Des énergies vertes, oui mais à condition qu’on puisse y avoir accès quand on en a besoin ! Stockage et transport des énergies vertes : c’est tout l’enjeu des recherches actuelles dans le domaine. A l’UCLouvain, Francesco Contino explore la piste de stocker l’électricité sous forme d’ammoniac pour répondre à ces défis.
“Pour répondre aux enjeux climatique et énergétique, nous devons décarboniser notre énergie”, annonce le Pr Francesco Contino, de l’Institute of Mechanics, Materials, and Civil Engineering (IMMC) de l’UCLouvain. Et pour atteindre le “zéro carbone”, quoi de plus évident que de passer du carburant fossile aux énergies renouvelables ? Si la réalité était si simple, cela se saurait ! En effet, des énergies telles que le soleil ou le vent, il n’y en a pas partout ni tout le temps. L’énergie fossile, quant à elle, est disponible quand on en a besoin, mais émet du CO2. Les scientifiques sont donc confrontés aujourd’hui à un double défi : le stockage et le transport des énergies vertes, afin d’atteindre la neutralité carbone. Nombre d’entre eux travaillent d’ailleurs sur ce sujet, notamment en cherchant des solutions électrochimiques (par ex., les batteries) ou chimiques (par ex., l’hydrogène) pour stocker de l’énergie à grande échelle.
Un candidat : l’ammoniac
Le Pr Francesco Contino, soutenu par le Pr Hervé Jeanmart, a décidé de répondre à ce défi de stockage et de transport d’énergie sous forme chimique. Au lieu de s’intéresser à l’hydrogène, comme le fait le Pr Proost, le professeur compte s’attarder sur un autre élément chimique : l’ammoniac (NH3). Ce combustible non-conventionnel est le deuxième produit chimique le plus produit au monde. Déjà utilisé pour le stockage de l’énergie, l’ammoniac n’a par contre pas encore fait ses preuves à une échelle plus globale et commerciale. “Notre travail va consister à étudier dans quelles circonstances l’utilisation de l’ammoniac est pertinente à l’échelle globale”. Ce qui implique de changer radicalement de paradigme : “Avec l’alternative de l’ammoniac, nous passons d’une production centralisée via des énergies fossiles à une production et un stockage d’énergie diffus et décentralisé”, note le chercheur.
Etat des lieux de l’ammoniac
Le stockage de l’énergie sous forme d’ammoniac comporte des avantages et des inconvénients. Dans la première catégorie, l’ammoniac est facile à produire. “On a juste besoin d’eau (H2O) pour capter la molécule d’hydrogène grâce à un courant électrique et d’air pour en extraire l’azote (N), puis de combiner les deux pour créer de l’ammoniac. Or, de l’air et de l’eau, on en trouve presque partout !”, explique le Pr Contino. Par ailleurs, cette molécule est déjà bien connue. De nombreuses études antérieures aideront les chercheurs de l’Institute of Mechanics, Materials, and Civil Engineering (IMMC) dans leurs recherches. Autre point fort de l’ammoniac : il a une densité énergétique importante, comparé à l’hydrogène. “Cela veut dire qu’on peut stocker bien plus d’énergie dans un volume donné . C’est idéal pour le transport, par exemple, qui est aujourd’hui sûr et maîtrisé”. Enfin, la combustion de l’ammoniac n’émet pas de CO2 contrairement au méthane ou au méthanol. Dans la catégorie des inconvénients, la production d’ammoniac est plus complexe à mettre en œuvre si le procédé est intermittent et suit la production renouvelable et ses aléas. Ensuite, aujourd’hui, la combustion de l’ammoniac à échelle industrielle n’est pas totalement maîtrisée et peut rejeter de l’oxyde d’azote, un polluant, dans l’atmosphère.
Pas si simple de brûler de l’ammoniac !
D’autres projets fondamentaux sont actuellement en cours afin de savoir quelles réactions chimiques entrent en compte lorsque l’ammoniac brûle. A ce jour, la connaissance de sa combustion reste encore incomplète. Ces résultats aideront sensiblement le Pr Francesco Contino à travailler, en parallèle, sur une grande question : que faut-il mettre en oeuvre, à l’échelle globale, pour brûler l’ammoniac dans les meilleures circonstances possibles, sans polluer et avec le meilleur rendement ? “Nous avons déjà comme point de départ de notre travail la thèse de Maxime Pochet, ancien doctorant de l’UCLouvain, qui a percé les secrets de la combustion de l’ammoniac dans un moteur. A nous de réfléchir à ce qui se passerait si on brulait l’ammoniac dans une centrale électrique au gaz. ”, explique le Pr Contino.
Construire l’énergie de demain
Avec ce projet, le Pr Contino veut servir de démonstrateur des concepts qui existent déjà sur papier, mais qui ne sont pas encore appliqués. “S’il s’avère que les démonstrations sont probantes, la prochaine étape sera l’application du stockage de l’énergie sous forme d’ammoniac sur le terrain. Cette solution pourrait par exemple répondre à la problématique d’accès à l’énergie de lieux plus isolés, comme des îles. Mais ce genre de projections, ce sera pour les années 2030-2040...” Pas pour tout de suite donc. Il n’empêche que l’ammoniac sera inévitablement un des composants dans la production énergétique du futur. A travers ce projet, l’UCLouvain pose une des pierres à l’édifice de la gestion de l’énergie de demain.
De l’importance des projets européens
Le travail du Pr Contino s’inscrit dans un programme appelé Horizon 2020 (H2020). Il s’agit du plus grand programme de recherche et d’innovation jamais réalisé par l’Union européenne (UE). La participation à H2020 est ouverte aux chercheurs de toute l’Europe et au-delà. Au total, un financement de 80 milliards d’euros est fixé sur 7 ans (de 2014 à 2020). L’objectif de ce programme ? Que l’Europe atteigne un niveau scientifique et technologique de classe mondiale, élimine les obstacles freinant l’innovation et facilite la collaboration entre le secteur public et le secteur privé, afin de trouver des solutions aux grands enjeux auxquels la société est confrontée.
Dr Véronique Dias, docteure en chimie spécialisée dans la combustion et coordinatrice des projets de recherche européens sur la transition énergétique, souligne l’importance de ces projets : “Pour faire avancer la recherche, il est primordial de collaborer avec les meilleurs experts européens. Il y a une belle complémentarité et diversité de compétences qu’il serait triste de ne pas exploiter.” Pour le projet FLEXnCONFU mené par le Pr Contino, 22 participants des quatre coins d’Europe travaillent main dans la main depuis le 1er mars pour une durée de 3 ou 4 ans.
Lauranne Garitte
Coup d’œil sur la bio du Pr Francesco Contino
Francesco Contino a obtenu son diplôme d'ingénieur en électromécanique à l'UCLouvain en 2006. Il a ensuite effectué sa thèse de doctorat à l'UCLouvain entre 2007 et 2011 en tant que chercheur du Fonds de la Recherche Scientifique (FNRS). En 2011-2012, il a obtenu un poste de post-doc à l'Université d'Orléans, où il a travaillé sur l'impact des esters de valérate sur les performances des moteurs.
Depuis 2019, il est professeur associé à l'UCLouvain. Il concentre son effort de recherche sur quatre volets : les systèmes énergétiques, les simulations et les systèmes réactifs de la dynamique des fluides computationnelle (CFD), les émissions réelles et l’optimisation robuste - optimisation combinée avec la quantification incertaine. Son but ? Comprendre quels sont les principaux facteurs qui nous aident à réussir la transition énergétique.
Coup d’œil sur la bio du Prof. Hervé Jeanmart
Hervé Jeanmart a obtenu un diplôme d'ingénieur en mécanique à l'UCLouvain en 1996, puis un doctorat en mécanique des fluides en 2002 dans la même université. Après une expérience post-doctorale à l'Université de Stuttgart (équipe du Prof. Weigand) en 2003 sur le refroidissement interne des turbines à gaz, il est revenu à l'UCLouvain en tant que professeur associé en 2004.
Il est actif sur plusieurs sujets liés à l'énergie. Avec son équipe de recherche, il étudie la transition énergétique par la modélisation des systèmes énergétiques.
Coup d’œil sur la bio de Véronique Dias
Véronique Dias a obtenu son doctorat à l'UCLouvain en 2003, puis a travaillé comme chercheuse postdoctorale au Laboratoire de Physico-Chimie de la Combustion (Faculté des Sciences). En 2009, elle rejoint l'Institut de Mécanique, des Matériaux et du génie Civil (iMMC), et depuis 2012, elle occupe un poste de chercheuse qualifiée. Ses intérêts de recherche portent sur la combustion et la cinétique des carburants alternatifs par l'élaboration de modèles cinétiques pour les hydrocarbures et les espèces oxygénées. En 2016-2018, elle a également travaillé sur un projet de stockage de l'énergie, et plus particulièrement sous forme chimique.
Depuis 2018, elle est coordinatrice de recherche pour les projets européens sur la transition énergétique, à l'Institut de mécanique, des matériaux et du génie civil (UCLouvain).