Les panneaux solaires ont envahi les toits de nos habitations. Et ils vont y rester longtemps encore même si des cellules photovoltaïques d’un nouveau genre, plus durables, sont mises au point.
Les circuits électroniques ont eux aussi envahi notre quotidien mais comme ils sont généralement de petite taille, ils se font oublier. Au point que rares sont ceux qui s’interrogent sur leur consommation d’énergie ou leur efficacité. Encore moins sans doute sur leur recyclabilité. Au sein de l’ICTEAM (Institute of Information and Communication Technologies, Electronics and Applied Mathematics de l’UCLouvain) cependant, différents groupes de recherche étudient la durabilité des circuits électriques, c’est-à-dire l’ensemble des processus qui vont de la fabrication au recyclage des composants en passant par leur consommation électrique : chaque maillon a son importance et doit être étudié en vue de rendre l’ensemble et son utilisation les plus respectueux de l’environnement. C’est le cas du Professeur Denis Flandre, membre du Louvain4Energy, dont le laboratoire fait partie du consortium européen ENCOS ( European Nanoelectronics consortium on sustainability ) qui veut que l’électronique devienne plus respectueuse de l’environnement. Et plus particulièrement, pour l’équipe de Denis Flandre, l’approvisionnement en énergie de ces circuits. « Si vous avez un système de contrôle de la consommation d’énergie dans un bâtiment, c’est intéressant ; si vous l’alimentez avec des piles chimiques, vous perdez une partie des bénéfices environnementaux de votre système à cause du remplacement régulier des piles, des problèmes de recyclage, etc. Il est donc préférable d’essayer de récupérer l’énergie environnementale. »
L’énergie environnementale ? Cela peut être la chaleur ambiante, des vibrations, voire l’énergie électromagnétique dans laquelle nous baignons. Autant de pistes qui sont explorées à l’heure actuelle mais sans atteindre les performances de la plus abondante de ces énergies : la lumière captée par des cellules photovoltaïques. « Mais attention, précise Denis Flandre, pas des cellules sur silicium comme celles qu’on trouve depuis des décennies sur nos toits. Il nous faut ici des cellules très petites - quelques cm2 au maximum - mais cependant suffisamment performantes pour fournir assez d’énergie à un ensemble de composants électroniques. » Imaginons en effet un système de monitoring d’un bâtiment : il faudra de nombreux nœuds de capteurs capables de mesurer la température, diverses pollutions, l’humidité, les bruits, la présence des personnes, etc. Sans oublier des composants pour le stockage puis le traitement des données recueillies et pour leur transmission sans fil. Chaque bloc devra être optimisé pour consommer le moins possible. Si c’est le cas, on peut imaginer arriver à une consommation de 100 microWatts (soit 100000 fois moins qu’une ampoule LED). A priori, rien de plus simple : en été, par un beau ciel bleu, le soleil fournit au maximum 1000 Watts/m2 ! Sauf que le rendement de bonnes cellules solaires n’est que de 20%, soit 200 Watts/m2 dans le meilleur des cas; en hiver, c’est encore dix fois moins. Dans le cas de nos systèmes de capteurs, l’exposition des cellules n’est de plus pas optimale tout au long de la journée et, le plus souvent, les systèmes doivent fonctionner à la lumière artificielle, bien moins généreuse (d’un facteur 100 encore !) que le soleil. Et surtout, il ne s’agit plus ici de compter en mètres carrés, mais bien en centimètres carrés, taille maximale des cellules qu’on veut utiliser. Une application qui bénéficiera d’autres technologies que celle du silicium.
Nouvelle génération
Les cellules solaires les plus répandues sont en effet constituées de semi-conducteurs à base de silicium. On peut les qualifier de première génération et leur technologie est à maturité même si des améliorations peuvent encore y être apportées. Le silicium utilisé est produit à partir de silice, le matériau le plus abondant de la croûte terrestre (sable) dont le coût est évidemment bas. Les ‘carottes’ de silicium sont ensuite débitées en tranches de 15 x 15 cm2, épaisses en général de minimum 100 à 150 micromètres (un cheveu est épais d’environ 80 micromètres !). Elles sont ensuite assemblées sur un panneau. Avec un rendement énergétique d’environ 24% maximum, elles restent les cellules les plus appropriées pour les usages courants.
Mais il existe d’autres types de cellules, dites de deuxième génération : différentes couches très fines de métaux sont directement appliquées sur un support en verre. Deux technologies prédominent ici, qui portent le nom des couches métalliques appliquées, celle dite CdTe (cadmium et tellure, dont la toxicité pose question) et celle appelée CIGS (cuivre-indium-gallium-sélénium). Cette dernière retient l’attention de Denis Flandre et son équipe.
« Les cellules CIGS standards atteignent un rendement maximum d’environ 20% en application industrielle, précise Denis Flandre. On s’approche donc des performances des cellules sur silicium, mais il faudrait encore améliorer ce résultat. Quant au film déposé sur le substrat de verre, il est d’environ 2 microns. Cela peut paraître peu mais c’est encore trop ! » Pour une raison simple : indium, gallium et sélénium sont soit peu disponibles, chers ou difficilement recyclables. Une des recherches du laboratoire louvaniste, développée avec le CRM, centre de recherches métallurgiques du groupe Arcelor-Mittal à Liège, porte ainsi sur un nouvel alliage qui serait composé de CZTS (cuivre – zinc - étain - soufre) au lieu du CIGS. Des matériaux largement disponibles et potentiellement non toxiques… mais les rendements de ces cellules ne dépassent pas 12% actuellement ! « Nous avons dès lors un autre projet que nous venons de débuter avec l’UMons et qui est financé par la Région wallonne, pour tester du CuO, l’oxyde de cuivre, recyclable à plus de 99%. Les modélisations mathématiques sont prometteuses mais jusqu’à présent les rendements obtenus sont loin des performances théoriques. »
Réduire l’épaisseur
Une autre manière de rendre ces cellules plus durables à court terme est de garder la couche CIGS mais de réduire son épaisseur d’un facteur 3 ou 4, c’est-à-dire passer de 2 microns à 500 ou 600 nanomètres dans le but de consommer nettement moins de métaux, moins d’énergie à la fabrication, etc. « On se heurte cependant à une difficulté, explique Denis Flandre. Une couche de 2 microns de CIGS permet d’absorber le spectre solaire depuis l’ultra-violet jusqu’au proche infrarouge. Ce ne sera plus le cas si on réduit son épaisseur, on ne va plus absorber aussi bien les grandes longueurs d’onde et on va donc perdre en efficacité énergétique. » Vaincre cet obstacle est le but du projet européen ARCIGS-M (Advanced aRchitectures for ultra-thin high-efficiency CIGS solar cells with high Manufacturability) auquel participent les chercheurs de l’UCLouvain. Un de leurs apports à l’amélioration de la technique CIGS avait en effet été de placer une couche d’aluminium (Al2O3) à l’interface arrière du CIGS (voir schéma).
Pour que des cellules très fines absorbent l’ensemble du spectre solaire, les chercheurs proposent aujourd’hui d’ajouter un autre métal sous cette interface. |
« L’idée, explique le Professeur Flandre, est de placer un réflecteur de lumière sous la couche CIGS et de construire des cavités optiques dans lesquelles la lumière va être piégée, se réfléchir de multiples fois. La couche d’Al2O3 ne suffit pas mais nous avons constaté que si on y ajoute certains métaux comme de l’argent, la réflexion optique est plus importante, les propriétés électroniques peuvent aussi être améliorées et nous avons bon espoir d’arriver à conserver un rendement de l’ordre de 20% tout en diminuant fortement la quantité de CIGS. »
Du verre à l’acier
Une autre amélioration possible est à chercher du côté du support. La technologie CIGS a en effet été conçue au départ pour un support de verre, ce qui est très pratique pour obtenir une gamme de cellules solides allant de quelques centaines de cm2 jusqu’à 1m2 environ. Remplacer le verre par de l’acier aurait cependant deux avantages. Le premier est qu’il peut être plus écologique sur un cycle de vie complet notamment parce qu’il est plus léger à transporter ; le second est que l’impression des films métalliques pourrait se faire quasi en continu. La technique du ‘roll to roll’ est en effet bien rodée en sidérurgie : les différentes couches métalliques de la cellule seraient alors déposées par pulvérisation sur des bobines d’acier. Ce qui permettrait d’intégrer les cellules solaires dans le matériau de construction, les toits des bâtiments industriels étant souvent réalisés en acier. On comprend dès lors l’intérêt du CRM d’Arcelor-Mittal pour des recherches sur les cellules solaires, un domaine a priori éloigné de la sidérurgie !
Les Big Squeeze AwardsLe fait mérite d’être souligné : deux startups spin off de l’ICTEAM -et à la création desquelles le professeur Denis Flandre a contribué- ont été remarquées lors des Big Squeeze Awards 2019. Le ‘Big Squeeze’ est la plus importante conférence qui réunit investisseurs et responsables de startups et scale-ups technologiques en Belgique. Vocsens a été nominée dans la catégorie ‘Student Startup of the Year’. Cette toute jeune entreprise développe et commercialise des microcapteurs de gaz et de composés volatils à basse consommation et faible coût, particulièrement dédiés à la surveillance de l’environnement et le contrôle industriel. e-peas pour sa part a fait mieux encore puisqu’elle a remporté le trophée ‘Disruptive Innovation of the Year’. Créée en 2014, cette entreprise crée et vend des circuits électroniques fonctionnant à partir de l’énergie environnementale, rendant ainsi les appareils sans fil autonomes. |
Henri Dupuis
Coup d’œil sur la bio de Denis Flandre
Denis Flandre est diplômé Ingénieur civil électricien avec spécialisation en microélectronique en 1986 à l’UCLouvain. Deux orientations s’offrent ensuite à lui pour sa thèse de doctorat : le photovoltaïque ou la technologie du silicium sur isolant (SOI). « A l’époque, se souvient-il, le photovoltaïque est jugé sans avenir en Belgique ! Au point que des chercheurs de l’UCL, qui maîtrisaient parfaitement cette technologie, ont quitté le pays pour la Californie et ont été parmi les premiers à rejoindre SunPower, aujourd’hui un géant mondial du secteur, filiale du groupe Total ! » Docteur en 1990, il poursuit un post doc à Barcelone puis est chercheur au FNRS pendant 10 ans, jusqu’en 2001 quand il est nommé Professeur à l’UCLouvain. Denis Flandre s’est toujours préoccupé de la transposition de ses recherches dans la société. Il a ainsi participé début des années 2000 à la création de la start up Cissoid, spécialiste des circuits électroniques qui fonctionnent à très haute température, par exemple pour l’automobile électrique, ou résistent à de très grands écarts de température, par exemple pour le secteur spatial. Ses recherches ont également conduit à la création, en 2014, de la société e-peas, une entreprise qui crée et vend des circuits électroniques autonomes à très basse consommation et a récemment gagné plusieurs prix à l’innovation. Il a également participé, dans le domaine biomédical, à la mise au point d’un système de capteur de pression à implanter dans l’œil pour le suivi du traitement du glaucome ou encore de capteurs électroniques permettant de détecter la présence de très faible nombres de bactéries. Depuis 2008, son laboratoire a repris des recherches dans le domaine du photovoltaïque, particulièrement sur des améliorations à apporter aux cellules solaires de type silicium, CIGS, CZTS et maintenant CuO. |