Aujourd’hui, la recherche au sujet du cancer avance à pas de géant… surtout pour les adultes. Moins pour les enfants dont les cancers sont bien plus rares. Anabelle Decottignies et son équipe de l’Institut de Duve s’y sont quand même intéressés et ont trouvé une cible potentielle qui permettrait de tuer la cellule cancéreuse sans atteindre les autres cellules. Ils viennent de publier leurs découvertes dans la prestigieuse revue « Molecular Cell », et s’attaquent déjà à la recherche des molécules de cette potentielle future thérapie ciblée.
Guérir le cancer de tous les enfants
KickCancer, vous connaissez ? Ces derniers mois, la chanteuse Angèle a fait parler de cette fondation dont la mission est pour le moins ambitieuse : guérir le cancer de tous les enfants. Car aujourd’hui, peu d’entre nous le savent : la plupart des recherches au sujet du cancer sont réservées aux adultes. La majorité des innovations rassurantes pour soigner les tumeurs malignes s’adressent aux adultes et trop peu aux plus jeunes. Pourquoi ? « Les cancers pédiatriques sont rares », explique Anabelle Decottignies, Maître de recherche au FNRS et à la tête d’une équipe de recherche à l’Institut de Duve, « En Belgique, chaque année, il y a 70.000 nouveaux cas de cancers chez les adultes, contre 350 chez les enfants. Forcément, les groupes pharmaceutiques ne s’y intéressent pas beaucoup. »
Des chimiothérapies trop toxiques
Faute de recherches, les traitements des cancers pédiatriques n’évoluent pas. La chimiothérapie préconisée dans la plupart des cancers des enfants est tout aussi toxique qu’il y a 20 ans. De plus, ce type de traitement est lourd de conséquence pour l’enfant à court, moyen et long terme. Les études ont prouvé que la chimiothérapie pouvait mener à la stérilité et à la surdité de l’enfant. Plus globalement, ce traitement fait vieillir l’organisme prématurément. Après des séances de chimiothérapie, l’enfant entame son capital de cellules-souches. Or, celles-ci permettent la prolifération et le renouvellement de ses tissus. La capacité des tissus à se regénérer diminue donc, alors que l’enfant qui guérit a encore de nombreuses années devant lui.
Des télomères éternels
Le laboratoire d’Anabelle Decottignies a décidé de renverser la tendance et de mener des recherches à propos des cancers pédiatriques. Comme nous vous l’expliquions dans un article précédent, le Dr Anabelle Decottignies étudie depuis 15 ans les télomères, ces petits bouts de chromosomes qui jouent un rôle capital dans notre vieillissement. Dans une cellule normale, plus les télomères s’usent, plus nos cellules et nos organes vieillissent. C’est le vieillissement naturel. A l’inverse, dans une cellule cancéreuse, les télomères deviennent incapables de se raccourcir. Résultat : les cellules cancéreuses ne vieillissent pas, elles parviennent à se diviser indéfiniment, formant des tumeurs et des métastases. La découverte des télomères et de la télomérase, cette enzyme qui veille à la longévité de ces télomères, a été récompensée en 2009 par un prix Nobel de médecine.
Deux mécanismes de jeunesse éternelle
Progressivement du côté des scientifiques, l’idée a germé d’essayer de cibler ces télomères des cellules cancéreuses pour les obliger à vieillir et, du coup, les empêcher de se diviser. Pour cela, il a fallu comprendre les mécanismes qui permettaient aux cellules cancéreuses de garder leur jeunesse éternelle :
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D’un côté, les cellules cancéreuses réactivent l’expression d’un gène embryonnaire (90% des cancers) : au premier stade du développement embryonnaire, nos cellules sont « éternellement jeunes ». Cette immortalité est enclenchée par la télomérase, une enzyme qui parvient à maintenir la taille des télomères. Dans 90% des cancers, le gène de cette enzyme peut être réactivé, engendrant des divisions infinies, et formant des tumeurs et des métastases.
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De l’autre côté, les cellules cancéreuses mettent en place un système alternatif (5 à 10% des cancers) : ce mécanisme appelé ALT (Alternative Lenghtening of Telomeres) n’est présent dans aucune de nos cellules normales et est tout à fait caractéristique à certains cancers, notamment les cancers pédiatriques tels que des cancers du cerveau, les cancers de l’os ou d’autres cancers spécifiques à l’enfant. Il se retrouve également dans certains cancers de l’adulte, notamment les sarcomes.
Cibler les télomères
Aujourd’hui, comme le mécanisme ALT n’est présent dans aucune de nos cellules saines, si on arrive à cibler la cellule cancéreuse, le traitement épargnera le reste de l’organisme. Pour cela, une thérapie ciblée est nécessaire. Or, actuellement, les traitements privilégiés chez les enfants sont des chimiothérapies non-spécifiques qui attaquent les cellules-souches et ont des effets néfastes à long terme. Récemment, l’équipe a trouvé une cible potentielle (un gène) qui permettait de tuer la cellule qui utilise le mécanisme ALT, sans tuer les autres cellules. Son nom : TSPYL5. « C’est la première fois qu’on trouve une cible spécifique pour les cellules cancéreuses avec un mécanisme ALT de maintien des télomères», se réjouit Anabelle Decottignies.
Empêcher l’interaction entre deux protéines
Le Dr Decottignies et son équipe ont approfondi l’implication de ce gène TSPYL5 dans le mécanisme alternatif. Ils viennent de publier leurs découvertes dans la prestigieuse revue « Molecular Cell ». La protéine TSPYL5 codée par ce gène bloque, en se liant à une autre protéine appelée USP7, cette même protéine. Or, si on enlève la protéine TSPYL5, USP7 devient capable d’agir et d’entraîner la mort des cellules. Grâce au financement de la Fondation contre le cancer et en collaboration avec la VUB et l’UCLouvain, Anabelle Decottignies va donc chercher des molécules capables d’empêcher l’interaction entre la protéine USP7 et TSPYL5. La protéine USP7 pourra ainsi tuer la cellule cancéreuse et empêcher le développement d’une tumeur ou d’une métastase.
Comment trouver ces molécules ?
Depuis l’an dernier, la manière de trouver ces molécules s’est précisée. Désormais, l’équipe d’Anabelle Decottignies peut compter sur deux collaborations :
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Avec le Pr. Joris Messens de la VIB-VUB Center for Structural Biology, Bruxelles : L’équipe de la VUB va aider à identifier une molécule. Pour cela, le groupe est occupé à comprendre comment les deux protéines (USP7 et TSPYL5) agissent ensemble. Ensuite, ils feront appel à deux approches :
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Grâce à la cristallographie, ils comptent trouver les molécules qui empêchent l’interaction entre ces deux protéines.
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Ensuite, l’autre approche s’intéressera aux « nanobodies », des protéines qui sont la plus petite entité fonctionnelle de l’anticorps. Ils ont la capacité de rentrer dans certaines cellules, tant ils sont petits et ainsi empêcher l’interaction entre les protéines ciblées.
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Avec le Pr. Benjamin Elias, Institute of Condensed Matter and Nanosciences, UCLouvain : Ce groupe de chimistes va aider l’équipe d’Anabelle Decottignies à synthétiser les molécules thérapeutiques pour les cancers ALT.
A la recherche des bonnes molécules
Dès à présent, Anabelle Decottignies démarre la collaboration avec la VUB pour identifier les nouvelles molécules qui vont cibler l’interaction. Ensuite, pour valider ces molécules, il faudra mettre ces molécules en culture et vérifier qu’in vitro, elles tuent bien spécifiquement les cellules ALT, en épargnant les cellules saines. Après, les essais pré-cliniques se feront chez la souris au départ de xénogreffes, c’est-à-dire des cellules tumorales humaines injectées chez une souris immunodéficiente. Enfin seulement, les essais cliniques pourront avoir lieu. Mais ce n’est pas pour tout de suite. Le premier grand défi reste celui de trouver ces molécules qui ne tuent que les cellules cancéreuses et pas les autres. Le second sera d’avoir des molécules très efficaces qui n’engendrent pas de résistance de la part de la cellule cancéreuse. Si touts ces conditions sont réunies, l’équipe d’Anabelle Decottignies aura sensiblement contribué à l’amélioration des traitements des cancers pédiatriques. Elle aura aussi participé activement à la mission de la fondation KickCancer : guérir le cancer de tous les enfants.
Lauranne Garitte
Coup d’œil sur la bio d'Anabelle Decottignies
Diplômée de bioingénieur à l’UCLouvain, Anabelle Decottignies réalise, de 1992 à 1998, une thèse à propos des mécanismes de résistance aux médicaments (la levure comme organisme modèle), à la Faculté d’Agronomie à l’UCLouvain. Elle poursuit ensuite un postdoctorat de 3 ans sur l’étude de régulateurs du cycle cellulaire dans le laboratoire de Paul Nurse à Londres. En 2001, elle devient chargée de recherche FNRS à l’UCLouvain et à l’Institut de Duve, puis chercheuse qualifiée en 2004 et maître de recherche aux FNRS en 2014. Elle reçoit le Prix Fond Simon Bauvin, Christian Lispet, Robert Brancart, Denise Raes de la Fondation Roi Baudouin en 2016, est Officier du Mérite wallon dans la catégorie « Science » en 2017, et reçoit le prix Allard-Janssens en mai 2018. |