Ce qu’il se passe dans la tête des anxieux

En Belgique, entre 7 et 10 % de la population souffre de trouble anxieux (TA). Que se passe-t-il dans leur tête, exactement ? Voilà ce que les chercheurs tentent de comprendre !

Il existe différents types de troubles anxieux (TA) : les phobies, les TOC, le trouble anxieux généralisé ou encore le trouble panique. Leur point commun ? Des éléments perçus comme menaçants par la personne génèrent en elle une peur irraisonnée, difficilement contrôlable, qui peut devenir handicapante au quotidien. Alexandre Heeren est chercheur à l’Institut de recherche en sciences psychologiques de l’UCL. Il étudie les mécanismes à l’œuvre dans le phénomène anxieux. Sous la supervision du Pr Pierre Philippot, son mentor à l’UCL, le chercheur s’est d’abord intéressé à la notion de biais attentionnel. « L’anxiété est un mécanisme naturel de défense qui nous permet de déterminer et de repérer les éléments dangereux dans un environnement hostile », rappelle-t-il. « Exemple : vous êtes dans la forêt amazonienne où vous savez qu’il y a des araignées venimeuses. Vous êtes donc à l’affut de cette menace potentielle. C’est le biais attentionnel : vous prêtez attention à quelque chose de précis, au détriment du reste. »

face anxiété

Des personnes très (trop) attentives et vigilantes

La personne anxieuse, elle, va « sur-détecter » les menaces… même quand ces dernières sont mineures et non-imminentes. Par exemple, un phobique des araignées va scanner n’importe quelle pièce dans laquelle il rentre. C’est plus fort que lui ! Et c’est pareil pour tous les TA. « Les anxieux ont tous des biais attentionnels spécifiques à l’objet de leur angoisse, qui entretiennent celle-ci », poursuit Alexandre Heeren. « Face à ces stimuli, ils n’arrivent pas à adapter et gérer leur attention de façon adéquate. Tout élément ressenti comme menaçant génère de l’angoisse, indépendamment de l’endroit où l’anxieux se trouve et de ce qu’il est en train de faire. »

Dans la foulée, Alexandre Heeren a participé à la mise au point d’un logiciel informatique visant à corriger ce biais attentionnel. « Concrètement, il s’agit d’attirer l’attention du patient sur autre chose que ce vers quoi il va “naturellement”. En répétant plusieurs centaines de fois l’exercice, on parvient à réduire les biais attentionnels et, en retour, l’anxiété qu’ils provoquent. »

Bref, les personnes qui souffrent de TA sont hypervigilantes par rapport à l’objet de leur angoisse… mais pas seulement ! « ça va plus loin que ça ! Les anxieux sont aussi hypervigilants dans d’autres domaines. Par exemple, quand on les confronte à des éléments visant à la distraire de la réalisation d’une tâche (et qui n’ont rien à avoir avec leurs angoisses), ils restent plus longtemps fixés dessus. Ils ont plus de mal que les autres à en faire fi pour se concentrer sur la tâche en cours. »

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Anxiété et neuromodulation

Ces découvertes ont ouvert la voie à tout un champ de recherches, notamment au niveau des traitements. Aujourd’hui, la prise en charge des TA s’appuie principalement sur les thérapies cognitivo-comportementales et, parfois, sur la prise d’anxiolytiques. Bémols : les thérapies ne fonctionnent pas pour tout le monde. Quant aux médicaments, ils ne concernent qu’un petit nombre de patients et n’ont pas vocation à être pris sur le long terme.

Or, une troisième voie de traitement, facile à mettre en œuvre et dépourvue d’effets secondaires, pourrait être envisagée. « Si vous faites passer une IRM fonctionnelle à un anxieux, vous pouvez voir que certaines zones de son cerveau, telles que les régions préfrontales (impliquées dans la prise de décision, le contrôle de soi, etc.) sont hypoactivées ; elles ne fonctionnent pas aussi bien que chez une personne non anxieuse », explique Alexandre Heeren. La neuromodulation pourrait corriger cela !

Cette technique non invasive consiste à envoyer un léger courant électrique dans le cerveau.

Objectif : améliorer le fonctionnement de certaines zones cérébrales. « Nous avons récemment découvert que lorsque l’on envoie un faible courant électrique dans ces zones cérébrales spécifiques, certains symptômes des TA, comme l’hypervigilance, disparaissent ! Nous sommes donc en train de voir si, utilisée de façon complémentaire, la neuromodulation pourrait améliorer les résultats des traitements existants. » Le jeu en vaut la chandelle. Les troubles anxieux peuvent gâcher la vie des personnes atteintes et, parfois, celle de leur entourage. Ils ont également un coût pour la société. En 2011, le coût engendré par les traitements et les conséquences socioprofessionnelles des TA a été estimé à 66 millions d’euros par an… 

Candice Leblanc

Les recherches d’Alexandre Heerens sont ou ont été principalement financées par le FNRS, la Fédération Wallonie-Bruxelles et plusieurs fondations privées. 

Coup d'oeil sur la vio d’Alexandre Heeren

Alexandre Heeren

2007                       Master en Sciences psychologiques (UCL)
2010                       Master complémentaire conjoint en cliniques psychothérapeutiques intégrées (UCL et université de Genève, Suisse) + Certificat interuniversitaire en psychothérapie (UCL et ULg) 
2012                       Doctorat au sein du Groupe de recherches de psychopathologie et neurosciences (UCL)
2012-2013              Postdoctorat au Laboratoire de psychopathologie et de neuroscience affective de l’Université de Gand (Belgique)
2012-2015              Postdoctorat au Laboratoire de psychopathologie expérimentale de l’UCL
2013                       Lauréat du prix Vocatio de la Fondation belge pour la vocation
Depuis 2015           Postdoctorat au Laboratoire McNally de l’université d’Harvard (USA)

Coup d'oeil sur la bio de Pierre Philippot

Pierre Philippot

1985-87                  Études et recherches à l’Université du Massachussets
1987                       Licencié en psychologie (UCL)
1992                       Doctorat en psychologie (UCL)
1993                       Spécialisation en psychologie clinique – thérapie cognitive et comportementale (UCL)
Depuis 2003           Professeur à l’Institut des sciences psychologiques de l’UCL

Publié le 20 avril 2016