Psychologie des émotions : renouveau psychothérapeutique

Lauréat du Prix de la meilleure publication en psychologie clinique du Journal of Contemporary Psychotherapy, le Professeur Pierre Philippot défend une psychothérapie qui repose sur des modèles théoriques qui ont été validés empiriquement.

Dès ses études en psychologie, Pierre Philippot, Professeur de psychologie clinique à l’Institut de recherche en sciences psychologiques (IPSY) de l’UCLouvain, s’intéresse aux émotions et particulièrement aux aspects cliniques de leurs expressions, ce qui l’amène à se former à la psychothérapie. Cette dualité entre la théorie et la pratique clinique le conduit tout naturellement à prendre la responsabilité de la formation de 3ème cycle en psychothérapie et à créer au sein de la faculté un service de consultation psychologique, lieu d’application privilégié, où les innovations sont éprouvées dans une pratique clinique quotidienne. « Notre volonté, précise-t-il, est de dispenser une psychothérapie qui est fondée sur des données probantes. Cela signifie que les traitements sont des traitements dont on a pu démontrer l’efficacité au-delà des effets placebo ou d’attente. Mais aussi que nos démarches reposent sur des modèles théoriques qui ont reçu une validation empirique. Alors que, jusqu’il y a peu, la psychothérapie a été influencée par des écoles thérapeutiques où on était parfois plus proche d’une démarche dogmatique que d’une démarche empirique. »

Repenser la procédure psychothérapeutique

L’article primé, publié avec des collègues des universités de Savoie Mont Blanc et Grenoble Alpes, va dans ce sens du renouveau de la procédure psychothérapeutique. Lors de ces 20 dernières années en effet, la psychothérapie a en quelque sorte imité la médecine : à un diagnostic correspond un protocole de traitement qui est appliqué au patient. « Le problème en santé mentale, explique Pierre Philippot, est qu’il est bien difficile d’établir un diagnostic puisque nous nous basons sur des symptômes qui sont des épiphénomènes extérieurs. Or la relation entre ces symptômes et les processus sous-jacents est très ténue en santé mentale. » Si un patient se présente chez son médecin avec des douleurs d’estomac par exemple, ce type de symptôme va très vite orienter le clinicien vers un diagnostic et donc vers un traitement. En santé mentale, la relation ‘tel diagnostic, tel traitement’ est moins nette. Un diagnostic de dépression par exemple peut être émis dans de nombreux cas de figures différents. « Il vaut donc mieux pouvoir établir quels sont les processus qui sont la cause de l’apparition et du maintien du trouble et intervenir sur ces processus. Evidemment, on espère in fine une amélioration au niveau symptomatique, mais la cible doit être le processus. » C’est donc une approche transdiagnostique de la psychothérapie que proposent Pierre Philippot et ses collègues puisqu’un même processus peut se retrouver dans différents diagnostiques.

Le long article primé constitue en quelque sorte une nouvelle feuille de route de la psychothérapie. Il donne tout d’abord les arguments théoriques, cliniques et pratiques en faveur d’une telle approche. Il s’attarde ensuite sur la notion de ‘processus psychologique’. Des exemples ? La rumination mentale, des mécanismes de sélection de l’information ou encore l’évitement face à des situations qu’on appréhende, etc. Des processus qui vont se retrouver dans différents diagnostiques. Ces processus psychopathologiques sont ensuite catégorisés puis les chercheurs proposent des directives pour sélectionner des interventions psychothérapeutiques pour ces processus. Ils justifient enfin une organisation des traitements en différents modules, chacun abordant un processus psychopathologique spécifique.

Les chercheurs ont ensuite tenu à appliquer leur méthode aux troubles de l’humeur et à l’anxiété, passant en revue les principaux processus qui peuvent être actifs dans ces cas. Un questionnaire d’évaluation est proposé, ainsi qu’un instrument web en accès libre qui permet aux patients de remplir le questionnaire et donc au thérapeute de disposer d’un outil de dialogue avec son patient.

Humeurs dépressives

Pour rendre la démarche plus concrète, on peut prendre l’exemple d’une personne qui manifeste régulièrement des humeurs dépressives. Les processus sous-jacents identifiés sont divers : mode de pensée surgénérale (pensée très abstraite, décontextualisée, souvent orientée vers le passé ou le futur), d’où une forme de rumination mentale qui va boucler sur elle-même à cause de sa généralité ; besoin de contrôle important et donc hypervigilance envers tout signe de perte de ce contrôle, d’où un épuisement dû à la tension permanente ;  ruminations mentales qui concourent aussi à l’épuisement. « Ce que nous proposons donc ici, dans ce cas d’école, explique Pierre Philippot, c’est de traiter non pas la dépression mais les processus qui conduisent à celle-ci. Et comme ils sont divers, la première question à laquelle il faut répondre est celle de l’ordre dans lequel on va les traiter. Que va-t-on cibler d’abord ? Cela ne pourra se faire qu’en collaboration avec la personne : les ruminations mentales, l’hypervigilance, la tolérance à l’incertitude (ne pas vouloir tout contrôler) ? C’est cette démarche que nous avons expliquée dans notre article. »

Un article qui n’a été possible qu’au bout de 10 ans de pratique au sein de la clinique créée par Pierre Philippot. Et c’est toujours sur cette pratique clinique quotidienne que les chercheurs vont maintenant s’appuyer pour évaluer les avantages de leur méthode. « C’est une recherche qui sera longue et difficile, explique Pierre Philippot. Il faudra comparer les deux méthodes sur de nombreux groupes différents et déterminer si, avec notre méthode, le patient a l’impression d’avoir été mieux compris par son thérapeute et s’il a davantage envie d’entrer dans le processus de soin. » Le tout pour, in fine, pouvoir montrer que cette procédure permet de soulager soit plus rapidement, soit plus complètement les patients.

Henri Dupuis

 

Coup d'oeil sur la bio de Pierre Philippot

C’est en réalisant son service civil en tant qu’objecteur de conscience que Pierre Philippot a senti naître sa vocation de psychologue. « Je travaillais alors, se souvient-il, comme éducateur dans un home pour enfants placés par le juge de la jeunesse. » A l’issue de son service civil, il entame donc des études de psychologie à l’UCLouvain. Il est marqué par un professeur, Bernard Rimé, passionné par la recherche et les émotions. La voie du jeune étudiant est dès lors tracée : il sera chercheur dans le domaine des émotions. Son diplôme de psychologue en poche (1987) il entame une thèse de doctorat aux USA, à l’université du Massachussets où il séjourne pendant deux ans. Il rentre à l’UCLouvain en tant qu’assistant et y termine sa thèse en 1992. «Ma thèse portait sur les rapports entre les changements physiologiques réels, objectifs et les sensations corporelles que les gens éprouvent lorsqu’ils ressentent des émotions. » Parallèlement à son doctorat, il suit une formation en psychothérapie qu’il termine en 1993. Agrégé de l’enseignement supérieur en 2004 ; il est aujourd’hui professeur de psychologie clinique à l'Université de Louvain. Ses domaines d'enseignement et de recherche couvrent les émotions (avec des intérêts particuliers pour la régulation cognitive des émotions et des mémoires autobiographiques, les rétroactions respiratoires dans les émotions et la reconnaissance de l'expression faciale émotionnelle) et la psychothérapie. Il a fondé à l'UCLouvain et dirige actuellement un centre clinique spécialisé dans le traitement des troubles émotionnels. Il dirige une formation post-universitaire pour les psychothérapeutes, axée sur une pratique empirique.

Publié le 02 septembre 2019