Contrer la résistance bactérienne aux antibiotiques

Depuis la découverte de la pénicilline en 1928 par Alexander Flemming, l’utilisation des antibiotiques a été bien utile pour lutter contre les infections bactériennes. Pourtant, aujourd’hui, il y a danger : bon nombre de bactéries ont élaboré des mécanismes pour échapper à l’attaque fatale de ces traitements. Yves Dufrêne tente d’en comprendre certains pour les contrer ; c’est pourquoi il a reçu en avril 2016, une bourse européenne prestigieuse pour mener à bien son projet « NanoStaph ».

Les bactéries multirésistantes se retrouvent partout, notamment dans les hôpitaux. C’est ainsi que certains patients peuvent être hospitalisés pour une intervention chirurgicale ou une maladie, et y contracter une infection bactérienne dite « nosocomiale ». Ce lieu s’avère propice car l’on y pratique des interventions spécifiques comme la pose de sondes urinaires, d’intubations ou encore des incisions chirurgicales. Les bactéries, champignons ou encore parasites y trouvent dès lors autant de voies d’entrées dans un organisme. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’hôpital accueille les patients les plus fragiles, comme les personnes immunodéprimées, par exemple.

Les infections nosocomiales et la résistance développées par les bactéries en cause dans ces infections inquiètent de plus en plus, tant les autorités que les hôpitaux. Car les résistances sont de plus en plus fréquentes; si une partie de ces bactéries peuvent encore succomber aux traitements antibiotiques, d’autres y résistent, au point de menacer la vie. On estime que les infections nosocomiales touchent 5 à 7% des personnes hospitalisées ; elles seraient à l’origine de quelque 3000 décès par an en Belgique, 25.000 en Europe. (1-2) : « Chez les patients les plus faibles, même une levure de type Candida albicans, dont nous sommes tous porteurs sans être malades, peut s’avérer mortelle, car elle peut être résistante aux traitements », explique le Pr Yves Dufrêne, biophysicien à l’UCL. « La résistance de ces bactéries est due à l’utilisation excessive d’antibiotiques, et l’hôpital est un incubateur pour les germes résistants. C’est pourquoi il faut chercher à éviter autant que possible la transmission de pathogènes, qu’ils proviennent du patient même ou des personnes qui entrent en contact avec lui. »

Yves Dufrenes

Intelligentes bactéries

Malgré toutes les mesures prises pour désinfecter les instruments chirurgicaux, les lieux où séjournent les malades, les mains des soignants, etc., force est de constater que bon nombre de germes se sont organisés pour y résister. Une stratégie suivie par certaines bactéries pathogènes, comme le staphylocoque doré (Staphylococcus aureus), est de s’attacher à la surface des dispositifs médicaux pour s’y multiplier et former des biofilms. Ces biofilms sont constitués de nombreuses cellules très résistantes aux antibiotiques, notamment à la méticilline (MRSA). » Ces bactéries sont dès lors particulièrement difficiles à éliminer et à l’origine de nombreuses maladies nosocomiales. Elles constituent donc une cible particulièrement intéressante à comprendre. Aussi, différentes équipes de recherches à travers le monde, dont celle du Pr Yves Dufrêne, ont choisi comme cible de recherche ces mécanismes moléculaires conduisant à la formation de biofilms par le staphylocoque doré. « Nous avons récemment mis au point des techniques avancées de microscopie à force atomique (AFM) pour analyser très précisément la surface des bactéries à l'échelle nanométrique, afin de révéler les interactions conduisant au biofilm. C’est ainsi que nous avons pu élucider une fonction cellulaire clé : nous avons constaté que sous l’effet du zinc, la paroi de la bactérie peut être modifiée pour la rendre plus adhésive ; les bactéries peuvent alors s’assembler fortement entre elles pour former des biofilms stables. » Voilà donc la piste à suivre…

staphylocoque doré

NanoStaph

C’est tout l’objectif du projet « NanoStaph », qui consiste, comme son nom l’indique, à étudier la réaction du staphylocoque doré à l’aide de technologies permettant de les observer à l’échelle nanométrique ! L’équipe du Pr Dufrêne a reçu, pour poursuivre ses recherches une bourse ERC « Advanced » (bourse du Conseil européen de la Recherche – pour les chercheurs confirmés. « Ce projet pluridisciplinaire vise à développer une plate-forme innovante de nanoscopie de force basée sur l'AFM dans la recherche sur le biofilm. Nous pourrons ainsi comprendre très précisément les mécanismes moléculaires de l'adhésion de Staphylococcus aureus, chose qui était difficile avant le développement de ces techniques. Notre but est dès lors d’inhiber ce processus de formation de biofilm, en trouvant un moyen pour masquer ces protéines de surface, par exemple par des anticorps qui vont les bloquer. Dès lors, nous pourrions éliminer la bactérie par des thérapies antiadhésives, en prévenant l’accrochage des bactéries sur des implants, ou tout autre dispositif médical », explique le biophysicien. Nous n’en sommes pas encore à une utilisation pratique, mais la voie pour la mise au point de nouvelles molécules antiadhésives est ouverte et prometteuse. « A l’avenir, nous pourrions également coupler cette technologie avec la prise d’antibiotiques », précise le Pr Yves Dufrêne.

Une nouvelle voie

« NanoStaph aura des impacts scientifiques, sociétaux et économiques importants. Du point de vue technique, la nanoscopie représentera une méthodologie non conventionnelle pour la caractérisation à haut débit et à haute résolution des forces d'adhérence des cellules vivantes, en particulier les pathogènes bactériens. En microbiologie, les résultats vont radicalement transformer notre perception des bases moléculaires de la formation des biofilms par Staphylococcus aureus. Et en médecine, le projet fournira une nouvelle méthode de dépistage pour l'analyse rapide de composés anti-adhésifs ciblant les souches de Staphylococcus aureus, mais aussi d’autres pathogènes résistants aux antibiotiques, difficiles à traiter. Ce qui ouvre donc la voie au développement de traitements pour contrer la formation des biofilms. »

Sources :
1. L’Avenir du 6 janvier 2016.
2. OMS : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/antibiotic-resistance/en/
3. Voir la campagne « Vous êtes entre de bonnes mains » : http://www.vousetesendebonnesmains.be/fr
4. http://www.nsih.be/surv_iq/reports_fr.asp

Coup d'oeil sur la bio Yves Dufrêne

Yves Dufrêne

1991 Master d'ingénieur en chimie et bioindustries (UCL)
1996 Doctorat à l'Université catholique de Louvain (UCL)
1997 Postdoc au Naval Research Laboratory (Washington DC, USA)
1998 Chargé de recherches au Fonds national de la recherche scientifique (FNRS)
2000 Chercheur qualifié du FNRS
 
Il est actuellement Directeur de recherches FNRS à l’Institut des Sciences de la Vie (ISV) de l’UCL, où il s’intéresse à développer la microscopie AFM pour explorer le vivant, particulièrement les cellules microbiennes.

Publié le 15 mai 2016