Cinq clés pour habitat groupé

Epanouissement personnel, soutien moral, solidarité : l’habitat groupé a le vent en poupe, notamment chez les personnes âgées. Mais pas toujours facile de maintenir un bon « vivre ensemble » lorsque l’on oublie les moteurs de la communautarisation de l’habitat. Dans les maisons Abbeyfield, qui accueillent des jeunes seniors en bonne santé, une étude conduite par des chercheurs de l’UCLouvain a mis en lumière cinq outils-clés pour mieux vivre ensemble.

De projets totalement marginaux, les habitats groupés sont passés, en quelques années, à un concept de logement qui a clairement le vent en poupe. L’intérêt grandissant de notre société pour ce mode de logement, particulièrement auprès des personnes approchant l’âge de la retraite, en témoigne. Intéressée par l’habitat groupé à l’Institut de Recherche Santé et Société (IRSS) de l’UCLouvain, Thérèse Van Durme a participé avec deux autres collègues de l’IRSS, Sophie Thunus et Carole Walker, à une recherche-action sur le thème de l’habitat groupé auto-géré. Elle a pu constater le peu de chiffres permettant de mesurer l’entièreté du phénomène, car chaque ASBL de logement groupé rassemble ses propres chiffres, à son échelle. « Toujours est-il qu’il s’agit d’un phénomène qui prend de l’ampleur et qui s’inscrit dans une demande très concrète de la part des personnes dépassant le cap de la cinquantaine et qui pensent à leur retraite », confirme-t-elle.

L’habitat groupé se définit comme un lieu de vie où habitent plusieurs entités – des familles ou des individus – et dans lequel se trouvent à la fois des espaces privatifs, mais aussi des espaces collectifs. Des « unités de vie indépendantes » qui se rassemblent dans un lieu, autour d’un projet commun de vie. Il se distingue de l’hébergement. « En fonction des projets définis par les différentes maisons habitables, en tant que locataires, l’implication peut varier très fortement, explique Thérèse Van Durme. Généralement, chambre et douche sont privatives, mais cuisine et surtout salon et salle à manger sont communs. Dans certains cas, un repas par jour est pris ensemble ; dans d’autres, ce n’est qu’une fois par semaine : tout dépend du projet de la maison, mais aussi de l’engagement des personnes, pas tant dans la maison, qu’à l’extérieur puisque certains travaillent encore. »

Un moteur : l’engagement et la solidarité

L’engagement : c’est la clef de voûte de ces habitats groupés. « C’est un fait : les personnes qui cherchent ce genre d’habitation sont également en demande d’engagement sociétal, ajoute la chercheuse. Elles cherchent une cohérence entre un engagement souvent individuel au départ – local ou global – et leur lieu de vie. » En effet, l’habitat groupé se construit souvent autour d’un projet commun : renforcement de la cohésion sociale, développement culturel, diminution de l’empreinte écologique, mixité, mutualisation des ressources, sauvegarde du patrimoine, activités d’économie sociales et solidaires…

Outre la volonté de faire partie d’un projet qui fait sens, la solidarité est également un déclic important dans l’envie de vivre ensemble : « Pouvoir bénéficier d’un coup de main lorsque cela ne va pas, lors d’un coup de blues… Se retrouver un peu « en famille » importe énormément », ajoute-t-elle. L’aspect financier est également clef : pouvoir bénéficier d’un espace certain à prix plus accessible est un autre déclic au vivre en communauté.

Une recherche-action participative

Parmi ces nouvelles formes d’habitat : l’habitat groupé autogéré de type Abbeyfield (voir encadré). L’autogestion met l’accent sur l’implication des habitants dans la vie sociale et sur la co-construction des modes de fonctionnement de leur habitation. Or, l’entrée dans une telle maison met en tension la préservation du projet personnel et le projet des autres cohabitants… voire le projet de la maison partagée. Cette tension, observée dans la plupart des initiatives comparables au niveau international, est à l’origine d’une recherche exploratoire visant à mettre en lumière les outils favorables au mieux vivre ensemble. Le groupe de recherche de l’IRSS de l’UCLouvain a été mandaté avec des chercheurs de la KU Leuven (LUCAS) pour mener cette étude, à la demande de Abbeyfield auprès de la Région Bruxelloise. « L’idée était d’identifier les outils utiles pour mieux vivre ensemble, au sein des maisons Abbeyfield bruxelloises mandataires de l’étude, avec l’idée que ces outils puissent être transposés à d’autres maisons groupées », explique Thérèse Van Durme qui a coordonné cette recherche-action.

De juin 2018 à juin 2019, les chercheurs ont mené une recherche-action incluant les habitants à toutes les étapes, en ce compris l’élaboration du protocole de recherche. « Nous avons connu trois grands « temps forts » dans la recherche, explique la chercheuse. Une activité de prise de contact pour leur demander ce qui se passait bien et ce qui se passait moins bien dans leur colocation ; puis une discussion de groupe au sein de chacune des maisons, voire une discussion individuelle avec les habitants qui le souhaitaient ; finalement, des ateliers d’écriture des recommandations. Au final, nous avons pu rencontrer les habitants ou le comité de suivi une fois par mois durant un an. »

La communication au cœur du mieux vivre ensemble

Résultat, une série d’outils sont sortis du lot. Comme premier outil, les habitants ont formulé la nécessité de redéfinir et d’exprimer à intervalles réguliers leur projet personnel dans la maison, mais également le projet communautaire pour la maison. Deuxième outil naturellement pointé : la communication dans la maison, qui suppose l’apprentissage d’une qualité d’écoute rarement acquise spontanément. La recommandation porte donc sur une aide extérieure sous la forme d’accompagnement par des structures d’appui à l’habitat groupé. Vient ensuite le troisième outil : celui des processus décisionnels. Les décisions prises de manière collective et participative feront vivre les valeurs d’autonomie, de respect et de solidarité dans la maisonnée. Quatrième outil pointé dans l’étude : les réunions, notamment des groupes de parole dans un espace sécurisé. Ce sont des lieux privilégiés d’expression vraie, pour peu que les règles de communication non-violente et de confidentialité soient respectées. Chaque membre doit s’approprier le fonctionnement de ces réunions et est invité à prendre tour à tour la fonction de facilitateur, de secrétaire et d’observateur. Comme ultime et cinquième outil, les habitants ont relevé les formations, entendues au sens large, pour faire vivre les outils du mieux vivre ensemble.

Le message final est extrêmement positif : « Certaines règles de bon sens doivent parfois être rappelées, ajoute Thérèse Van Durme. Il est normal de passer du temps à construire cette communauté : y consacrer du temps, c’est aussi donner un peu de soi… pour mieux recevoir en retour, car ces habitations groupées savent donner un élan fou à ses habitants ! A eux de s’approprier ces outils, au gré de leurs expériences. ».

Marie Dumas

Habitat groupé pour seniors actifs

«L’idée de vie en communauté a été très à la mode dans les années post-68, lorsqu’un retour aux valeurs de solidarité est remis à l’ordre du jour, avance Thérèse Van Durme. Le phénomène n’a fait que s’amplifier depuis lors. L’habitat en communauté a pour les personnes ayant connu « l’époque 68 » une valeur de solidarité capitale, tout en représentant un moyen de lutter contre la société individualiste actuelle. »

En résultent les maisons Abbeyfield en Belgique, arrivées dans les années 1995. Ces habitats groupés de taille familiale avec appartements individuels sont fondés sur la participation active de ses habitants à l’organisation de la maison. Les seniors sont donc autonomes et indépendants.

A l’origine, un Anglais Interpellé par la solitude et l’isolement de certaines personnes âgées. Dans les années 1950, Richard Carr-Gomm décida d’agir en achetant une petite maison où il y invita deux seniors solitaires : la première maison Abbeyfield vit ainsi le jour. Le nom de la rue, Abbeyfield road, a ensuite désigné le mouvement Abbeyfield lui-même, intégré chez nous sous le même nom. Aujourd’hui devenue ASBL, Abbeyfield Belgium compte sept maisons cogérées en Wallonie.

Coup d'oeil sur la bio de Thérèse Van Durme

 

Thérèse Van Durme est chercheure qualifiée et chargée de cours à l’Institut de Recherche Santé et Société (IRSS) de l’UCLouvain. Elle mène depuis plusieurs années des recherches en lien avec l’évaluation de programmes pour les personnes vieillissantes ou présentant des maladies chroniques. Depuis 2019, elle coordonne Be.Hive, chaire interdisciplinaire de la première ligne.

Publié le 10 décembre 2019