Les fleurs diffusent un doux parfum qui attire non seulement les insectes pollinisateurs, mais aussi les être humains qui les utilisent pour créer des parfums largement utilisés en cosmétique. Mais comment font ces fleurs pour les diffuser dans l’air ? François Lefèvre et Baptiste Pierman, chercheurs à l’Institut des Sciences de la Vie – UCL, font partie d’une équipe internationale qui en a découvert le mécanisme. Ils ont publié une étude dans la prestigieuse revue Science, dont elle fait la Une !
Quoi de plus normal qu’une fleur qui sente bon ? De notre point de vue, cela semble très naturel, mais sous cette diffusion de composés odorants, il existe tout un mécanisme qui était jusqu’à présent ignoré. « Les fleurs et les plantes produisent des composés odorants depuis les pétales. On pensait jusqu’à présent que ces molécules sortaient de manière passive et étaient simplement diffusées dans l’air. Dans cette étude, à laquelle ont participé des équipes de recherche non seulement de l’UCL, mais également de Purdue University (USA) et de l’Université d’Amsterdam (Pays-Bas), nous avons démontré qu’il fallait un transporteur actif, à savoir une pompe membranaire pour les envoyer dans l’air », confirme François Lefèvre, qui précise qu’il s’agit d’un transporteur ABC appelé PhABCG1.
Des composés odorants vitaux
Les molécules volatiles propulsées dans l’air par les plantes ne servent pas qu’à attirer les pollinisateurs : « Quand elles se font attaquer, ou si elles souffrent de sécheresse, par exemple, les plantes et les fleurs peuvent diffuser ces molécules volatiles dans l’air afin de communiquer cette menace aux autres plantes qui l’entourent afin de les ‘prévenir’ de développer les mécanismes pour y résister. Tous ces rôles sont essentiels pour la survie de la plante. Il était donc utile de comprendre comment tout cela se déroule », poursuit le chercheur. Bref, sous la beauté de la plante ou de la fleur se cachent des mécanismes beaucoup plus complexes qu’on ne le pense !
Ces composés organiques volatils (COV) que sont ces molécules odorantes sont de plusieurs types, avec des caractéristiques bien différentes, et sont bien connus de l’industrie cosmétique : terpènes, dérivés d’acides gras, indoles et benzénoïdes. « Ce sont surtout ces derniers que nous avons étudiés, car ils sont très présents dans les pétunias qui ont servi de modèle dans notre étude », poursuit Baptiste Pierman, qui a également participé à cette étude. « Ainsi on voit que ces molécules sont produites dans certaines plantes en permanence, et dans d’autres plantes à certains moments de la journée. Par exemple, la rose diffuse ses parfums le jour, alors que le pétunia les diffuse en soirée et la nuit, car les insectes pollinisateurs qui la visitent sont nocturnes. »
Le rôle des transporteurs
Cette périodicité dans la production des molécules odorantes est régulée par un facteur de transcription appelé ODORANT1. Or, ce dernier est également impliqué dans la régulation de PhABCG1… « C’est là que l’on retrouve le lien entre le transporteur et la production des composés odorants », enchaine François Lefèvre. « Nous avons constaté que ce transporteur était présent dans les pétales au moment où les composés sont produits. Cette concomitance nous a interpellés. Nous avons donc cherché à savoir si la présence de ce transporteur était une condition à la diffusion des COV dans l’air ou s’il ne s’agissait que de deux phénomènes plus indirectement liés. »
Les pompes membranaires sont particulièrement bien connues de l’équipe de l’Institut des Sciences de la Vie de l’UCL, qui s’est spécialisée dans ce domaine. Elles se retrouvent dans tous les êtres vivants, et sont très souvent impliquées dans la résistance aux stress. Par exemple, les plantes en produisent en grandes quantités pour se constituer des protections contre des pathogènes extérieurs ou des insectes ou encore pour évacuer des métaux lourds.
Pour en revenir à nos pétunias, les chercheurs ont voulu mettre en relation la production de transporteurs PhABCG1 et la diffusion des molécules odorantes. « Par modélisation mathématique, nos collaborateurs ont montré que si aucun transporteur ne les amenaient vers l’extérieur, la plante devrait produire ces COV en très grandes quantités pour qu’on en retrouve autant dans l’air. Or, il semble qu’il existe un seuil au-delà duquel leur présence peut s’avérer toxique pour la cellule. Cela plaidait pour un mécanisme plus complexe », explique Baptiste Pierman.
3 évidences majeures
Le transporteur PhABCG1 était donc soupçonné d’être impliqué dans le transport des molécules odorantes vers l’extérieur de la plante. « Nous avons établi son rôle grâce à trois tests. Tout d’abord, nous avons montré que lorsque, par génie génétique, on obtient des plantes incapables de produire ce transporteur, on retrouvait davantage de ces molécules dans les pétales et moins dans l’air qui environne la fleur. Ensuite, dans ces fleurs exemptes de ces transporteurs, nous avons démontré que les cellules souffraient davantage de toxicité : elles étaient mal en point car elles contenaient trop de ces molécules odorantes dans leurs cellules. Enfin, et c’est dans ce domaine que notre équipe a été particulièrement impliquée, nous avons établi la preuve que PhABCG1est directement impliqué dans ce mécanisme de transport des molécules odorantes, et n’est pas un simple élément dans une cascade. Nous avons en effet produit ce transporteur dans des cellules de plantes en culture (BY2). Ensuite, nous avons réalisé des tests de transport avec plusieurs molécules. Deux types de benzénoïdes (le benzoate de méthyle et l’alcool benzylique) sont en effet véhiculés par ce transporteur. Ce qui n’était pas le cas avec les terpènes par exemple, ce qui démontre une certaine spécificité du transporteur », rapporte François Lefèvre.
Extrapolations
Ces recherches, purement fondamentales, peuvent néanmoins servir de base à l’étude des mécanismes d’émission de composés volatils par d’autres êtres vivants comme les microbes, les insectes ou même par notre propre organisme. « En climatologie aussi, notre recherche peut servir : ces molécules, lorsqu’elles sont dans l’air, servent de noyaux de condensation nécessaires à la formation des nuages. Cette découverte permettra donc de développer des modèles météorologiques plus précis. Enfin, cette recherche ouvre de nombreuses perspectives dans le domaine de l’ingénierie métabolique en révélant de nouvelles cibles pour améliorer la production et la sécrétion de ces composés très utilisés en parfumerie, en cosmétique, mais aussi comme arômes naturels dans l’industrie alimentaire. Pour ce qui nous concerne, nous nous concentrons désormais sur d’autres transporteurs ABC, car cette famille compte au moins 120 variantes chez les plantes dont les rôles doivent encore pour la plupart être déterminés… », concluent les chercheurs.
Carine Maillard
Coup d'oeil sur la bio de François Lefèvre
2011 : Bachelier bioingénieur à l’UCL
2012 : Erasmus à Wageningen UR, Pays-Bas
2013 : Master bio-ingénieur : chimies et bio-industries, Université catholique de Louvain
Depuis 2013 : Aspirant F.R.S. - FNRS, Institut des Sciences de la Vie, Université catholique de Louvain
Coup d'oeil sur la bio de Baptiste Pierman
2011 : Bachelier bioingénieur à l’UCL
2012 : Erasmus à Wageningen UR, Pays-Bas
2013 : Master bio-ingénieur : chimies et bio-industries, Université catholique de Louvain
Depuis 2013 : Aspirant F.R.S. - FNRS, Institut des Sciences de la Vie, Université catholique de Louvain