Julie Matagne

Recherche postdoctorale : étude de la résilience de la société vis-à-vis des forêts

Forgée par les principes émanant des sociétés industrielles, la foresterie se développe aujourd’hui dans un contexte sociétal urbanisé et tertiaire, et fait face au défi majeur que constitue une représentation sociale de la forêt largement virtuelle, immatérielle et distante des processus et cycles naturels. Cette représentation sociale dominante est forgée et renforcée en continu par les médias qui constituent par ailleurs une des principales sources de connaissances sur la forêt.

La conjoncture internationale actuelle installe par ailleurs un sentiment diffus de menaces tant politiques qu’environnementales et climatiques, voire de basculement civilisationnel comme suggéré par le concept d’anthropocène, et influence vraisemblablement également la tonalité générale de cette représentation.

Malgré des situations objectives autorisant une vision quelque peu positive voire optimiste (comme par exemple l’augmentation sensible et continue des superficies forestières en Europe ou les projets titanesques de reboisement en Chine), la forêt est largement perçue aujourd’hui par la société comme menacée. On observe par ailleurs une montée en force très significative de la valeur symbolique de l’arbre et de la forêt (refuge, immuabilité, intemporalité, synonyme d’éternité, de connexion avec les cieux, …) et un engouement pour la forêt (et les arbres qui la composent ) qui fut longtemps cantonnée à son rôle de décor : on retrouve la forêt au cœur de projets touristiques (Center Parcs du Domaine du Bois aux Daims), de best-sellers (dont le fameux La vie secrète des arbres), de films (Avatar, The End et autres Captain fantastique), de jeux de société (Photosynthesis, Okanagan, Arboretum, …) voire de jeux vidéo, y compris contemplatifs, comme le tout récent Walden, éponyme du livre de l’américain Henry David Thoreau, qui offre au joueur l’expérience de retour à la nature vécue par l’auteur dans les années 1850.

Une des composantes marquantes de la représentation sociale de la forêt qui prédomine aujourd’hui dans les sociétés urbanisées et tertiaires, est le refus croissant de la coupe des arbres considérée comme une atteinte inacceptable aux symboles qu’ils représentent voire une transgression éthique difficilement concevable. Les études montrent un positionnement plus radical des jeunes et révèlent le rôle majeur de démultiplicateur que jouent les médias.

Cette situation génère des contradictions et controverses avec l’éthique ou le code déontologique des métiers de la forêt et du bois qui ont prévalu jusque récemment. Celles-ci ont tendance à se renforcer y compris dans des pays très forestiers comme l’Autriche, la Suède ou la Finlande. Ceci conduit à des situations pouvant durablement freiner voire empêcher la mise en œuvre de politiques économiques, environnementales ou climatiques voire de santé publique, s’appuyant sur la forêt, ses processus écosystémiques et ses produits.

Cette situation est également le siège de paradoxes puisque des études internationales (Suda et Schaffner 2004; Rametsteiner et al. 2007) démontrent l’attrait de la société actuelle pour le matériau-bois. Le bois est en effet devenu une chose en-soi dans la représentation sociale, mis à distance voire coupé de ses origines par le façonnage qu’il a subi. Des leviers existent donc !

Dans cette situation de tensions, de questionnements déontologiques voire de perte d’une forme de pouvoir, les professionnels de la forêt et du bois qui se sont longtemps comportés comme les propriétaires symboliques de la forêt, ont tendance à adopter une position très défensive et à invoquer la nécessité de mieux communiquer. L’analyse des nombreuses initiatives prises en la matière par les acteurs du secteur montre l’adoption de solutions par trop simplistes et largement inefficaces. De type marketing, elles sont le plus souvent essentiellement unilatérales et révèlent leur motivation stratégique. La question de leur efficacité est rarement abordée ce qui illustre l’ampleur du fossé d’incompréhension et de méconnaissance des moteurs et leviers qui animent la société aujourd’hui. Le concept d’acceptabilité des coupes qui est au cœur d’études récentes entreprises par le secteur, sorte de chausse-pied qui devrait amener la société à le comprendre, est une autre illustration de cette vision unilatérale qui prévaut encore souvent et qui n’envisage aucune forme de remise en cause.

Recherche doctorale : évaluation de l'autonomie cognitive des jeunes vis-à-vis de messages médiatiques traitant de problématiques forestières

Cette recherche contribue à une meilleure compréhension de l’appropriation par le public des messages médiatiques parlant des forêts. Dans quelle mesure le public est-il capable de comprendre des messages médiatiques forestiers ? Parvient-il à détecter des stratégies de persuasion ou de formuler un jugement critique vis-à-vis de ces messages ? Dans quelle mesure est-il capable d’articuler des points de vue qui peuvent paraître contradictoires, comme la préservation et l’exploitation des forêts ?

Plus précisément, ce travail vise à évaluer le degré d’autonomie cognitive des jeunes en demandant à 300 étudiants, issus de l’enseignement secondaire supérieur et universitaire, de répondre à un questionnaire exigeant d’eux de lire et de réagir à des affiches traitant de diverses problématiques forestières. Certains d’entre eux ont ensuite passé un entretien en vue d’identifier et de comprendre les processus cognitifs qui sont le signe de différents degrés d’autonomie cognitive par le public. Cette recherche examine également l’influence de différents facteurs – liés soit au profil des individus, soit au type de communication caractérisant les affiches - sur la capacité des jeunes à faire preuve de plus ou moins d’autonomie cognitive vis-à-vis des médias qui leur ont été soumis.

Les résultats de cette thèse permettent de poser un diagnostic sur la capacité des jeunes à penser par eux-mêmes les médias forestiers et de comprendre les facteurs influençant cette capacité. Ils permettent également de nourrir la réflexion à propos de l’élaboration d’outils d’évaluation des compétences médiatiques. Ils offrent aussi des pistes, d’une part, pour favoriser la formation d’une autonomie cognitive des jeunes au travers des pratiques des éducateurs et, d’autre part, pour guider les concepteurs de médias forestiers vers une communication plus adaptée aux problématiques complexes que constituent les questions forestières.