Contamination dans les magasins : une clientèle inquiète

 

Vous avez peur d’être contaminé·es quand vous rentrez dans un commerce ? Le processus enclenché par cette crainte est souvent inconscient. Différents facteurs peuvent activer les préoccupations liées à la contamination chez les consommateur·ices, modifier leur comportement et influencer leur expérience. Comprendre ce mécanisme est crucial pour les managers. Simon Hazée a étudié le phénomène accentué par la pandémie du Covid-19. Ses résultats ouvrent des perspectives intéressantes en termes de management.

Eviter les maladies, c’est une question de survie pour l’être humain. Nous avons donc développé une sorte de système immunitaire comportemental qui nous pousse à modifier nos comportements quand nous ressentons la crainte d’être contaminé·es. Une fois activée, cette inquiétude peut difficilement disparaître. Elle va influencer nos réactions et nous amener à rechercher un environnement propre et familier, voire à éviter certains produits et services. Ce phénomène est préoccupant pour les responsables de magasins. L'expérience client est en effet essentielle pour la performance globale de l'entreprise. « Notre étude vise à comprendre et identifier les différents signaux dans l’environnement des consommateur·ices qui vont activer les peurs liées à la contamination » explique Simon Hazée, professeur et chercheur au Louvain Research Institute in Management and Organizations (LouRIM). « Nous avons aussi étudié comment cette inquiétude influençait leurs perceptions et leurs comportements et si des caractéristiques individuelles pouvaient expliquer la sensibilité des personnes à percevoir un risque de contamination ». Les mécanismes psychologiques mis en évidence dans l’étude réalisée avec le Pr. Yves Van Vaerenbergh de la KULeuven et publiée dans le Journal of Service Management vont éclairer les managers sur les mesures à prendre pour prévenir l’anxiété des client·es.

Des signaux déclencheurs

En synthétisant la littérature scientifique en marketing et psychologie sur le sujet de la contamination, le chercheur a identifié quatre grandes familles de signaux susceptibles de déclencher la crainte chez les client·es. Le facteur social tout d’abord. « Une personne peut par exemple ressentir un sentiment de peur voire de répulsion face à un autre individu qui a touché un produit avant elle » explique Simon Hazée. « La nature de celui ou celle qui a tenu la marchandise entre ses mains peut aussi accentuer les préoccupations des consommateur·ices, tout comme le nombre de gens susceptibles d’avoir déjà manié les articles ». Ensuite les facteurs environnementaux jouent un rôle important dans le ressenti de l’angoisse d’être contaminé·es. « L’organisation de l’étalage dans le magasin va influencer la perception de l’individu. Si le rayon est mal rangé et sale, cela peut activer une préoccupation liée à la contamination chez le ou la client·e ». La crise sanitaire que nous connaissons actuellement augmente encore l’importance de la propreté de l’environnement dans lequel nous faisons nos courses. Plus subtil, le facteur lié au capital de la marque (brand equity en marketing), à son nom et à ce qu’elle représente. La valeur sociale d’un produit peut être source de clichés pour certain·es. Et enfin les signaux relatifs à la marchandise en tant que telle et à ses caractéristiques. « Plus un article est porté proche du corps, plus il sera susceptible de susciter la peur d’être en contact avec des pathogènes. Beaucoup de consommateur·ices choisiront par exemple le tee-shirt en dessous de la pile ou le légume dans le fonds du bac pour éviter le risque de contamination. Au niveau du packaging, un simple défaut peut également provoquer des craintes, car il signale que quelqu’un d’autre a probablement touché le produit » commente le chercheur.

Si la clientèle ressent de la peur par rapport au danger de contamination, une autre émotion peut naître également, celle du dégoût. Celui-ci amènera l’acheteur·euse à éviter certains types de marques ou de magasins et à se tourner vers des commandes en ligne. « La tolérance sociale des individus peut aussi être réduite. Les autres sont perçus comme des menaces potentielles pour notre identité ». Certaines personnes seraient-elle plus enclines à éprouver ce type d’inquiétude ? Serait-ce une question de caractéristiques individuelles ? « Les traits de personnalité peuvent expliquer pourquoi les un·unes sont plus sensibles que les autres aux risques de contamination. L’individu névrosé par exemple sera plus inquiet, anxieux voire dépressif et donc davantage sujet à ce genre de préoccupations ». Les femmes sont également plus touchées. « En psychologie évolutionniste, on postule qu’elles ont développé des mécanismes de protection pour leurs enfants afin de leur éviter de tomber malades ». La dimension culturelle intervient aussi dans le processus. Dans les pays où les risques de contracter des maladies sont élevés, les populations sont plus collectivistes. Ces cultures mettent l’accent sur le groupe plutôt que sur l’individu. Elles permettent de réduire la diffusion d’éventuels pathogènes en adoptant des gestes responsables pour le bien-être collectif.

Prévenir les angoisses

Comment traiter ces préoccupations ? Quelles recommandations pour les managers ? Quelles actions mettre en place ? Peu de recherches ont été réalisées sur le sujet, constate Simon Hazée. La technique la plus recommandée est évidemment de nettoyer et de désinfecter impeccablement l’environnement commercial pour supprimer toutes traces éventuelles de contamination. Il est également important de travailler sur les autres signaux déclencheurs. Par exemple, accroître ou créer un sentiment d’appartenance à une communauté. « Dans une ambiance empreinte de familiarité, les autres personnes sont moins perçues comme un danger pour vous-même et votre santé ».

Le contexte de pandémie que nous vivons aujourd’hui accentue clairement les mesures de protection sanitaires pour éviter la propagation du virus dans les magasins : gel hydroalcoolique, port du masque, signalétique de distanciation sociale, etc. Toutes ces dispositions sont-elles efficaces ? N’activent-elles pas des inquiétudes chez certains consommateur·ices ? Pendant combien de temps la clientèle va-t-elle ressentir cette angoisse d’être contaminée ? Comment la rassurer et communiquer vers elle de façon utile? Les managers, responsables de commerces ou d’entreprises de services sont confronté·es à de multiples incertitudes et de nombreuses questions restent sans réponse. « Nous avons encore beaucoup de choses à apprendre en termes d’actions à entreprendre en vue de les préparer à une éventuelle récurrence de l’épidémie du Covid-19 ou à toute autre pandémie future » conclut le chercheur.

Anne Mauclet

Publié le 29 novembre 2020