Antibiotiques : quels effets sur les bébés souris ?

L’administration d’antibiotiques très tôt dans la vie a-t-elle un impact à l’âge adulte ? Voilà la question à laquelle Sophie Leclercq a tenté de répondre en observant le comportement de souris exposées in utéro à de la pénicilline. Explications.

Depuis leur découverte, les antibiotiques ont sauvé des milliers de vies. Ils constituent une arme redoutable contre les bactéries et autres agents pathogènes responsables de maladies parfois très graves. Reste qu’ils peuvent s’accompagner d’autres effets que leurs effets curatifs et que ceux-ci ne sont pas encore tous très bien connus, en particulier chez les enfants. « Plusieurs études ont montré un lien entre la consommation d’antibiotiques et l’obésité ainsi qu’avec le développement d’allergies », explique Sophie Leclercq, chargée de recherche FNRS à l’Institut des Neurosciences (IONS) et au Louvain Drug Research Institute (LDRI). « On sait également que les antibiotiques influencent la composition du microbiote intestinal et que ce dernier joue sur le développement de l’immunité. En revanche, la plupart de ces études concernent les adultes, très peu se concentrent sur l’exposition lors de la petite enfance. » Et c’est précisément sur cet âge de la vie que la chercheuse s’est concentrée. Avec un focus particulier sur les effets comportementaux de la prise d’antibiotiques.

Une étude réalisée sur des souris

Pour ce faire, Sophie Leclercq a étudié l’effet des antibiotiques chez des souris adultes exposées in utéro et lors de leurs premières semaines de vie. « Dans le cadre de ces travaux réalisés à l’Université McMaster d’Hamilton au Canada grâce au soutien financier du fonds spécial de la recherche de l’UCL, nous avons administré aux souris de la pénicilline, un antibiotique largement utilisé chez les bébés, à partir de la 3e semaine de gestation - ce qui correspond au dernier trimestre de grossesse chez la femme - et ce jusqu’à 3 semaines après la naissance, c’est-à-dire jusqu’à la fin de l’allaitement maternel. La pénicilline étant capable de passer la barrière placentaire mais aussi de passer dans le lait maternel, les souriceaux ont donc forcément été en contact avec elle. En outre, pour être le plus représentatif possible, nous avons veillé à administrer des doses identiques aux doses utilisées en routine clinique chez des bébés. » Une fois le sevrage opéré, les souriceaux ont été nourris normalement. Ce n’est que vers la sixième semaine de vie, ce qui correspond au début de l’âge adulte chez les souris, que le comportement des souris a été analysé.

Des souris moins sociables et plus agressives

Les résultats sont clairs, les souris exposées à la pénicilline ne réagissent pas de la même manière à l’âge adulte que les souris n’ayant jamais été en contact avec cet antibiotique. « Leur comportement diffère sur trois points :

  • la sociabilité : les souris traitées sont moins sociables que les souris non traitées.
  • l’anxiété : les souris traitées sont moins anxieuses que les souris non traitées. Ce qui n’est pas forcément une bonne chose pour les souris, parce qu’elles deviennent moins vigilantes et s’exposent plus aux prédateurs.
  • l’agressivité : les souris traitées sont plus agressives avec d’autres souris que les souris non traitées.»

Ces altérations du comportement sont associées à une augmentation des cytokines inflammatoires au niveau du cortex frontal, une région du cerveau qui intervient dans de nombreux phénomènes comportementaux.

                                                                                    souris labo

Des probiotiques pour limiter les conséquences ?

Parallèlement, Sophie Leclercq a analysé le microbiote intestinal des souris impliquées dans cette étude : « Toutes les souris ayant été exposées aux antibiotiques ont vu leur microbiote intestinal se modifier. Et cette altération du microbiote persiste à l’âge adulte. En parallèle, nous avons aussi testé des souris traitées à la fois avec de la pénicilline et des probiotiques de type Lactobacilles, des bactéries bénéfiques présentes naturellement dans l’intestin. Ce qui nous a permis d’observer une différence par rapport aux souris traitées uniquement avec de la pénicilline : chez ces souris doublement traitées, le comportement social normal était rétabli et l’expression des cytokines inflammatoires dans le cortex frontal était moins élevée que chez les souris n’ayant reçu que de la pénicilline». Une future piste pour limiter l’effet des antibiotiques ?

Des résultats extrapolables à l’homme ?

Ces résultats publiés dans la revue Nature Communication donnent un éclairage nouveau sur les effets à long terme de la consommation d’antibiotiques dans l’enfance. Il est toutefois trop tôt pour en tirer des conclusions chez l’homme. « Mon étude ne porte que sur des souris, ses résultats ne doivent pas être transposés tel quel à l’être humain. Mais ils peuvent servir de bases de réflexion sur l’utilisation abusive des antibiotiques chez les enfants, et pour l’élaboration d’autres études. L’équipe avec laquelle je travaillais au Canada, essaie par exemple de déterminer quelle est la période la plus critique : une exposition in utéro ou une exposition lors des premières semaines de vie. » Affaire à suivre donc !   

 

Elise Dubuisson

 

Coup d'oeil sur la bio de Sophie Leclercq

2010-2014        Doctorat en Sciences biomédicales.  Université catholique de Louvain, Institute of Neuroscience (IONS)

2015-2016        Post-doctorat à McMaster University, Hamilton, Canada.

Depuis 2016    Chargée de recherche FNRS, Université catholique de Louvain. Institute of Neurosciences (IONS) et Louvain Drug Research Institute (LDRI)/
                          Metabolism and nutrition research group (MNUT)

Publié le 11 mai 2017