Des batteries « tout organiques » pour du stockage massif durable

Les batteries conventionnelles ne représentent pas une solution durable pour notre planète. Le Pr Alexandru Vlad travaille actuellement sur une alternative pour stocker l’énergie : des batteries tout organiques.

Tous les appareils électroniques à l’heure actuelle comportent des batteries lithium-ion. Plusieurs constats sont faits à leur sujet : la source de la matière première utilisée pose problème car il s’agit de métaux lourds (nickel, cobalt), elles consomment énormément d’énergie lorsqu’elles sont produites et leur recyclage reste assez compliqué et toujours énergivore. Or, les prévisions sont formelles : “Dans 10 à 20 ans, nous devrons augmenter la capacité de stockage des batteries de presque 100 fois”, note le Pr Alexandru Vlad de l’Institute of Condensed Matter and Nanosciences. S’ajoute à cette réalité la mobilité qui va devenir de plus en plus “électrique” : “Si l’on veut électrifier toutes les voitures du monde, il n’y a pas de doute, on doit augmenter la capacité des batteries”. Conséquence : il faut augmenter de manière exponentielle le nombre et la capacité des batteries. Mais avec la technologie que nous connaissons aujourd’hui, ce n’est pas réaliste. En effet, les matériaux utilisés dans celles-ci seront vite insuffisants et l’impact en CO2 va très vite augmenter. Conclusion : Nous devons trouver des alternatives moins polluantes et moins dépendantes des matériaux primaires actuellement utilisés.

Des batteries organiques à grande échelle

C’est en venant à bout de toute cette réflexion que le Pr Alexandru Vlad a eu cette idée folle de rêver à des batteries organiques. Une batterie organique est composée d’éléments chimiques organiques, n’utilise pas de métaux lourds ou de terres rares et est recyclable (voire même biodégradable) à 100%. “Avec le projet ERC MOOiRE, j’explore depuis 2018 et ce pour une durée de 5 ans la possibilité de créer des batteries composées uniquement de carbone, d’oxygène ou d’azote. Le but est d’éliminer tous les métaux lourds comme le nickel ou le cobalt qui posent de gros problèmes environnementaux et géostratégiques”, explique le Pr Vlad. L’ambition est grande car aujourd’hui, il n’existe pas de chimie qui permette de produire des batteries organiques à grande échelle. Le Pr Vlad cherche donc les chimies compatibles pour lancer cette industrie.

De la chimie organique à la batterie tout organique

Concrètement, pour éliminer les métaux lourds et arriver à des batteries entièrement organiques, il faut trouver des matériaux organiques qui peuvent stocker de manière réversible l’énergie électrique (autrement dit, les électrons, via des réactions redox). “Au lieu de se baser sur le stockage de l’énergie par la réaction redox de ces métaux, on cherche des composés organiques qui peuvent faire ce même processus”, détaille le chimiste.

Pas facile de s’imposer sur le marché

Trouver les composés organiques qui permettraient de stocker l’énergie représenterait déjà un pas de géant vers les batteries organiques. Mais rien ne serait pour autant gagné d’avance. “Les batteries organiques comportent certains inconvénients. Le premier est bien entendu qu’on n’a pas encore assez de chimies compatibles avec le processus actuel de fabrication des batteries. Le second est qu’une batterie organique basée sur les chimies connues contient déjà moins d’énergie qu’une batterie conventionnelle. Enfin, les batteries organiques ont un volume plus grand (par unité d’énergie), ce qui fait que le coût de fabrication est plus important.” Le coût de fabrication d’une batterie conventionnelle est aujourd’hui de l’ordre de 200 euros par kilowattheure. Une batterie organique coûterait deux fois plus cher. “Bien sûr, plus on augmentera la production, plus on diminuera le prix. De cette façon, nous pourrions arriver à amener d’ici 2030 le prix des batteries conventionnelles en-dessous de 70€/kilowattheure, tout en espérant que les batteries tout organiques vont suivre la même tendance”, ajoute le Pr Vlad.

Où en sont les recherches ?

Voilà déjà plus de 5 ans que le Pr Alexandru Vlad travaille sur cette idée. Après un travail bibliographique, un cahier des charges des propriétés des matériaux, le Pr Vlad a établi une liste de molécules qui pourraient répondre à ce cahier des charges (ex. : grande capacité de batterie, voltage élevé, etc.). Il a ainsi testé une dizaine de molécules en laboratoire. “4-5 chimies sont déjà prometteuses. Nous continuons de les tester afin de vérifier la performance des matériaux. Plusieurs articles scientifiques sont d’ailleurs en cours à ce sujet”, détaille le chimiste.

A quand les batteries organiques ?

Pour le moment, les batteries prototypées sont de format laboratoire. Petit à petit, dès que des feux seront verts, le Pr Vlad testera ces batteries organiques à plus grande échelle, à format industriel et commercial. Comment parvenir à cet accomplissement ? En travaillant sur l’optimisation du matériau lui-même, en augmentant l’énergie, le temps de vie et en faisant des batteries plus durables. “Par exemple, nous devrons réfléchir aux procédés de production des batteries organiques. Il faut que lors de la production, il n’y ait pas de solvants polluants qui soient utilisés.” Quand pourrions-nous espérer voir une batterie organique naître de ces recherches ? “Dans 10-15 ans, nous pourrions avoir des prototypes à grande échelle. Et dans 20 à 30 ans, nous pourrions imaginer des applications concrètes”, conclut le chercheur.

Améliorer les batteries conventionnelles

En parallèle du projet EC/ERC-MOOiRE, le Pr Alexandru Vlad lance tout bientôt un projet collaboratif de grande ampleur de recherche fondamentale : le projet européen H2020 projet « HYDRA » (Hybrid power-energy electrodes for next generation litium-ion batteries). Ce projet regroupe 12 partenaires dont 5 industriels et 7 centres de recherches ou universités. “Une des approches proposées est d’éliminer entièrement le cobalt des batteries qu’on utilise à présent, en s’intéressant à des chimies sur base de nickel ou le manganèse. Or, ces éléments sont plus abondants dans la nature ”, explique le Pr Vlad. Dans le cadre de ce projet, l’équipe travaillera aussi sur l’augmentation de rentabilité de la batterie et l’augmentation de son énergie. Enfin, l’équipe étudiera l’impact environnemental de la fabrication des batteries. “Lors de la production, des solvants toxiques sont utilisés. Or, il faut réduire ces solvants ainsi que la quantité d’énergie utilisée pour avoir un impact réduit de fabrication et une augmentation de l’énergie au même prix.

Lauranne Garitte

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Coup d’œil sur la bio d'Alexandru Vlad

Le Dr Alexandru Vlad a obtenu son baccalauréat en génie chimique de l'Université Politehnica de Bucarest (2003) et son doctorat en sciences appliquées, génie électrique de l'Université catholique de Louvain (Belgique) en 2009. Après des séjours postdoctoraux à l'Université Chalmers (Suède) et à l'Université de Rice (États-Unis), il a reçu une bourse du Fonds National pour la Recherche Scientifique (2011, FRS-FNRS, Belgique). Actuellement, il poursuit une carrière académique à l'Université catholique de Louvain. Ses intérêts de recherche couvrent le domaine de la science des matériaux, de la nanotechnologie et de l'électrochimie appliquée pour les applications de stockage et de récupération d'énergie.

Publié le 16 avril 2020