Entre leur activité parasite et leur capacité à muter, les virus sont difficiles à cibler efficacement avec nos antiviraux. Mais les scientifiques ne lâchent pas l’affaire. L’équipe de Thomas Michiels (Institut de Duve) est sur une piste prometteuse pour développer un antiviral à large spectre.
Lorsqu’une bactérie nous infecte et que notre corps ne parvient pas à s’en débarrasser seul, le recours aux antibiotiques nous remet rapidement sur pied. Pourquoi n’en est-il pas ainsi pour les virus ? Pourquoi n’existe-t-il pas d’antiviraux « prêts à l’emploi » pour venir à bout des (nouvelles) infections virales telles que le Covid-19? Les antibiotiques sont aux bactéries ce que les antiviraux sont aux virus. Il existe une kyrielle d’antibiotiques pour lutter contre les différentes familles de bactéries qui peuvent nous infecter. De même, de nombreux antiviraux sont mis au point pour venir à bout ou limiter la gravité des infections provoquées par différentes classes de virus (virus à ADN, virus à ARN simple ou double brin, rétrovirus).
« La grande différence entre les bactéries et les virus est que les premières sont des organismes vivants autonomes et les seconds sont constitués principalement d’information génétique qui parasite nos cellules », explique Thomas Michiels. En effet, les virus doivent impérativement utiliser la machinerie de nos cellules pour se multiplier et infecter notre organisme. « Par conséquent, ils offrent beaucoup moins de cibles thérapeutiques spécifiques potentielles et les molécules dirigées contre leur activité au sein de nos cellules infectées risquent de causer des dégâts collatéraux en interférant aussi avec la machinerie des cellules saines de notre corps », poursuit-il.
Perturber la confection du matériel génétique du virus
Il existe cependant des moyens d’éviter ces dégâts collatéraux en s’attaquant directement aux « pièces » qui composent le virus ou produites par celui-ci pour sa multiplication. Par exemple, les virus à ARN, tel que le SARS-CoV2 responsable du Covid-19, ont cette particularité de produire leur propre polymérase, c’est-à-dire l’outil nécessaire à répliquer leur matériel génétique à l’intérieur de nos cellules. Cette polymérase virale, différente de celle de nos cellules, est donc une des cibles visées par les chercheurs pour trouver des antiviraux au plus large spectre possible contre les virus à ARN. « Ces antiviraux ont pour effet de fournir de fausses pièces d’assemblage pour la fabrication de l’ARN du virus par la polymérase virale. Le génome (ARN) du virus étant défaillant, sa capacité à infecter de nouvelles cellules le devient également. C’est le mécanisme sur lequel reposent la ribavirine, utilisé jusque récemment contre l’hépatite C et premier antiviral testé contre le SARS-CoV2 mais avec un effet faible in vitro, ou le remdesivir, un autre antiviral produit précédemment », indique Thomas Michiels. Mais chaque polymérase virale a ses spécificités ce qui fait qu’une seule molécule ne peut être optimale pour tous les virus à ARN. Un nouvel antiviral prometteur basé sur le même principe est l’EIDD-2801, développé juste avant l’épidémie de COVID-19 et actif contre plusieurs coronavirus in vitro.
Attaquer de toutes parts
Un autre obstacle dans la quête d’un antiviral à large spectre est la problématique de la résistance des virus et en particulier des virus à ARN qui mutent très facilement. Résultat, à chaque fois qu’un antiviral est mis au point, une résistance apparaît. « D’où l’intérêt d’avoir recours à plusieurs antiviraux qui ciblent différentes étapes de l’invasion d’un virus dans nos cellules, comme c’est le cas pour le virus de l’hépatite C ou le VIH. Voire même de cibler des éléments de nos propres cellules dont le virus se sert pour se multiplier et infecter de nouvelles cellules, pour autant que cela ne soit pas (trop) toxique pour le fonctionnement de notre organisme », précise le chercheur.
Trouver le(s) point(s) commun(s)
Enfin, « last but not least » le laboratoire de Thomas Michiels à l’Institut de Duve est sur une piste prometteuse : la découverte d’une séquence hautement conservée sur les polymérases des virus à ARN positifs. Cela signifie qu’un même « patron » est présent sur toutes ces polymérases et pourrait donc être une cible privilégiée pour lutter contre les infections par ce groupe de virus dont font partie les coronavirus. Cette découverte découle de recherches fondamentales qui restent essentielles dans la compréhension des mécanismes qui régissent notre corps, les virus et leurs interactions. Ces récents résultats ouvrent des perspectives encourageantes dans la lutte contre les virus émergents. Bien sûr la recherche a besoin de temps et de tels résultats nécessitent des années avant de déboucher, peut-être, sur de nouveaux médicaments. Mais ils nous donnent à la fois l’espoir et de nouvelles armes pour mieux lutter à l’avenir contre ce type d’envahisseur…
Audrey Binet