Des momies pleines de surprises !

En 2015, le Service d’imagerie médicale des Cliniques universitaires Saint-Luc a fait passer au scanner 25 momies appartenant au Musée du Cinquantenaire, en collaboration avec une équipe de recherche de l’UCL. L’occasion de découvrir quelques-uns des secrets de ces témoins du passé. 

Pendant longtemps, le seul moyen de voir ce qu’il y avait à l’intérieur d’une momie était de la « déballer » et de l’autopsier. Problème : une fois ces manœuvres effectuées, impossible de revenir en arrière ! La momie, ou plutôt ce qu’il en restait, était perdue. « Cette époque est heureusement révolue ! », se réjouit Caroline Tilleux, archéologue spécialisée en égyptologie et chercheuse à l’UCL au sein du Groupe de recherche sur l’Egypte ancienne. « Aujourd’hui, l’étude des momies est beaucoup moins invasive. Désormais, pour voir comment a été faite une momie, les égyptologues recourent de plus en plus aux techniques d’imagerie médicale. »

L’approche n’est pas nouvelle. En 1897, déjà, deux ans après la découverte des rayons X, on effectuait les premières radios de momie. En 1977, à Boston (USA), on réalisait les premiers scanners. En Belgique, quelques campagnes de radiologie avaient aussi été réalisées (1), mais jamais sur un échantillon aussi important. En tout, 15 momies animales et 10 momies humaines ont été scannées aux Cliniques universitaires Saint-Luc en septembre et octobre 2015.

Momie : mode d’emploi

Pour comprendre en quoi l’imagerie médicale est intéressante dans l’étude des momies, il faut d’abord rappeler comment on les « fabriquait ». « Les techniques ont pu un peu varier au cours des siècles et selon les régions, mais les étapes de la momification étaient à peu près les mêmes », explique Caroline Tilleux. Les voici, dans l’ordre :

  1. La toilette du défunt : le corps du défunt est lavé et épilé. Une pédicure et une manucure sont réalisées.
  2. L’ablation des organes : le cerveau est retiré par voie nasale ou occipitale (« excérébration »). Les poumons, le foie, la rate et les intestins sont également enlevés. Par contre, le cœur, considéré par les Égyptiens comme le siège de la pensée, est laissé en place. 
  3. La dessiccation : on applique du natron à l’intérieur et sur toute la surface du corps pendant 40 jours pour le dessécher.
  4. Le remodelage : pour assouplir le « cuir » de la peau séchée, celle-ci est traitée avec des enduits, des onguents et des parfums. On place également des rembourrages dans la bouche, sous le thorax et/ou en sous-cutané pour compenser les affaissements. Objectif : redonner au corps une forme la plus humaine possible pour la « vie » dans le monde des morts.
  5. Le « bandelettage » : le corps est couvert d’un linceul et entouré de couches de bandelettes de tissu entre lesquelles on peut glisser bijoux, épingles et autres amulettes.

Une momification réalisée dans les règles de l’art prenait 70 jours en tout. Une fois prête, la momie était déposée dans un cercueil, lui-même entreposé dans une nécropole.

Les avantages du scanner

Dans le cadre de sa thèse de doctorat sur les momies, Caroline Tilleux a contacté Saint-Luc au printemps 2015 pour demander s’il serait envisageable de scanner des momies et des cercueils appartenant au Musée du Cinquantenaire. Le Pr Emmanuel Coche, chef du Département d’imagerie médicale, et le Pr Étienne Danse, chef du Service de radiologie, acceptent avec enthousiasme.

Quelques mois plus tard, les 25 momies passent au scanner et près de 60 000 clichés sont récoltés. L’avantage du CT-scan sur la radio ? En superposant les clichés, les ordinateurs peuvent reconstituer des images en 3 dimensions. Mieux : il suffit d’ajouter ou d’enlever des « couches » d’images pour examiner la momie sous toutes les coutures… sans la toucher !

Ce que les scanners ont révélé

Les images obtenues ont notamment permis de repérer les ponctions et incisions réalisées lors des premières étapes d’embaumement. Des traces de résine (un antiseptique) et de substances non identifiées dans les crânes et autres cavités ont aussi été détectées. « Autant de renseignements qui nous en apprennent beaucoup sur les techniques de momification et, par conséquent, l’époque, la zone géographique et, surtout, la condition sociale à laquelle appartenaient les défunts, », commente Caroline Tilleux. « En effet, certaines techniques “bas de gamme” étaient employées pour les défunts des milieux modestes. A contrario, les personnes issues des classes les plus aisées de la société égyptienne avaient droit aux meilleures techniques et aux matières les plus nobles. »

Quelques surprises

Cette compagne de scanner a également réservé quelques surprises aux chercheurs. Exemples :

  • L’une des momies, que l’on croyait être une femme, est en fait un homme !
  • Certains sarcophages d’animaux (ibis, crocodiles, chats, etc.) contiennent bel et bien les ossements, voire la momie de l’animal en question… ce qui n’est pas toujours le cas !
  • Sous ses dehors paisibles, la momie d’un enfant a révélé un corps brisé en 4 morceaux et reconstitué à l’aide de tiges en bois et en métal. Le corps est-il arrivé trop tard à l’embaumement ? Était-il déjà en train de se décomposer ? L’utilisation de tiges métalliques afin de préserver l’unité corporelle atteste-t-elle d’une restauration ancienne ou moderne ? Mystère !

Candice Leblanc

(1) En 2005, 3 momies ont été scannées à Liège.

Coup d'oeil sur la bio de Caroline Tilleux

2012                       Master en Histoire de l’art et Archéologie à l’UCL
2013                       Attestation de réussite pour le cours de paléoanthropologie à l’ULB
Depuis 2014         Thèse de doctorat en cours en égyptologie à l’Institut orientaliste de Louvain (UCL), au sein du Groupe de recherche sur l’Egypte ancienne
2015                       Participation au projet CROMIOSS
2015                       Collaboratrice scientifique aux Musées royaux d’art et d’histoire pour l’exposition « Sarcophagi »
2016                       Chercheur aux Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles

Publié le 13 mars 2016