Afrique du Sud et tuberculose : succès du traitement

En 2006, l’Afrique du Sud a connu une épidémie de tuberculose qui laisse encore des traces aujourd’hui. L’OMS a rapidement mis en place des recommandations pour éradiquer cette maladie. Le Dr Anandi Martin, microbiologiste à l’UCLouvain, a été invitée en novembre par l’OMS pour se rendre sur place et faire le bilan de la situation. 

La tuberculose est la première maladie infectieuse mortelle au monde, avant le VIH. Un tiers de la population mondiale est infecté par Mycobacterium tuberculosis,  la bactérie responsable de cette maladie. Chaque année dans le monde, près de 10 millions de personnes développent la maladie, et 2 millions en meurent. En particulier, l’Inde, la Chine et l’Afrique connaissent ces dernières années de très nombreux cas de tuberculose. Après de longues années à étudier la tuberculose sur le terrain et en laboratoire, le Dr Anandi Martin, microbiologiste à l’Institut de recherche expérimentale et clinique (IREC) de l’UCLouvain, s’est rendue en Afrique du Sud pour une mission de l’OMS. 

Anandi Martin

Des chiffres alarmants

En 2006, l’Afrique du Sud a vécu une épidémie de tuberculose sans précédents. Entre janvier 2005 et mars 2006, dans l’hôpital de Tugela Ferry, dans la région du Kwazulu-Natal, sur 53 patients ayant contracté la tuberculose ultrarésistante, 52 sont décédés très rapidement. Et l’épidémie se poursuit : chaque année, 1% de la population totale d’Afrique du Sud développe une tuberculose. Ces chiffres sont alarmants. C’est pourquoi, l’OMS a mis en place une stratégie de lutte contre la tuberculose. 

cape town hospital

Une épidémie difficile à éradiquer

Plus de dix ans plus tard, l’épidémie n’est pas éradiquée. Dans cette région d’Afrique du Sud, l’accès aux diagnostics est difficile, les informations de prévention n’atteignent pas toute la population, et les traitements ne sont pas toujours bien suivis. La tuberculose peut pourtant se guérir grâce à un traitement d’une durée de six mois. Cependant l’OMS s’inquiète des souches multi et ultrarésistantes de tuberculose (multidrug-resistant tuberculosis ou MDR-TB et extensively resistant tuberculosis ou XDR-TB). Elles sont quasi impossibles à traiter et obligent le personnel soignant à recourir aux anti-tuberculeux de deuxième ligne. Le traitement est alors plus long, plus toxique, plus coûteux et moins bien toléré. La tuberculose multirésistante représente une des menaces très sérieuses pour le contrôle de la tuberculose. Chaque année, environ un demi-million de personnes contractent la tuberculose multirésistante dans le monde. L’autre grande problématique de ces dernières années est la co-infection de la tuberculose avec le VIH. La tuberculose est en effet une maladie indicatrice du VIH. Or, les médicaments antituberculeux peuvent avoir des interactions avec les médicaments anti-VIH. Chez les personnes séropositives, la tuberculose doit donc être gérée par un expert, ce qui n’est pas possible dans tous les pays du monde. 

Une équipe pluridisciplinaire

En novembre 2018, le Dr Anandi Martin ainsi que d’autres experts de la tuberculose se sont rendus dans six hôpitaux d’Afrique du Sud (dans la région du Kwazulu Natal, la province du Gauteng, Johannesburg, Cape Town et le township Khayelitsha) pour s’assurer que les recommandations de l’OMS étaient bien mises en place. Anandi Martin était accompagnée d’experts d’Harvard Medical School (Boston, USA) et de McGill University  (Montréal, Canada) qui ont réalisé le suivi des traitements des patients. Une autre équipe du « Global Drug Facility » (GDF- Stop TB Partnership) contrôlait l’approvisionnement en médicaments. Et le Dr Martin est venue observer les laboratoires, leur gestion ainsi que la surveillance des résistances médicamenteuses, pour donner des recommandations. L’objectif, au terme des dix jours passés sur place, était de constater les améliorations réalisées sur le terrain, mais aussi les lacunes et défis à réaliser à l’avenir. 

WHO team Tuberculose

Nette amélioration et efforts à poursuivre

De retour de cette mission, le Dr Anandi Martin tire déjà quelques conclusions. Tout d’abord, d’après ses observations, l’Afrique du Sud a mis les gros moyens dans les laboratoires qui sont désormais extrêmement bien équipés. Tous les équipements nécessaires pour travailler dans la plus haute sécurité sont à disposition : masques, pression négative, etc. Côté biosécurité, donc, il y a une nette amélioration mais des efforts doivent encore être réalisés dans ce domaine. Par exemple, le système de transport des échantillons entre laboratoires n’est pas optimal puisque les échantillons de crachats sont transportés dans de simples caisses en voiture. Autre exemple : le système de pression négative nécessaire pour la manipulation des échantillons dans les laboratoires est installé, mais ne fonctionne pas toujours. Enfin, le personnel engagé dans ces laboratoires n’est pas assez nombreux vu le nombre important d’échantillons. A la fin de leur mission, les différents experts ont communiqué toutes ces observations aux autorités d’Afrique du Sud afin qu’ils améliorent encore et toujours la prise en charge de la tuberculose. 

Des résultats prometteurs

Avec la décentralisation des soins et des laboratoires de diagnostic la prise en charge des malades a été considérablement améliorée. Les premiers résultats de ces efforts sont prometteurs puisque près de 70% des patients atteints de la tuberculose multirésistante n’en meurent plus aujourd’hui en Afrique du Sud. Les moyens entrepris par ce pays pour lutter contre la maladie ont donc un impact.  L’Afrique du Sud est le premier pays à atteindre ce taux de réussite et à montrer que le contrôle de la tuberculose multirésistante est possible grâce à l'accès à un nouveau médicament efficace : la bedaquiline. 

L’arrivée de la bedaquiline a provoqué un véritable espoir chez les patients atteints de tuberculose multirésistante. Depuis quarante ans, aucun nouveau médicament n’avait été inventé contre la tuberculose. L’Afrique du Sud a décidé de déployer ce traitement de manière systématique pour tous les malades atteints d’une forme multirésistante donnant ainsi un nouvel espoir pour lutter contre les résistances. Notons aussi que le prix du médicament a été divisé par deux ; il s’élève désormais à 400 dollars (moins de 350 euros) pour six mois de traitement, ce qui permet son utilisation à plus grande échelle.

Un test de dépistage « made in UCLouvain » reconnu

Anandi Martin a contribué à la première victoire contre cette multirésistance. En 2011, son test de diagnostic rapide pour le dépistage de la tuberculose est reconnu par l’OMS et dans le monde entier. Plus récemment, Anandi Martin a fait partie de l’équipe qui a mené les essais cliniques chez les patients atteints de tuberculose multirésistante et traités par la bedaquiline. Elle continue actuellement ses recherches sur ce médicament. Depuis un an, ce traitement est approuvé par l’OMS. En juin 2017, 89 pays avait introduit cette nouvelle molécule pour tenter d’améliorer l’efficacité des traitements de la tuberculose multirésistante. Il faudra encore attendre quelques années pour constater l’impact réel de cette molécule sur l’évolution de l’épidémie.

Lauranne Garitte
 

Coup d’œil sur la bio du Dr Anandi Martin

Dr Anandi Martin est microbiologiste spécialisée dans la recherche sur la tuberculose (TB) avec plus de 20 ans d’expérience dans ce domaine.  Elle a obtenu son diplôme de Biologiste (Sciences Zoologiques) à l'Université de Liège en 1992. Elle a travaillé 2 ans en Bolivie au sein du Programme National de Tuberculose (TB) en tant que coordinateur scientifique du projet. Elle a également travaillé 9 mois en Sibérie avec Médecins Sans Frontières (MSF) dans le programme de la TB dans les prisons. Après son expérience de terrain, elle a rejoint l'Institut de Médecine Tropicale (ITM) à Anvers où elle a travaillé plus de 12 ans dans la recherche sur la TB et a fait sa thèse de doctorat se concentrant sur le développement d'une nouvelle méthode pour détecter la résistance aux médicaments. 
Durant cette époque elle a continué à faire des missions de terrain en Afrique, en Asie et Amérique du Sud. Elle a été impliquée dans plusieurs projets de recherche financés par la Commission Européenne (FP5-FP7) pendant plus de 10 ans. Elle a fait également partie de l'équipe qui a mené les essais cliniques chez les patients atteints de TB multi-résistantes, traités par la nouvelle molécule : la bedaquiline. 
Elle a ensuite fait un post-doc et travaillé en tant que chercheur senior pendant 4 ans à l'Université de Gand. Elle a été chargée de cours pour le programme de l'American Society of Microbiology (ASM) lab-Cap, elle a participé à un comité d'experts de l'OMS sur la TB et elle est membre du partenariat STOP-TB de l'OMS. 

Fin 2016 elle a rejoint l’UCLouvain, en particulier le laboratoire de microbiologie médicale (Pôle MBLG) de l’institut de Recherche Expérimentale et Clinique (IREC) où elle continue ses activités de recherche sur la TB. Son intérêt pour la recherche porte sur différents aspects du diagnostic de la TB et des mycobactéries, de la pharmaco-résistance, de la recherche opérationnelle et fondamentale. Sa contribution dans le domaine de la TB a été récemment reconnue par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2011 avec la recommandation de son nouveau test de diagnostic « low-cost » pour le dépistage de la TB et de la résistance dans les pays à faibles revenus. 
 

Publié le 10 janvier 2019