Quand les bactéries font de la résistance

Certaines bactéries responsables de maladies chez l’homme résistent de mieux en mieux aux antibiotiques. Au point que certains voient en ces infections « antibiorésistantes » le fléau de demain. Heureusement, la recherche avance, et notamment à l’Institut de Duve de l’UCL

Les antibiotiques sont probablement la plus grande avancée médicale du XXe siècle. Depuis la découverte du premier d’entre eux, la pénicilline, en 1928, ces médicaments ont sauvé des millions de vies en s’attaquant aux bactéries potentiellement pathogènes pour l’homme. Problème : partout dans le monde, de plus en plus de personnes développent des infections bactériennes qui résistent à un ou plusieurs antibiotiques. Certaines bactéries comme E.coli ou les staphylocoques dorés, combattues avec succès pendant des décennies, ne réagissent (presque) plus aux antibiothérapies. Résultats : un nombre croissant de patients décède des suites de ces maladies. Et pas seulement les enfants, les personnes âgées ou les malades ; même un adulte en bonne santé peut attraper une infection bactérienne résistante aux antibiotiques…

équipe JF Collet

La résistance, un phénomène ancien et naturel

Ce phénomène de résistance est loin d’être nouveau. En fait, il est aussi ancien que les bactéries elles-mêmes qui, pour rappel, sont apparues sur Terre bien avant nous ! Au cours des millénaires, les bactéries ont développé des capacités d’adaptation et de survie extraordinaires. « Par exemple, certaines possèdent des systèmes de pompage qui leur permettent d’évacuer les substances toxiques », explique le Pr Jean-François Collet, chercheur à l’Institut de Duve de l’UCL et spécialiste des bactéries. « Elles peuvent aussi communiquer entre elles et se refiler leurs astuces ! Et comme elles se reproduisent très vite, parfois en 20 minutes, il suffit qu’une mutation bénéfique survienne chez une seule bactérie pour que cette mutation se propage rapidement à toute une population bactérienne. » 

Bref, à l’instar de tout être vivant, les bactéries ont un instinct de survie et se défendent contre leurs agresseurs ! Les antibiotiques ne font pas exception. « Chaque fois qu’un antibiotique a été mis sur le marché, quelques années plus tard, des phénomènes de résistance sont apparus », poursuit le chercheur. Comment ? « Un antibiotique s’attaque à une cible précise, une protéine qui se trouve à la surface ou à l’intérieur de la bactérie. Or, le gène contenant le code (la « carte d’identité ») de cette protéine peut muter. Et donner lieu à une protéine différente qui, elle, est, insensible à l’antibiotique. Quand ça arrive, l’antibiotique ne reconnaît plus sa cible de départ et échoue à détruire la bactérie. C’est l’un des mécanismes pouvant conduire à l’antibiorésistance. »

La bactérie, un petit château fort

Si l'antibiorésistance est devenue un problème, c’est parce que nous n’avons plus découvert de nouvel antibiotique depuis longtemps. « L’industrie pharmaceutique s’en est désintéressée. Or, il faut 10 à 15 ans de recherches pour mettre au point un nouvel antibiotique… » Dans son laboratoire, le Pr Collet et son équipe étudient donc les mécanismes de défense des bactéries à Gram négatif (1). Objectif : découvrir comment passer outre ces mécanismes et identifier de nouvelles cibles pour de futurs antibiotiques. 

Pour comprendre leurs recherches, il faut se représenter la bactérie à Gram négatif comme un petit château fort, composé de

  • 2 enceintes de fortification = les 2 membranes qui entourent et protègent la bactérie contre les agressions extérieures ;
  • le QG de la bactérie ;
  • des soldats = des protéines situées à l’intérieur de la bactérie et qui peuvent, parfois, en sortir pour aller combattre ses agresseurs ;
  • des maçons = des protéines situées à l’intérieur de la bactérie et qui réparent d’éventuels trous dans les murs d’enceinte. 

« En 2014, nous avons découvert que la bactérie possède un système d’alarme qui informe le QG quand il y a un trou, une brèche dans l’une de ses enceintes (2). Ce qui permet à la bactérie d’envoyer ses petits maçons la réparer. Nous sommes en train de développer des molécules qui pourraient saboter ce système d’alarme, empêchant ainsi la bactérie de se défendre. » 

Bactéries Vs. eau de javel

Fin 2015, en collaboration avec l’Université d’Aix-Marseille, le Pr Collet a publié un article dans la prestigieuse revue Nature concernant un autre mécanisme de défense des bactéries (3). « L’eau de javel (hypochlorite de sodium) est un puissant antibactérien », rappelle le chercheur. « Or, certaines de nos cellules sont capables d’en produire. Cette eau de javel naturelle peut s’attaquer aux briques (protéines) qui composent l’enceinte de fortification de la bactérie. Nous avons découvert que lorsque cela arrive, certaines bactéries mettent en branle un système de réparation des briques abîmées par l’eau de javel. Ce qui leur permet de survivre à cette attaque. » Une découverte qui, comme les précédentes, permettra peut-être de mettre au point de nouveaux antibiotiques. 

Candice Leblanc.

 

(1) Il en existe 2 grandes familles de bactéries : celles à Gram positif ont une seule membrane de protection alors que les bactéries à Gram négatifs en ont 2.

(2) Cette découverte a fait l’objet d’une publication dans la revue scientifique Cell.

(3) Gennaris et al., « Repairing oxidized proteins in the bacterial envelope using respiratory chain electrons » in Nature, décembre 2015.

Les recherches du Pr Collet sur les bactéries sont ou ont été principalement financées par le FNRS, l’Institut WELBIO et une bourse de l’European Research Council (ERC).

Coup d'oeil sur la bio de Jean-François Collet

1995                         Diplôme d’ingénieur en sciences agronomiques, UCL, Belgique
1995-2000               Thèse de doctorat, Institut de Duve, UCL, Belgique
2001-2004               Post-doctorat, University of Michigan, USA
2004                         Lauréat du Prix Fredericq de l’Académie royale des Sciences de Belgique
                                  Lauréat du prix de la Belgian American Educational Fondation
2005-2013               Chercheur associé du FNRS à l’Institut de Duve, UCL, Belgique
2010                         Lauréat du Prix Alvarenga de Piauly de l’Académie royale de Médecine et du Prix De Somer
Depuis 2011            Investigateur pour l’Institut WELBIO
Depuis 2013            Maitre de recherche du FNRS et professeur à l’UCL
2014                         Lauréat du Prix Henri Fauconnier de l’Académie royale de Médecine

                                

Publié le 25 octobre 2016