludwig Institute for Cancer Research (Bruxelles)
1995                       Thèse de doctorat (UCL)
1995-97                  Chercheur associé du FNRS
Depuis 1997           Professeur ordinaire d’immunologie à l’UCL

Publié le 07 avril 2016