Des visages, des figures

Nombreux sont les chercheurs qui étudient le fonctionnement de notre cerveau. À l’UCL, Bruno Rossion (IPSY/IONS) et son équipe s’intéressent particulièrement à la reconnaissance des visages. Une compétence très humaine et… très complexe !

Notre cerveau est sans doute l’organe le plus mystérieux de notre corps. De nombreuses questions demeurent concernant son fonctionnement et son développement. Or, comprendre le cerveau permettrait de mieux prendre en charge les différents dysfonctionnements, maladies et autres accidents qui peuvent l’affecter. À cet égard, étudier la reconnaissance des visages par le cerveau est une intéressante voie d’exploration.

Les visages : une spécificité humaine

Peu d’espèces animales sont capables de se reconnaître individuellement, a fortiori visuellement (1). « Chez les pingouins, par exemple, tous les individus se ressemblent ! », explique Bruno Rossion, chercheur en psychologie et responsable du Laboratoire de catégorisation des visages de l’UCL. « Ils ne peuvent pas distinguer leurs parents dans une foule de pingouins. Chez l’être humain, par contre, la reconnaissance des visages est cruciale ! Quelqu’un qui ne reconnaît plus ses pairs (à cause d’une maladie d’Alzheimer, par exemple) est socialement perdu… La reconnaissance des visages est très sophistiquée. Nous pouvons extraire une foule d’informations d’un visage : le sexe de l’individu, son âge, son humeur, son état d’esprit, ses intentions, etc. C’est d’autant plus remarquable qu’il y a une grande diversité dans les visages humains et qu’ils changent avec le temps ! »

bébé reconnaissance faciale

La reconnaissance des visages dans le cerveau

La reconnaissance des visages est une fonction complexe. Sa localisation dans le cerveau a d’ailleurs plusieurs particularités :

  • La reconnaissance des visages occupe beaucoup de place dans le cerveau. « Plusieurs régions cérébrales sont impliquées », explique Bruno Rossion. « Certaines sont même exclusivement dédiées aux visages et ne s’intéressent à aucune autre forme visuelle. On ignore leur origine ni si elles sont là dès la naissance ou si elles apparaissent avec le temps. »
  • Ces zones sont quasi toutes situées dans l’hémisphère droit. Avec le langage (2), la reconnaissance des visages est d’ailleurs la fonction la plus latéralisée qui soit.   
  • Nous sommes capables de reconnaître un visage (connu) en un clin d’œil. « Si vous mettez 3 secondes, c’est qu’il y a un problème ! »

Des bébés face à des visages

Aussi essentielle soit-elle à l’expérience humaine, on ne sait pas très bien quand et comment se développe la reconnaissance des visages. « Par exemple, une théorie prétend que cette fonction ne serait pas pleinement opérationnelle chez les bébés ; ils ne feraient pas vraiment la différence entre un visage et une forme visuelle similaire. Elle serait également liée à l’émergence du langage écrit. Vers 5-6 ans, la fonction langagière de l’enfant se développe tellement qu’elle “pousserait” la reconnaissance des visages dans l’hémisphère droit… Or, nous avons démontré que ces deux théories sont fausses ! »

En effet, Bruno Rossion et l’une des post-doctorantes qui composent son équipe, Adélaïde de Heering, ont mené une étude sur une trentaine de bébés, âgés de 4 à 6 mois (3). « D’abord, nous avons placé des capteurs d’électroencéphalogramme (EEG) sur leur crâne », explique le chercheur. « Ensuite, nous les avons mis devant un écran sur lequel défilait une succession d’images différentes, au rythme de 6 images par seconde. Un visage humain apparaissait toutes les 5 images, c’est-à-dire toutes les 1,2 seconde. Et là, surprise ! L’EEG enregistrait un pic d’activité électrique dans l’hémisphère droit à chaque fois que le bébé voyait un visage. » Et il ne s’agissait pas de visage connu de l’enfant : les chercheurs avaient choisi des faciès fort différents les uns des autres : jeunes, vieux, hommes, femmes, de face, de profil, très ou peu éclairés, etc. 

bébé reconnaissance faciale bis

Une nouvelle technique d’étude

Cette étude a donc démontré 2 choses :

  1. Dès l’âge de 4 mois, les bébés traitent les visages et les différencient des objets, aussi vite qu’un adulte.
  2. La fonction de reconnaissance des visages est présente dans l’hémisphère droit bien avant la maitrise du langage et de la lecture.

La méthode utilisée a aussi fait la preuve de son efficacité. « Jusqu’ici, l’étude de la reconnaissance des visages utilisait des outils techniques différents : EEG, mesures optiques, IRM fonctionnelle, etc. Selon l’âge des sujets, on en changeait. Quand il y avait des différences de résultats entre des études similaires, nous ne savions pas très bien si c’était dû à l’âge des sujets ou à la technique employée. Or, celle que nous avons mise au point (EEG + diffusion d’images sur écran) est facile à mettre en œuvre, peu coûteuse et peut être utilisée sur des sujets de tout âge. De quoi ouvrir de nouvelles perspectives dans l’étude de la reconnaissance des visages ! » Et, à terme, comprendre un peu mieux comment fonctionne et se développe notre cerveau…   

Candice Leblanc

 

 

 

(1) Il existe une espèce d’abeilles dont les reines sont capables de se reconnaître individuellement et visuellement… grâce aux taches sur leur visage !

(2) Les zones cérébrales dédiées au langage sont situées dans l’hémisphère gauche.

(3) Cette étude a fait l’objet d’une publication dans la revue scientifique eLife. 

L’étude sur les bébés a été principalement financée par le FNRS et le Conseil européen de la Recherche (European Research Council)

Coup d'oeil sur la bio de Bruno Rossion

Maitre de recherche FNRS à l’Institut de Neurosciences de l’UCL et professeur à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Bruno Rossion a décroché un financement « starting grant » du Conseil européen de la Recherche en 2011 pour son projet de reconnaissance du visage chez les bébés. Il est le chercheur principal du Laboratoire de catégorisation des visages de l’UCL.
 

Coup d'oeil sur la bio de Adélaïde de Heering

2003               Master en psychologie (UCL)
2004               DEA en psychologie (UCL)
2009               Thèse de doctorat en (UCL)
2009-2011    Postdoctorat à la MacMaster University d’Ontario (Canada)
2011-2015    Visites et collaborations scientifiques diverses (UCL, Université Pierre Mendes de Grenoble, Université de Bourgogne et Université de Montréal)
Depuis 2015 Postdoctorat à l’Université Libre de Bruxelles

Publié le 20 octobre 2016