De l’électricité contre les séquelles d’un AVC

La majorité des personnes qui survivent à un accident vasculaire cérébral (AVC) conservent des troubles moteurs. Or, les chercheurs de l’UCL semblent avoir trouvé un moyen d’amplifier leurs capacités d’apprentissage moteur. 

Comme tous nos organes, notre cerveau est irrigué en sang par des artères. Si l’une de ces artères se bouche ou se rompt, les neurones de la zone qu’elle approvisionnait sont privés de sang et meurent. C’est l’accident vasculaire cérébral (AVC). Chaque année, en Belgique, 19 000 personnes sont victimes d’un AVC. 9000 en meurent. Quant aux survivants, la majorité conserve des séquelles permanentes : troubles moteurs (hémiparésie, perte de force dans un membre, troubles de la coordination, etc.), troubles du langage, de la vue, etc. « En phase aigüe, c’est-à-dire tout de suite après l’AVC, jusqu’à 85 % des patients souffrent de troubles moteurs », précise le Pr Yves Vandermeeren, neurologue au CHU UCL Namur (site Mont-Godinne) et chercheur à l’Institute of NeuroScience (IoNS) de l’UCL. « Après quelques mois, ces troubles sont devenus chroniques chez environ la moitié des patients. Ce qui fait de l’AVC la première cause de handicap dans les pays occidentaux. »

cerveau humain

Comment le cerveau récupère-t-il d’un AVC ?

Le cerveau est capable de récupérer spontanément une partie des fonctions motrices perdues. Suivre un programme personnalisé de neurorevalidation (kinésithérapie, ergothérapie, etc.) peut également améliorer les capacités du patient. Le processus a toutefois ses limites. Ni la récupération spontanée ni la revalidation ne ressuscitent les neurones morts ni n’en font « pousser » de nouveaux… Par contre, le cerveau a de la ressource ! « Son activité est à la fois chimique et électrique », rappelle le Pr Vandermeeren. « Suite à un AVC, l’information électrique ne passe plus normalement dans et autour de la zone cérébrale détruite. Le cerveau va donc mettre en place de nouveaux circuits neuronaux. Ils sont souvent moins performants que la zone originelle, mais ils permettent de récupérer une partie plus ou moins importante de la fonction perdue. En fait, l’information électrique est comme un automobiliste. En temps normal, pour aller de Bruxelles à Namur, il prend la voie la plus rapide : l’autoroute E411. Mais si celle-ci est impraticable, il peut prendre la Nationale 4 ou d’autres petites routes. Ce sera plus long, mais il finira par arriver ! »

cerveau électricité

Principe et limite de la neuromodulation 

L’automobiliste n’a pas le pouvoir de construire une nouvelle autoroute. Par contre, il peut améliorer les performances de sa voiture afin que celle-ci roule plus vite sur les routes secondaires. C’est le principe de la neuromodulation. La stimulation transcrânienne par courant direct (tDCS), un type de neuromodulation, consiste à envoyer un léger courant électrique dans le cerveau, via 2 électrodes posées sur le crâne du patient. Ce qui améliore l’activité cérébrale. « Bémol : à cause de mécanismes internes au cerveau qui régule son activité électrique, après 30 à 60 minutes, l’effet positif de la tDCS tend à diminuer… et finit par disparaître », explique le Pr Vandermeeren. « Nous avons donc eu l’idée de coupler la neuromodulation avec une tâche d’apprentissage moteur. Objectif : voir si la tDCS améliorait les capacités d’apprentissage moteur et la mémoire motrice à long terme du patient. »

2 études cliniques ont été réalisées en double aveugle, impliquant une quarantaine de patients souffrant d’hémiparésie dans un bras. Et là, bingo ! « Non seulement les résultats étaient meilleurs qu’avec la tDCS seule, mais ils se sont aussi avérés plus durables ! Une semaine après les séances, les performances motrices des patients effectivement testés s’étaient améliorées de 40 à 50 %... contre 4 et 12 % dans les groupes placébo (1). Comme si, pendant la séance, la tDCS avait permis au cerveau de sélectionner et d’“imprimer” pour de bon le trajet neuronal le plus performant… »

schéma du cerveau

Des perspectives enthousiasmantes

Ces résultats prometteurs ouvrent la voie à bien d’autres questions qui vont sans doute faire l’objet d’autres études cliniques :

  • L’utilisation de la tDCS pendant des séances de kiné et/ou d’ergothérapie améliorera-t-elle les progrès des patients ?
  • Les 2 premières études ont permis à certains patients d’améliorer leurs performances dans d’autres exercices de revalidation. Mieux : environ 20 % d’entre eux ont rapporté une amélioration motrice des autres membres (bras, jambe(s)) après avoir participé à l’étude !
  • En 2016, l’équipe du Pr Vandermeeren va coupler la tDCS avec le REAplan,  un robot développé à l’UCL (2), qui assiste le geste du patient pendant ses exercices. Objectif : voir si cette approche améliore encore plus les résultats des patients.

« Nous en sommes encore au stade de l’expérimentation », conclut le chercheur. « Mais si le système marche pour la revalidation post-AVC, peut-être fonctionnera-t-il pour d’autres pathologies (sclérose en plaque, maladie de Parkinson, etc.) ? L’avenir nous le dira ! »

Candice Leblanc

(1) Les résultats de la première étude (2012) ont été mesurés via de simples tests de revalidation. Pour la seconde étude (parue en décembre 2014 dans la revue Brain), outre la mesure de la mémoire motrice, la réorganisation du cerveau a été évaluée par IRM fonctionnelle.  

(2) Le REAplan est le fruit de la collaboration entre le centre d’expertise Louvain Bionics et Axinesis, une spin-off issue de l’UCL : www.axinesis.com

Les recherches du Pr Vandermeeren sont ou ont été principalement financées par le FNRS, la Fondation Albert Frère et la Fondation Mont-Godinne.

Coup d'oeil sur la bio d’Yves Vandermeeren

Yves Vandermeeren

1994                       Doctorat en médecine (UCL)
2003                       Thèse de doctorat en sciences biomédicales – neurosciences (UCL)
2005                       Diplôme de neurologue
2005-2007             Stage postdoctoral au National Institutes of Health (USA)
Depuis 2012         Chef de clinique associé au Service de neurologie du CHU Mont-Godinne Namur (UCL)
2013                       Lauréat du prix F. Depelchin
Depuis 2014          Membre de Louvain Bionics (UCL) et membre fondateur de la Société belge de neurorevalidation (bSNR)
Depuis 2015          Professeur à l’UCL

Publié le 25 avril 2016