Agroécologie en Wallonie : entre idéalisme et pragmatisme

Une jeune chercheuse de l’UCL s’est penchée sur l’emploi et les conditions de travail dans les exploitations maraichères wallonnes. Avec une question centrale : l’agroécologie et le bio offrent-ils de meilleures conditions de travail que l’agriculture conventionnelle ? La réponse est loin d’être simple…

L’agroécologie vise à réconcilier les pratiques agricoles avec les principes de l’écologie(1). « Il s’agit de penser la parcelle agricole comme un écosystème que l’on s’efforce d’optimiser sans avoir recours aux apports externes (les pesticides, par exemple) », explique Antoinette Dumont, chercheuse en agroéconomie. « L’agroécologie a aussi une dimension sociale puisqu’elle entend offrir de bonnes conditions de travail aux paysans. » Est-ce vraiment le cas ? C’est la question centrale de la thèse d’Antoinette Dumont. « J’ai choisi d’étudier particulièrement les maraîchers wallons, car la production de légumes demande beaucoup de main-d’œuvre et est “à la mode” : le secteur attire de nombreuses personnes qui veulent exercer un travail en accord avec leurs valeurs. ».

Les maraîchers wallons sous la loupe

Sur les 364 exploitations recensées par ses soins, la chercheuse a sélectionné 41 maraîchers expérimentés et reconnus dans la profession. En fonction de plusieurs critères, elle les a classés en 4 catégories :

  1. les petites surfaces (moins de 2,5 Ha) (PS) ;
  2. les moyennes surfaces (entre 2,5 et 10 Ha) (MS) ;
  3. les grandes surfaces ;
  4. les producteurs de légumes en grande culture. C’est-à-dire des agriculteurs céréaliers qui cultivent des légumes sur plus de 18 Ha (sur environ 100 Ha d’exploitation).

Sur les 24 exploitations bio(2) de l’échantillon, 15 petites et moyennes surfaces peuvent être considérées comme faisant de l’agroécologie.

Un métier difficile pour tous

Premier constat : sur le plan financier, quelle que soit la taille de l’exploitation et le type d’agriculture, les maraîchers sur PS et MS travaillent beaucoup : 54 heures par semaine en moyenne pour un bénéfice d’environ 2000 € par mois… avant impôts. La chercheuse a aussi étudié les conditions de travail à travers 9 critères : pénibilité, santé au travail, (in)sécurité professionnelle, marge de manœuvre des exploitants, etc. Résultat : en agroécologie, les maraichages en PS et en MS ont des situations diamétralement opposées…

Les petites surfaces fragilisées

Dans les petites surfaces (PS) agroécologiques, les marges de manœuvre des exploitants et la sécurité professionnelle sont particulièrement faibles. Selon Antoinette Dumont, cela s’explique par un contexte général, peu propice aux PS agroécologiques qui cumulent les difficultés dès le départ.

  • Souvent, ces exploitants ne sont pas issus du monde agricole. Ils n’y connaissaient pas forcément grand-chose en agriculture quand ils ont commencé et l’encadrement était très peu développé.
  • Ils n’héritent pas du terrain foncier ; ils doivent l’acheter et celui-ci est (très) cher en Wallonie.
  • Leurs investissements sont trop faibles pour rentrer dans les critères des aides régionales à l’investissement.
  • Comme ils dégagent peu de bénéfices, ces exploitants ne peuvent se permettre de proposer des CDI. Ils doivent se contenter de quelques travailleurs saisonniers e/ou de bénévoles non compétents (issus de leur groupement d'achats, par exemple).

La force des moyennes surfaces

De l’autre côté du spectre, ce sont les maraichers agroécologiques en moyenne surface (MS) qui s’en sortent le mieux et proposent le plus de CDI. Ces exploitants offrent aussi les meilleures conditions de travail à la main-d’œuvre, toutes catégories de production confondues. Ils prennent plus souvent le temps de former leurs travailleurs, et, parfois, les incluent dans les prises de décisions relatives à l’exploitation. Leur recette ? Des pratiques qui leur permettent de dépasser les difficultés rencontrées par les PS, notamment :

  • davantage de motorisation,
  • développement d’une production hivernale,
  • mise en place d’un point de vente (magasin ou étal dans les marchés) à la capacité d’écoulement en circuit court conséquente, etc.

« Surtout, les exploitants de MS pratiquent massivement l’achat-vente », ajoute Antoinette Dumont. « Cette pratique consiste à acheter des légumes bio à un grossiste pour les revendre, avec une marge, à ses propres clients. Ce qui fait débat, car les grossistes n’obéissent pas forcément aux principes de l’agroécologie. Cela dit, cette pratique permet aux exploitants de MS de dégager plus de bénéfices et, donc, de mieux payer leur main d’œuvre (3). »

Arbitrer ses principes

Dans le contexte actuel, on ne peut donc pas vraiment dire que l’agroécologie wallonne offre de meilleurs emplois que l’agriculture conventionnelle. Selon Antoinette Dumont, « il n’est pas non plus possible de mettre en œuvre tous les principes de l’agroécologie. Les producteurs doivent arbitrer et faire des compromis. » Bref, on ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire… du maraîcher !

Candice Leblanc

 

(1) L’agroécologie est basée sur 5 principes : la diversification génétique, le recyclage de la biomasse, la synergie biologique (avec le bétail, par exemple), une gestion microclimatique optimale (utilisation de l’eau de pluie, par exemple) et l’optimisation des conditions de croissance du sol.
(2) Le bio répond à des réglementations européennes. Dans certains cas, il va « moins loin » que l’agroécologie.
(3) Chez certains exploitants de MS, l’achat-vente représente jusqu’à 80 % du chiffre d’affaires.

 

Coup d’œil sur la bio d’Antoinette Dumont

2013                  Master en agroéconomie à l’UCL
2013                  Lauréate du prix CERA pour le meilleur mémoire en bio-ingénierie  
2012-15            Cours supplémentaires en sociologie à l’UCL
Depuis 2014    Chercheuse pour le CIRTES et le GIRAF (groupes de recherche FNRS)
2014-18            Interventions dans des cours de master à AgroParisTech, l’UCL et l’ULiège  
2017                  Doctorat en socioéconomie rurale à l’UCL 
2018                  Postdoctorat à l’University of California, Berkeley (USA) (bourse de la Belgian American Educational Foundation)    

Le doctorat d’Antoinette Dumont a été financé par le « Food4Gut Excellence Program » de la Région wallonne. 

 

 

Publié le 05 avril 2018