Comment évoluer vers un commerce mondial plus durable ? En mesurant la stabilité et l’intensité des relations entre les acteurs des filières d’approvisionnement des matières premières et les régions de production. L’équipe de Patrick Meyfroidt (ELI) propose une méthodologie spécifique pour analyser ces rapports commerciaux. Un processus d’évaluation essentiel pour rendre efficaces les mesures de protection de l’environnement.
La crise sanitaire liée au Covid 19 amène le monde économique à revoir sa façon de produire et de consommer. A l’heure où les autorités internationales discutent de l’avenir des relations commerciales dans le monde, les chercheurs de l’UCLouvain déploient toute leur expertise en vue de soumettre des recommandations basées sur des données concrètes. Dans une étude publiée ce 24 juillet 2020 dans la revue One Earth (retrouvez l'article ici), Patrick Meyfroidt, chercheur qualifié FNRS UCLouvain au Georges Lemaître Centre for Earth and Climate Research, Tiago Reis, chercheur dans son équipe, et d’autres collègues développent le concept d’adhérence géographique dans le commerce mondial des matières premières. Les chercheurs analysent les relations qui existent entre les acteurs des chaînes d’approvisionnement et les territoires de production. Ils examinent l’utilisation des terres dans ces régions, notamment la déforestation. Mieux comprendre la nature des liens qui unissent les différents intervenants (producteurs, commerçants et consommateurs), leur stabilité ou leur volatilité permet d’assurer la soutenabilité des relations commerciales.
La stabilité, une garantie
L’étude arrive à point nommé. En effet, trois grands accords liés à l’avenir du commerce mondial sont en cours de négociation. Tout d’abord, les États-Unis et l'Union européenne débattent autour d’un Green New Deal destiné à favoriser le développement durable dans certaines régions du monde. Par ailleurs, la Commission européenne travaille sur une réglementation en vue de réguler la déforestation qui serait incorporée dans les contrats relatifs aux importations en Europe. Enfin, un traité commercial entre l’UE et le Mercosur, qui aurait un impact particulièrement important sur les denrées agricoles produites en Amérique du Sud, fait également l’objet d’une concertation. La recherche menée par l’équipe de Patrick Meyfroidt permet d’alimenter scientifiquement le débat en livrant des analyses objectives. « De nombreux mécanismes de gouvernance visant à plus de respect de l’environnement dans les filières de commerce international reposent sur l’idée suivante : si les parties prenantes (les consommateurs, les gouvernements ou les associations) envoient un signal fort aux compagnies en réclamant des biens produits de façon plus durable, ce message va se répercuter jusqu’aux agriculteurs les incitant à améliorer leurs modes de production, par exemple en renonçant à la déforestation », explique le chercheur. Mais cette « théorie du changement » impulsée par les différents partenaires repose sur une certaine stabilité des filières. « Celle-ci est nécessaire pour que la demande se transmette de façon marquée afin que l’on puisse demander aux sociétés intermédiaires, et ensuite aux producteurs, de rendre des comptes au sujet de leur impact environnemental », ajoute Patrick Meyfroidt.
Étude de cas au Brésil
Aujourd’hui, comment se présentent ces filières ? Les commerçants s’approvisionnent-ils régulièrement dans les mêmes zones de production ? Servent-ils habituellement les mêmes marchés de consommation ? L’adhérence géographique dans les chaînes d'approvisionnement des produits de base représente essentiellement la stabilité des relations commerciales entre les régions et les acteurs de la chaîne, la résistance de ces rapports aux chocs (économiques politiques, de production, etc.) et leur capacité à se remettre des perturbations. Dans leur étude, les chercheurs ont élaboré un cadre conceptuel et une méthodologie pour mesurer cette adhérence géographique, en utilisant la filière des exportations de soja du Brésil comme étude de cas. « Nous constatons que les commerçants de soja opérant au Brésil détenant les plus grandes parts de marché sont également ceux qui ont des scores d’adhérence élevés, ce qui signifie qu'ils sont les plus engagés à s'approvisionner plus ou moins dans les mêmes régions au fil du temps » commente Tiago Reis, auteur principal de l’étude. « Ce groupe de commerçants montre également des risques de déforestation plus élevés » ajoute-t-il. Néanmoins, les chercheurs observent que les entreprises géographiquement adhérentes et qui ont des filières plus stables sont également celles qui sont le plus préoccupées par la déforestation dans leurs zones d'approvisionnement. Elles sont en effet les plus susceptibles d’être signataires d'engagement zéro déforestation. Quelle est la cause de ce phénomène ? Pourquoi certaines relations persistent-elles au fil du temps alors que d’autres lieux ou acteurs ont des liens très volatils ? A ce stade-ci, les scientifiques n’émettent que des hypothèses sur plusieurs facteurs qu’ils explorent. Les résultats de leurs recherches feront l’objet d’un second chapitre de la thèse de Tiago Reis.
Expliquer les relations
La méthodologie développée dans la première partie du travail publié est innovante. « Nous avons toujours su que les acteurs de la chaîne d'approvisionnement entretiennent des relations stables ou volatiles avec les régions productrices, celles où les entreprises s’approvisionnent en biens qu'elles doivent fournir à leurs clients », explique Tiago Reis. « Cependant, nous n'avons jamais conceptualisé, mesuré et calculé la force et l'intensité de ces relations » précise-t-il. Les chercheurs peuvent maintenant établir des connexions et des associations avec d'autres processus, indicateurs et phénomènes pour améliorer leurs connaissances sur la façon dont les chaînes d'approvisionnement et les paysages interagissent. Qu’est-ce qui cause cette adhérence ? Quelles en sont ses conséquences sociales et environnementales? Répondre à ces questions leur permettra de proposer les meilleures solutions afin d’assurer de futures relations commerciales respectueuses de notre environnement.
Par Anne Mauclet
Crédit photo : © Thiago Foresti/IPAM
Coup d’œil sur la bio de Patrick Meyfroidt
Patrick Meyfroidt est un passionné de géographie et sociologie. Il étudie les interactions entre la société humaine et l’environnement à travers l’utilisation des sols. Découvrez son portrait ici.
- 2000 : Licence master en sciences géographiques, UCLouvain
- 2001 : Post graduat en écologie humaine (VUB)
- 2001-2003 : assistant chercheur, Département d’anthropologie et sociologie, UCLouvain
- 2003 : DEA en sociologie, UCLouvain
- 2004-2009 : doctorant ; département de géographie, UCLouvain
- 2010-2011 : chercheur post doc, TELCIM, UCLouvain
- 2013 : chercheur visiteur, Stockholm Resilience Centre
- 2011-2016 : Chargé de recherches FNRS, Georges Lemaître Earth and Climate Research Centre, UCLouvain,
- 2016- : chercheur qualifié FNRS, Georges Lemaître Earth and Climate Research Centre, UCLouvain