Grâce à la théorie des graphes, Alexandre Heeren a offert une avancée majeure dans la compréhension des mécanismes qui entretiennent l’anxiété. Une découverte qui, à terme, devrait permettre d’aider plus efficacement les personnes qui en souffrent.
En Europe, les troubles anxieux constituent l’un des troubles psychologiques les plus fréquents. Leur coût annuel dans les pays occidentaux est estimé à 32 milliards de d’euros… C’est dire s’il est important de mieux les connaître pour mieux les prendre en charge ! « Jusqu’à présent, la recherche sur ces troubles se restreint à l’étude des mécanismes anxieux de manière isolée : comment ils s’installent ? Comment ils se maintiennent ? Quels sont les paramètres qui les caractérisent ? Etc. En revanche, les interactions entre ces mécanismes et la manière dont ils peuvent s’entretenir sont laissées de côté », regrette Alexandre Heeren, chercheur associé à l'Institut de recherche en sciences psychologiques l’UCL actuellement en postdoctorat à l’Université d’Harvard.
Étudier la psychologie clinique grâce aux mathématiques
Trouvant cette approche trop réductrice, le chercheur s’est mis au défi d’aborder le problème tout à fait différemment. C’est-à-dire en étudiant les interactions entre les mécanismes des troubles anxieux et la manière dont elles font évoluer la souffrance psychologique. Restait à trouver la méthode qui lui permettrait d’aller au bout de son idée… « C’est lors d’un séjour à Harvard que j’ai eu la réponse à cette interrogation ! Des chercheurs y utilisaient les mathématiques pour l’analyse de systèmes complexes, une technique qui s’adapte parfaitement à l’étude des mécanismes des troubles anxieux. »
Plus précisément, le chercheur a utilisé la théorie des graphes afin d’étudier la dynamique des interactions entre les processus cognitifs, comportementaux et émotionnels supposés actifs dans le maintien de l’anxiété sociale. « Cette pathologie est très invalidante : les personnes qui en souffrent sont extrêmement timides, elles n’osent pas prendre la parole, elles restent chez elles la majeure partie du temps, … On estime que 12% de la population consulte un jour un spécialiste pour ce trouble. »
La théorie des graphes
En utilisant la théorie des graphes, Alexandre Heeren a pu établir une sorte de réseau graphique des mécanismes impliqués dans l’anxiété sociale : chaque point du graphe correspondant à l’un d’eux et sa position donne des informations sur son importance dans le maintien de l’anxiété par rapport autres mécanismes ! « Nous avons ainsi observé que le mécanisme principal qui entretient l’anxiété sociale est l’évitement des situations anxieuses. Plus ces personnes évitent les situations problématiques, plus la peur d’y être confrontée augmente et plus l’anxiété s’intensifie. » Si ce résultat publié dans Journal of Anxiety Disorders n’est pas une découverte, de précédentes recherches l’ayant déjà démontré, il lui a en revanche permis de valider sa méthode d’analyse.
Troubles anxieux vs dépression
Une fois sa méthode validée, le chercheur s’est intéressée à une question plus large : celle du lien entre le trouble anxieux et le trouble dépressif majeur. « On sait qu’avec le temps, 85% des personnes souffrant de troubles anxieux vont développer des troubles dépressifs majeurs. Par contre, on ne sait pas quels sont les signes avant-coureurs d’un tel basculement puisque nous n’avions jusqu’ici pas de méthode permettant d’analyser les mécanismes de ces deux types de troubles en même temps. »
Grâce à la théorie des graphes c’est aujourd’hui possible ! Alexandre Heeren a ainsi pu analyser des données obtenues auprès de près de 400 patients, une cohorte de grande ampleur pour ce type d’étude psychologique. « Cela nous a permis de constater que la présence de mécanismes d’évitement massif de situations d’interaction avec des inconnus ou des personnes ayant autorité constituent des mécanismes à partir desquels le réseau de symptômes anxieux se connecte aux symptômes de dépression, et plus particulièrement aux symptômes liés aux sentiments de culpabilité et de pessimisme, avant de se propager dans l’ensemble du réseau de symptômes dépressifs. »
Révolutionner la psychologie clinique
Outre les résultats obtenus, ces travaux offrent de nouvelles pistes de recherche dans le domaine de la psychologie clinique ! « Réussir à étudier les relations entre différents troubles psychologiques est quelque chose de tout à fait neuf ! Sans cette méthode des graphes, ce n’était pas si simple. À terme il sera peut être possible de modéliser chaque personne en souffrance afin de comprendre plus précisément et plus personnellement comment l’aider mais aussi d’évaluer l’effet des changements de comportement mis en place dans le cadre de la thérapie. Ce serait révolutionnaire », conclut le chercheur.
Elise Dubuisson