Le vieillissement, jusqu’il y a peu considéré comme normal et naturel, fait l’objet désormais de recherches. Pourquoi vieillit-on ? Pourquoi nos cellules vieillissent-elles ? Et la question corollaire : comment endiguer ce processus ? Une partie de réponse vient d’être apportée par Anabelle Decottignies avec l’aide notamment du Pr Marc Francaux : par le sport !
Le vieillissement de l’organisme en général, et celui des cellules en particulier, ne cesse de passionner les chercheurs. Car trouver les modifications qui provoquent l’usure de l’organisme ouvrirait la voie à la découverte de moyens pour freiner ce processus dégénératif. Pourtant, les pistes de réponse, en plus d’être particulièrement complexes, sont nombreuses : plusieurs facteurs sont en effet impliqués. Parmi ceux-ci, il semblerait que la longueur des télomères déterminerait la durée de vie de nos cellules. « Les télomères sont des morceaux d’ADN, non codant, que l’on retrouve à l’extrémité de chaque bras des chromosomes, et qui s’usent avec l’âge puisqu’à chaque division d’une cellule-mère, les cellules-filles possèdent des télomères plus courts », explique Anabelle Decottignies, chercheuse à l’Institut de Duve. Elle s’intéresse depuis quelques années à ces télomères et à leur rôle. « Et quand l’usure de ceux-ci est très importante, la cellule entre alors en sénescence irrémédiable, qui est à l’origine du vieillissement des tissus ou de l’organisme. Cette usure constitue un mécanisme de protection de notre organisme contre le cancer : les cellules trop « abîmées » sont alors appelées à ne plus se diviser. Mais il y a une exception à cette règle parmi les cellules saines (en effet, les cellules cancéreuses ont réussi à détourner cette usure et à poursuivre leurs multiplications) : les cellules germinales. « La lignée germinale est capable de se diviser indéfiniment, c’est ce qui assure la pérennité de notre espèce. Cette protection apportée à l’embryon par la lignée germinale lui permet de poursuivre ses divisions cellulaires sans vieillir prématurément. La protection sera cependant perdue en même temps que la différenciation cellulaire. »
Engouement pour la télomérase
Le secret d’éternité de notre lignée germinale ? Un système pour rallonger les télomères lors des divisions cellulaires : la télomérase. On peut donc dire que cette enzyme est « anti-vieillissement », puisqu’elle restaure les télomères. « Depuis que l’on connaît la télomérase, on assiste à un certain engouement pour essayer, dans nos cellules saines, de réveiller le gène qui la code par des traitements ! Mais chez la souris, cette stimulation de la télomérase a eu pour conséquence l’émergence de cancers… Notez pourtant que des sites internet vendent malgré tout des produits destinés à stimuler la télomérase, mais vu les doses tellement faibles que ces produits comportent, et malgré un prix très élevé – autour de 1000 euros – leur effet est nul. » Et heureusement, vu le peu de recul et de connaissances des effets à long terme, celui que l’on a vu étant l’apparition de cancers dans des animaux de laboratoire…
Alors est-il possible de retarder autrement l’usure des télomères et le vieillissement cellulaire tout en ne dotant pas nos cellules de vie éternelle qui les mène dangeureusement vers le cancer ? « Nos cellules se divisent, ça les fait vieillir car leurs télomères se raccourcissent, et on ne peut rien y faire. Mais il existe d’autres formes d’agressions qui vont user nos télomères et nos cellules de manière précoce : le stress oxydatif, la pollution, etc. Les télomères sont très sensibles à ces agressions mais disposent néanmoins d’une protection, que l’on pourrait comparer à un vernis composé de molécules qui forment une sorte de bouclier autour des télomères : on les appelle TERRA. Leur production est favorisée par un facteur de transcription appelé NRF-1. Si ce vernis est « écaillé », ce facteur de transcription veillera à ce qu’il soit renouvelé, par la stimulation des TERRA. Nous y parvenons en laboratoire où ce lien a pu être observé », poursuit Anabelle Decottignies.
Une protection des télomères
C’est lors d’une rencontre à un congrès avec le Pr Marc Francaux, du laboratoire de physiologie de l’exercice, que les deux chercheurs ont décidé de mettre en commun leur spécialité. « Nous avons ainsi pu démontrer que l’activité physique, connue pour stimuler le facteur NRF-1, augmente la quantité de TERRA dans le muscle squelettique. Le Pr Francaux m’a proposé de réaliser un test sur des sportifs : nous avons enrolé des étudiants chez qui nous avons réalisé une biopsie musculaire avant l’exercice. Un premier groupe était soumis à un exercice de forte intensité, un autre à faible intensité. Après 45 minutes d’activité physique, nous avons réalisé une nouvelle biopsie musculaire et constaté que plus l’exercice était intense, plus les TERRA étaient activés durant la période de récupération. Ces résultats étaient encore plus évidents que les tests en laboratoire ! », se réjouit la chercheuse. Elle précise que cette recherche pour lier exercice physique et longueur des télomères a déjà été menée, mais au travers de prises de sang. « Les télomères des cellules retrouvées dans le sang semblent refléter l’état général des télomères de l’ensemble de l’organisme. Ces études corrélatives avaient déjà démontré que les sportifs réguliers, qui pratiquent en moyenne 3 heures de sport par semaine, présentent des télomères plus longs que les sédentaires mais elles n’avaient pas permis d’identifier les mécanismes moléculaires qui pouvaient expliquer le lien entre exercice physique et longueur des télomères, ce que nous avons pu faire dans notre expérience. »
L’âge cellulaire
Concrètement, le sport favorise donc le processus de protection de nos télomères, qui sont dès lors moins exposés à l’usure. Le vieillissement est alors ralenti. Cependant, des études plus poussées seront nécessaires : « Nous ne pouvons pas encore prédire le temps que dure cette protection apportée par l’activité physique. Ni l’intensité à recommander, ou la fréquence du sport. Il ne faut donc pas se jeter sur ses baskets ou son vélo pour enchaîner les heures d’entraînement pour éviter de vieillir : les tests réalisés sur les sportifs de très haut niveau montrent d’ailleurs qu’ils ont des télomères plus courts. En effet, le sport à trop haute intensité augmente le stress oxydatif qui vient probablement « attaquer » les télomères. Cependant, une activité régulière, en endurance, semble présenter un bénéfice sur le retardement du vieillissement », conclut Anabelle Decottignies.
Cette première mondiale tient non pas dans le lien, déjà proposé, entre l’activité physique et le vieillissement cellulaire, mais bien dans la méthode qui a été utilisée pour en comprendre les raisons. La biopsie musculaire n’avait en effet jamais été réalisée pour établir et mesurer les effets sur les télomères.
Coup d'oeil sur la bio d'Anabelle Decottignies
1987-1992
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UCL, Faculté d'Agronomie, Bio-ingénieur. Prix du meilleur cursus sur les cinq années de bio-ingénieur
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1992-1998
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UCL, Faculté d'Agronomie, Thèse de doctorat sous la direction du Pr André Goffeau (Study of yeast multidrug ABC transporters)
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1999-2001
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Imperial Cancer Research Fund, London, UK. Post-doctorat sous la direction de Sir Paul Nurse (Prix Nobel de Médecine en 2001).
« Fission yeast cell cycle »
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2001-2004
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Chargé de Recherches FNRS à l'UCL - LEW
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2004-2014
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Chercheur Qualifié FNRS. UCL, Faculté de Pharmacie et Sciences Biomédicales, Institut de Duve, LEW.
Genetic & Epigenetic Alterations of Genomes, Telomere research group leader. Professeur à temps partiel à l'UCL
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Depuis 2014
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Maître de Recherches au FNRS
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