A la conquête des objets perdus dans l’espace

Une équipe de chercheurs de l’ICTEAM (Institute of Information and Communication Technologies, Electronics and Applied Mathematics) vient de terminer un projet de recherche pour le compte de l’ESA (Agence Spatiale Européenne) dont le but laisse quelque peu perplexe : repérer des objets perdus dans l’espace. Avec l’humour qu’on lui connaît,  l’ESA n’a pas manqué de baptiser ce projet LOST ! 

Fort de 40 professeurs et d’environ 200 chercheurs, l’ICTEAM a des activités de recherche diverses : traitement de signal, traitement d’images, communications numériques, conception d’antennes, compression vidéo, imagerie médicale, etc. Lorsque l’ESA a lancé un appel d’offre pour son projet LOST (Localization of Objects in Space through RF Tags), l’ICTEAM était donc bien armé pour y répondre, ce que n’ont pas manqué de faire son équipe « antennes » (professeur Christophe Craeye) et son équipe « communications numériques » (professeur Luc Vandendorpe) en collaboration avec l’Université de Bologne. 

Mais pourquoi l’Agence européenne a-t-elle décidé de financer une telle recherche ? Le problème est plus aigu que les profanes non habitués aux conditions de vie dans l’espace l’imaginent. Ainsi, la station spatiale internationale reçoit-elle beaucoup d’équipages et il commence à y avoir beaucoup d’objets perdus qui s’y déplacent, dont on ne sait plus très bien à quoi ils servent. Mais repérer un objet abandonné depuis longtemps peut aussi être utile en milieu extérieur, sur la Lune par exemple sur laquelle on parle de retourner. Autre application potentielle : aligner des satellites qui fonctionnent en tandem ou plusieurs de leurs pièces qui ne peuvent se toucher et doivent rester à quelques mètres l’une de l’autre alors qu’ils sont en orbite. Un alignement qui est actuellement réalisé par des systèmes optiques, parfois pris en défaut lorsqu’un obstacle vient s’interposer. Un problème que le recours à des ondes radio élimine.

Des tags, des émetteurs et des antennes

« La contrainte, explique le Professeur Christophe Craeye, est que ces objets ne doivent évidemment pas être porteurs de puissance attachée, c’est-à-dire ne pas porter de piles ou de batteries. Difficile en effet d’imaginer attacher une pile à une brosse à dent ! De toute façon, cette pile serait vite usée. D’où le recours à des étiquettes (ou tags) RFID (Radio Frequency Identification). » 
La technique existe bien entendu depuis quelques temps déjà, notamment dans le commerce où elle a remplacé les codes-barres. Elle consiste d’une part en une étiquette que l’on place sur l’objet (voir l’animal) à tracer, comportant une puce et une antenne qui permet les échanges d’informations et d’autre part en un interrogateur (ou lecteur), dispositif actif émettant des radiofréquences qui vont activer les tags qui passent à sa portée. Qui pourront donc répondre à l’interrogateur par exemple en s’identifiant.
Dans le cadre du projet LOST, il fallait accroître notablement la précision du système (on parle ici d’une précision de localisation de un centimètre dans une surface de 10X10 m) avec un système sans émetteur actif, donc pérenne, et qui ne consomme pratiquement rien. 
Quel est le dispositif mis au point par les chercheurs louvanistes, et leurs collègues de Bologne, pour rencontrer ces contraintes ? Des émetteurs UHF (Ultra High Frequency), sont disposés autour de la pièce à contrôler par exemple l’intérieur de l’ISS, la station spatiale internationale. Ils émettent de la puissance, des ondes. Les tags passifs placés sur les objets à localiser (par exemple la brosse à dent d’un astronaute) récoltent l’énergie émise par les UHF, la transforment en impulsions très courtes qu’ils envoient vers des antennes réceptrices disposées elles aussi en périphérie de la surface à surveiller (voir les vidéos ci-dessous).  Ces antennes envoient les signaux reçus vers l’unité de traitement qui calcule la différence entre les temps d’arrivée à chacune des antennes, ce qui permet de localiser l’objet égaré !

Place à la miniaturisation !

Si la démonstration réalisée à Noordwijk dans les installations de l’ESA a donné pleine satisfaction et que le contrat avec l’ESA est aujourd’hui terminé (il reste le rapport final à rédiger), Thomas Feuillen, doctorant qui a été un des principaux instigateurs de la recherche, ne cache pas qu’il y aura encore des améliorations à apporter. « Il y aura sans doute une étape de miniaturisation à franchir, explique-t-il. Aujourd’hui, nos étiquettes font de l’ordre de 6x6 cm. C’est trop grand pour attacher à des outils ! Certains objets peuvent aussi absorber une partie de l’énergie envoyée vers l’étiquette qu’ils supportent. Nous avons donc dû isoler les différentes composantes. Là aussi, il y a encore du travail. Mais ce qui intéressait avant tout l’ESA, c’était de voir que les différents éléments du système pouvaient fonctionner ensemble. Les applications qu’elle a en ligne de mire sont plutôt à 10 ans que pour demain. »

Henri Dupuis

 

 

Les deux vidéos présentées ici montrent le dispositif réalisé par les chercheurs de L’UCL et de l’Université de Bologne dans deux cas particuliers : en laboratoire puis dans des conditions un peu plus proches de la réalité (un environnement lunaire ou martien) où, cette fois, le tag à localiser a été placé sur le rover « martien » développé par l’ESA et le laboratoire de robotique de l’ETH à Zurich.

 

 

On y distingue clairement les émetteurs UHF au milieu des murs, les antennes réceptrices dans les coins et le système (la ‘brosse à dent’), que le chercheur met en mouvement et qu’il faut localiser. L’ordinateur traite les informations et cela se traduit par un point : le tag, l’objet est repéré. L’expérience a été filmée dans différents cas de figure, notamment avec ou sans différents types d’obstacles placés entre l’objet et les antennes réceptrices.

 

Coup d'oeil sur la bio de Christophe Craeye

1994                   Ingénieur électricien, UCL
1998                   Docteur en sciences appliquées (UCL)
1994-1999         Assistant chercheur (UCL)
1999-2001         Post-doctorat, Eindhoven University of Technology (Pays-Bas) et University of Massachusetts.
2002–présent   Professeur Ecole Polytechnique de Louvain (UCL) ; recherches dans le domaine des antennes.

Coup d'oeil sur la bio de Thomas Feuillen

2015                   Master en engineering électromécanique, Ecole polytechnique de Louvain (UCL)
2015–présent    Assistant chercheur, UCL, doctorant thèse sur le traitement du signal radar
2016–présent    Master en management, Louvain School of Management (UCL)

Publié le 27 mars 2018