Architecture génétique des maladies du rein

Les travaux du Professeur Olivier Devuyst (IREC) visent à améliorer l’efficacité de la dialyse grâce à l’étude des maladies rénales génétiques. Ses travaux ont été récompensés à deux reprises ces dernières semaines.

Sans eux, l’équilibre fondamental du corps n’est plus assuré. Organes trop souvent oubliés, les reins assurent pourtant un rôle essentiel l’équilibre à l’intérieur de notre organisme. Un rôle discret, mais indispensable : producteurs de l’urine, les reins permettent l’élimination d’une partie des déchets issus de notre alimentation, du métabolisme ou encore de la prise de certains médicaments. Mais ce n’est pas tout : « Au-delà de la simple élimination de déchets dans l’urine, le rein réabsorbe et contrôle la composition de notre milieu intérieur, explique le professeur Olivier Devuyst. Cet organe régule la pression artérielle et produit une série d’hormones vitales qui influencent par exemple la qualité des os et le taux de globules rouges. Lorsque cet organe ne fonctionne plus, c’est l’ensemble de l’organisme qui est en danger. »

Ce professeur, néphrologue depuis 25 ans aux Cliniques Saint-Luc de l’UCLouvain, vient de se voir décerner le 2019 Award for Outstanding Basic Science Contributions to Nephrology, délivré par la Société européenne de néphrologie, dialyse et transplantation (ERA-EDTA). Cette distinction, la plus importante en Europe, couronne l’ensemble de ses travaux sur les maladies rénales génétiques et les mécanismes de la dialyse. Un peu plus tôt cette année, le professeur Devuyst avait reçu le D.G. Oreopoulos Memorial Award lors du congrès de la Société canadienne de néphrologie à Montréal.

Une double consécration qui fait écho à l’importance prise par l’insuffisance rénale aujourd’hui. Le nombre de patients atteints d’une telle insuffisance a considérablement augmenté ces dix dernières années : une personne sur dix en est aujourd’hui atteinte. « En rentrant des Etats-Unis en 1996, j’ai eu la chance de pouvoir reprendre le laboratoire de néphrologie fondé par le Professeur Charles van Ypersele. Grâce à une excellente collaboration avec le service clinique et le soutien de l’UCLouvain, nous avons pu mener une recherche originale sur les maladies rénales génétiques et sur la dialyse, ces deux sujets étant liés par des mécanismes biologiques fondamentaux. »

Les maladies rénales génétiques

Les maladies génétiques au sens large représentent une cause fréquente d’insuffisance rénale. L’identification de ces maladies a considérablement évolué depuis une dizaine d’années, grâce à une meilleure reconnaissance clinique et à l’avènement de tests génétiques fiables et moins coûteux. Les travaux du Professeur Devuyst portent sur plusieurs de ces maladies, qui touchent différents segments du rein. Un exemple est la polykystose rénale, l’une des maladies génétiques les plus fréquentes, qui se traduit par la présence de kystes innombrables dans les reins, générant de multiples complications dont une insuffisance rénale progressive chez l’adulte. Cette maladie touche près de 10.000 personnes en Belgique. « Nos travaux expérimentaux, allant de pair avec une prise en charge spécialisée de ces patients, ont permis des avancées importantes incluant des études cliniques et l’introduction récente du premier traitement ciblé de cette maladie – dont les patients peuvent bénéficier moyennant certaines conditions. » L’équipe du Professeur Devuyst travaille sur ces maladies génétiques en utilisant une approche multidisciplinaire, basée sur des modèles expérimentaux et des études cliniques. « Ces recherches sur les maladies rares nous permettent de mieux comprendre les mécanismes fondamentaux de la fonction des reins, et d’identifier des facteurs génétiques opérant au niveau de la population générale. En effet, les mêmes gènes peuvent être impliqués dans des maladies rares et sévères ainsi que dans de subtiles variations de la fonction rénale. Dans ce domaine des maladies dites « rares », notre participation à plusieurs programmes européens a permis de réelles avancées, se traduisant par une meilleure connaissance des mécanismes impliqués et l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques. Sur le plan clinique, notre centre des maladies rénales génétiques est le seul centre belge francophone faisant partie du réseau européen ERKNET (European Reference Network for rare Kidney Diseases). »

La dialyse péritonéale

Lorsque l’insuffisance rénale arrive à un stade très avancé, le patient doit entamer un traitement de substitution de la fonction rénale - par dialyse ou transplantation. La transplantation représente souvent la meilleure option, malheureusement limitée par le manque de donneurs. Les patients doivent donc souvent passer par une étape de dialyse. L’équipe du Professeur Devuyst travaille de longue date sur la dialyse péritonéale, une modalité de dialyse à domicile qui présente l’avantage de préserver l’autonomie du patient et d’utiliser une membrane naturellement présente chez l’homme. Cette membrane, appelée le péritoine, permet d’épurer les toxines et l’excès d’eau à partir du sang du patient vers une cavité naturelle au sein de l’abdomen, que l’on a rempli préalablement avec une solution stérile (dialysat). « Par rapport à la dialyse à l’hôpital, qui se limite généralement à trois fois quatre heures par semaine et doit donc être assez intense, la dialyse péritonéale permet au patient de se dialyser lui-même à domicile, plusieurs fois par jour ou pendant la nuit, de façon plus douce », explique le Professeur Devuyst. « Nos travaux visent à mieux comprendre les mécanismes de transport opérant au niveau de la membrane péritonéale. Nous avons développé de nouvelles méthodes pour modéliser et étudier la dialyse péritonéale, avec un intérêt particulier pour le rôle majeur joué par les canaux à eau – les aquaporines. Notre but est de développer des stratégies d’intervention visant à améliorer l’efficacité de la dialyse, ou du moins, d’en limiter les complications. »

Marie Dumas

Coup d’œil sur la bio d'Olivier Devuyst

Spécialiste des maladies rénales génétiques aux cliniques universitaires Saint-Luc, le professeur Olivier Devuyst y est chef de clinique et enseignant à la faculté de médecine, pôle de néphrologie. Depuis 2010, il dirige le laboratoire MIKADO (Mechanisms of Inherited Kidney Disorders) à l’université de Zurich (UZH) et enseigne dans cette université ainsi qu’à l’école polytechnique fédérale (ETHZ).

Olivier Devuyst est diplômé de l'UCLouvain à Bruxelles et a été formé au Technion Institute (Haifa, Israël) et à la Johns Hopkins Medical School (Baltimore, USA). Il est l'auteur de plus de 350 articles et a coordonné plusieurs réseaux de recherche financés par l'UE et a fondé le groupe de travail européen sur les maladies rénales génétiques (WGIKD ERA-EDTA) en 2011. Depuis 2018, il dirige le projet académique de découverte de médicaments AcceleRare en Suisse.

Le Pr Devuyst est membre de l'Académie royale de médecine de Belgique depuis 2005. Il est rédacteur en chef adjoint de Kidney International, Nephrology Dialysis Transplantation et Orphanet Journal of Rare Diseases ; et siège au comité de rédaction de Clin J Am Soc Nephrol, Peritoneal Dialysis International, Frontiers in Physiology et Pflügers Archiv.

Publié le 25 juin 2019