Des lipides bioactifs au cœur de l’inflammation

L’inflammation est l’objet de bien des recherches tant elle est impliquée dans de multiples pathologies. Car ce mécanisme pourtant naturel peut se révéler, dans certaines situations, pathologique. Des lipides bioactifs y jouent un rôle et ce sont eux qui sont au cœur des recherches du Pr Giulio Muccioli, du Louvain Drug Research Institute de l’UCL, notamment dans le cas de la sclérose en plaques.

Licencié en pharmacie et docteur en sciences pharmaceutiques, Giulio Muccioli a orienté ses recherches vers les lipides bioactifs, dont le rôle dans l’inflammation a été identifié. « Les lipides bioactifs contrôlent un grand nombre de mécanismes physiologiques normaux, comme la faim et la satiété, les émotions, et autres processus contrôlant l’activité des cellules. Mais ils sont également impliqués dans des processus qui peuvent devenir pathologiques dont l’inflammation. Ma recherche consiste donc à comprendre les rôles des lipides bioactifs dans ce processus et à trouver de nouvelle pistes thérapeutiques en agissant sur ces lipides bioactifs, notamment en modifiant leurs taux ».

Sclérose en plaques, cancer, obésité…

Bon nombre de pathologies s’accompagnent d’un processus inflammatoire. L’équipe du Pr Muccioli étudie ainsi le rôle des lipides bioactifs dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) (maladie de Crohn, colite ulcéreuse) ou encore dans l’obésité, notamment en collaborant avec l’équipe du Pr Cani.

Giulio Muccioli s’intéresse aussi tout particulièrement à la sclérose en plaques. « Le rôle de l’inflammation y est particulièrement important, raison pour laquelle cette pathologie m’a intéressé. Je souhaite donc comprendre le rôle des lipides bioactifs, identifier ceux qui sont impliqués dans cette maladie. Ainsi, l’une de nos stratégies est de comparer, dans des modèles de la maladie, les taux de lipides bioactifs entre animaux sains et animaux malades. Mon hypothèse est que des différences au niveau des lipides bioactifs pourraient suggérer un rôle de ceux-ci : est-ce une cause ? une conséquence ? Cela reste à démontrer ! Par la suite, il faut donc chercher à déterminer expérimentalement si une modification de ces taux a un effet sur la maladie… »

obésité

Une grande famille de lipides bioactifs

Mais que sont ces lipides dits « bioactifs » ? « Il s’agit de lipides endogènes dont les taux au sein des tissus peuvent varier, et qui induisent des effets fonctionnels en se liant à des récepteurs. On sait déjà depuis longtemps que certains d’entre eux sont impliqués dans l’inflammation, soit en l’accentuant, soit ayant des effets anti-inflammatoires ou même pro-résolutifs. Par exemple, lorsque vous vous cognez, il va y avoir production locale de prostaglandines, une famille de lipides bioactifs, qui souvent ont un effet pro-inflammatoire. Pour limiter leur action, ont été mis au point les médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens, comme l’ibuprofène, par exemple qui agissent en diminuant la production de prostaglandines», explique le Pr Muccioli.

Il cherche à identifier et étudier d’autres lipides bioactifs également impliqués dans les processus inflammatoires. « Il existe une multitude de lipides bioactifs. Certains sont bien connus, comme par exemple les prostaglandines dont je parlais, ou les résolvines, qui ont pour leur part un effet pro-résolutif, et qui sont également secrétées par l’organisme. Mais il en reste encore bien d’autres à découvrir et à comprendre ! Par exemple, nous avons montré, chez les souris, que le 2-arachidonoylglycérol, un autre lipide bioactif endogène, présente un effet anti-inflammatoire sur l’intestin, dans des situations similaires à celles que l’on trouve chez les patients atteints de MICI. »

Sclérose en plaques

L’étude de ces lipides bioactifs semble bien prometteuse pour mieux lutter contre l’inflammation et réduire les symptômes de bon nombre de maladies. Le rôle essentiel de l’inflammation dans la sclérose en plaques explique l’intérêt pour cette piste thérapeutique. D’ailleurs, cette année la Fondation Charcot n’a pas hésité à soutenir ce projet de recherche du Pr Muccioli par une bourse… Elle pourrait aider à passer à une recherche plus directement liée à l’être humain, notamment en travaillant sur des échantillons sanguins et des échantillons de liquide cérébro-spinal

sclérose en plaquesSymptômes de la sclérose en plaques
 

« Actuellement, nous travaillons tout particulièrement sur le palmitoyléthanolamide (PEA), un anti-inflammatoire naturel, que notre corps produit. Il est également synthétisé pour lutter contre les neuropathies, car il présente aussi une action analgésique. Il pourrait présenter une action anti-inflammatoire également en cas de sclérose en plaques, mais nous devons encore confirmer cette hypothèse. Pour ce faire nous avons, collaboré avec le Dr Orefice (Univeristà Federico II, Naples) sur une étude de plus d’un an au cours de laquelle le PEA (ou un placebo) a été administré à des patients traités avec de l’interféron bêta-1a. Bien que nous n’ayons pas pu mettre en évidence un effet sur l’évolution de la maladie, nous avons trouvé qu’il diminuait bien les marqueurs de l’inflammation ainsi que certains effets secondaires dus à l’administration de l’interféron bêta-1a » souligne le Pr Muccioli.

Une autre piste étudiée par le Pr Muccioli est de donner un traitement qui va bloquer la dégradation du PEA ; cela favoriserait ainsi cette action anti-inflammatoire endogène et ainsi permettre d’augmenter la quantité de PEA dans le système nerveux central afin de lutter contre l’inflammation qui favorise la destruction de la myéline.

Inflammation PEA Muccioli
Le PEA (palmitoyléthanolamide) est un lipide bioactif à propriétés anti-inflammatoires. Les taux de PEA dans les tissus sont contrôlés par des enzymes qui hydrolysent le PEA en acide palmitique (P) et éthanolamine (EA) (partie gauche de la figure). Bloquer l’action de ces enzymes au moyen d’inhibiteurs permet d’augmenter les taux tissulaires de PEA et de favoriser son action anti-inflammatoire (partie droite de la figure).
 
 
 
 
 
 
Dans certains travaux de recherche du Pr Muccioli les taux de lipides au sein du système nerveux central (SNC) d'animaux sains (contrôles) sont comparés avec ceux retrouvés chez des animaux mimant la sclérose en plaques (souris EAE, pour encéphalomyélite auto-immune expérimentale). Les lipides sont analysés au sein du groupe du Pr Muccioli par HPLC-MS. La comparaison des taux de lipides permet d’identifier ceux dont les taux sont altérés par la pathologie. Pour déterminer si ceux-ci sont potentiellement intéressants, il faut ensuite chercher à moduler leur taux (en inhibant des enzymes) ou à interagir avec leur récepteurs dans les souris EAE pour voir s’il est possible de modifier l’évolution de la pathologie.  
 
 
 

Comme on peut le constater, l’espoir guide ces recherches et la compréhension du rôle des lipides bioactifs dans l’inflammation pourrait servir à élaborer de nouveaux traitements. A terme, d’autres pathologies neurologiques pourraient également en bénéficier, comme les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson…

Carine Maillard

Coup d'oeil sur la bio de Giulio Muccioli

Giulio Muccioli

1978 : Naissance
2001 : Licence en pharmacie, UCL
2003 : Master en Sciences pharmaceutiques, UCL
2005 : Doctorat en Sciences pharmaceutiques, UCL
2005 : Prix Servier pour la recherche en chimie médicinale.
2005-2007 : Chercheur post-doc au département de pharmacologie de l’Université de Washington (USA)
2007-2008 : Chercheur post-doc du FNRS
Depuis 2008 : Responsable d’un groupe de recherches au sein du Louvain Drug Research Institute (UCL)
                       Professeur à la faculté de Pharmacie et des sciences biomédicales de l’UCL.
2016 : Bourse de la Fondation Charcot.
Depuis 2016 : Président de l’école de Pharmacie
Depuis 2016 : Vice-président du Louvain Drug Research Institute (UCL)

Publié le 20 septembre 2016