Des neurones de réserve dans l’hypothalamus!

L’hypothalamus est une structure du cerveau qui fait le lien entre notre système nerveux et notre système hormonal. L’équipe du Pr Frédéric Clotman, a retracé le développement des neurones qui le composent et a découvert qu’il y existait une réserve de cellules disponibles pour produire des neurones en fonction des besoins de l’hypothalamus tout au long de la vie. Une découverte qui pourrait aider, à terme, dans les traitements de l’anorexie/boulimie, la dépression ou encore la schizophrénie, des maladies associées à des lésions de l’hypothalamus.

Entre neurones et hormones

Le système nerveux et le système hormonal (ou endocrinien) sont comme deux petites usines de notre corps, qui nous permettent d’interagir avec notre environnement et de maintenir nos fonctions internes. Entre ces deux usines, il y a l’hypothalamus, une petite région située à la base du cerveau (juste au-dessus du fond de la bouche). C’est cette structure qui permet la communication d’informations d’un système à l’autre. L’hypothalamus reçoit une grande quantité d'information provenant de l'ensemble du système nerveux et de la circulation sanguine, puis agit de deux manières différentes. Dans l’hypophyse postérieure, des projections de neurones de l’hypothalamus qui produisent eux-mêmes des hormones (l'ocytocine par exemple, importante pour l'accouchement et l'allaitement) libèrent celles-ci dans la circulation sanguine. Dans l’hypophyse antérieure, d'autres neurones fabriquent d'autres hormones (comme l'hormone de croissance) dont la libération est régulée par l’hypothalamus. C’est donc en contrôlant l’activité de l’hypophyse que l’hypothalamus fait le lien entre le système nerveux et le système hormonal/endocrinien. L’hypothalamus contrôle ainsi les hormones qui régulent par exemple l’appétit, la croissance, la peur, le cycle reproducteur, l’allaitement, etc.

Des populations de neurones complexes

Comme l’hypothalamus fait partie du système nerveux, il est composé d’une multitude de neurones, regroupés par populations neuronales. Ces dernières ont une organisation extrêmement complexe et difficile à étudier avec des outils morphologiques traditionnels. A propos de l’hypothalamus, la communauté scientifique sait déjà comment son activité est régulée, à quoi il sert et quelles sont les hormones dont il contrôle la libération dans la circulation sanguine. Par contre, jusqu’à il y a peu, personne ne savait quels types de neurones se trouvaient dans l’hypothalamus. En utilisant des approches innovantes de biologie moléculaire et d’analyse de données, des collaborateurs à l’Université de Vienne ont identifié les caractéristiques moléculaires de nombreuses populations de l’hypothalamus. Ils ont ainsi mis en lumière la façon dont ces populations se développent. Le Pr Frédéric Clotman, chercheur à l’Institut des Neurosciences à l’UCLouvain, et son équipe ont contribué à cette recherche qui a donné lieu à un article[1]  publié début juin dans la revue scientifique Nature.

Le développement précoce du système nerveux

Il y a peu, il n’y avait donc pas de schéma de développement des populations neuronales de l’hypothalamus. L’Institut de Neurosciences de l’UCLouvain contribue à l'étude du développement précoce d'une autre région du système nerveux, la moelle épinière. Dans l’espèce humaine, le développement de la moelle épinière commence pendant le deuxième mois de gestation, entre la 4ème et 8ème semaine de grossesse. Pour approfondir cette question, Frédéric Clotman et son laboratoire se sont intéressés à deux mécanismes du développement précoce :

  • La différenciation neuronale : chaque neurone du système nerveux acquiert des caractéristiques qui lui sont propres. Pour devenir indépendants, ils se différencient des autres, tout comme les cellules d'autres organes qui se différencient et se spécialisent au cours du développement.

  • La migration neuronale : chaque neurone de notre système nerveux est produit à un endroit différent de celui où il se trouvera à l’âge adulte. Les neurones doivent donc se déplacer au cours du développement pour arriver à la bonne place, au bon moment, et établir les connexions avec les autres cellules afin de former des circuits fonctionnels et efficaces.

Des mécanismes qui se réactivent

En plus du développement précoce, l’équipe de l’UCLouvain a apporté son expertise à propos de la réactivation des mécanismes de différenciation et de migration à la suite de lésions du système nerveux. Depuis une vingtaine d’années, on sait qu’après une lésion (accident de voiture, AVC...), des mécanismes qui sont normalement actifs au cours du développement mais silencieux à l’âge adulte, sont réactivés, que ce soit dans le cortex ou dans la moelle épinière. Même à l’âge adulte donc, des neurones recommencent à se différencier et à migrer vers la partie du système nerveux lésé, formant, autant qu’ils le peuvent, de nouvelles connexions pour réparer les circuits abîmés.

Une identité et fonction propres à chaque population

Ces connaissances et compétences de l’UCLouvain se sont dernièrement ajoutées à une recherche majeure de l’Université de Vienne : “En 2016, avec une équipe de l’Université de Vienne, nous sommes parvenus à identifier 62 populations de neurones différentes dans l’hypothalamus”, raconte le chercheur, “chacune de ces populations avait des caractéristiques ou identités propres et donc des fonctions différentes dans l’hypothalamus.” Par exemple, une de ces populations de neurones a pour mission de contrôler la libération par des cellules de l’hypophyse de deux hormones, la FSH (Follicle Stimulating Hormone) et la LH (hormone lutéinisante), qui régulent le cycle menstruel féminin.

La précieuse technique du séquençage d’ARN

Pour identifier ces 62 populations neuronales, les deux équipes de l’Université de Vienne et de l’UCLouvain ont eu recours à une technique appelée le séquençage d’ARN de cellules isolées (Single cell RNA sequencing). Pour rappel, l’ADN (acide désoxyribonucléique) est identique dans chacune de nos cellules. L’ARN (acide ribonucléique) est quant à lui une copie de tous les gènes actifs dans une cellule en particulier. Le séquençage de l’ARN permet de savoir, cellule par cellule, quel est le répertoire de molécules d’ARN (gènes) actifs dans cette cellule (en particulier). Les chercheurs ont réalisé ce travail minutieux sur 60.000 cellules, les regroupant ainsi en 62 groupes différents présentant une activité de gènes identique.

Retracer l’histoire des populations de neurones de l’hypothalamus

Cette technique ayant fait ses preuves il y a quelques années et l’Institut de Neurosciences ayant engrangées des connaissances approfondies concernant la différenciation neuronale, les deux équipes ont décidé de l’appliquer plus précisément aux différents stades du développement de l’hypothalamus. “Nous avons collecté l’hypothalamus d’embryons de souris et les avons analysés à différents stades de leur développement”, explique le biologiste, “Pour une cinquantaine de populations de neurones, nous avons pu retracer leur histoire, c’est-à-dire leur parcours au cours du développement.” Par quelles étapes de développement ces populations de neurones passent-elles avant d’arriver à leur caractéristique finale qui leur permet d’exercer une fonction dans l’hypothalamus ? Grâce à des algorithmes informatiques complexes, les scientifiques ont pu retracer ces étapes.

D’autres secrets de l’hypothalamus percés

Le principal résultat de cette recherche est donc l’histoire précise de cette cinquantaine de populations neuronales. Les chercheurs ont aussi réalisé d’autres découvertes étonnantes : “Nous avons remarqué qu’après la naissance, dans l’hypothalamus, il restait une réserve de population neuronale non encore différenciée. Ces neurones n’ont pas encore acquis de caractéristiques matures et constituent une réserve pour produire tout au long de la vie de nouvelles cellules dans l’hypothalamus, en fonction des besoins. C’est une grande découverte car nous savions que cette réserve existait dans d’autres parties du système nerveux, mais pas dans l’hypothalamus !”, explique Frédéric Clotman. Autre découverte : le rôle du régulateur génétique Onecut-3. Cette protéine qui sert à contrôler des programmes génétiques et donc à activer certains gènes spécifiquement dans certaines cellules, s’est avérée importante dans l’hypothalamus. En effet, plusieurs populations de neurones de l'hypothalamus utilisent comme messager chimique un neurotransmetteur appelé la dopamine, et ces recherches ont permis de montrer que la différenciation de ces populations neuronales est stimulée par la protéine Onecut-3, qui devient donc un acteur-clé du développement de l'hypothalamus.

Améliorer la prise en charge de certaines maladies

Toutes ces découvertes apportent certes de nouvelles connaissances en recherche fondamentale, mais pas seulement. Grâce à ces conclusions, Frédéric Clotman voudrait “relier les perturbations de développement des différentes populations de neurones dans l’hypothalamus avec des maladies qui existent chez l’Homme et dont on sait qu’elles sont corrélées à des anomalies dans l’hypothalamus. Des lésions de l’hypothalamus peuvent par exemple entraîner des maladies métaboliques (anorexie/boulimie) ou des perturbations de la température corporelle. L’analyse de l’hypothalamus a posteriori chez des personnes atteintes de dépression ou de schizophrénie montre aussi des perturbations dans cette partie du système nerveux.” Avec ces découvertes récentes, Frédéric Clotman et son équipe aimeraient donc comprendre comment ces perturbations se produisent afin de mieux diagnostiquer, puis traiter ces maladies. Des avancées qui seraient majeures pour la prise en charge de ces pathologies !

Collaboration et recherche fondamentale

Pour Frédéric Clotman, après plusieurs années de carrière comme chercheur, deux choses sont nécessaires et importantes dans un environnement de recherche : la recherche fondamentale et la collaboration. “Il ne faut jamais oublier l’importance de la recherche fondamentale. Toutes les connaissances rassemblées grâce à celle-ci sont nécessaires pour passer ensuite à des recherches plus appliquées. Produire cette connaissance est essentiel, tout comme l’expérience du COVID-19 nous le montre.” L’autre point d’attention du chercheur est la collaboration : “Ce projet de recherche a été possible parce que des chercheurs de l’Université de Vienne ont fait une série d’observations et sont venus vers nous sachant que nous pouvions compléter leurs connaissances avec nos compétences. Depuis 7 ans, nous menons avec eux une collaboration ouverte, transparente et très constructive. Il faut préserver et encourager les collaborations entre universités !

Lauranne Garitte

Coup d’œil sur la bio de Frédéric Clotman

Frédéric Clotman est Maître de recherche FNRS et professeur à l'UCLouvain, où il dirige le Laboratoire de Neuro-Différenciation de l'Institute of Neuroscience (IoNS). Il est titulaire d'un Master en Biologie et d'un Doctorat en Sciences obtenus respectivement en 1991 et en 1996 à l'UCLouvain. Ses recherches portent sur les étapes précoces du développement du système nerveux, et sur la réactivation de mécanismes développementaux après lésion du système nerveux chez l'adulte.

[1]Romanov, R.A., Tretiakov, E.O., Kastriti, M.E. et al. Molecular design of hypothalamus development. Nature 582, 246–252 (2020). https://doi.org/10.1038/s41586-020-2266-0

Publié le 09 juillet 2020