Dans l’Amazonie péruvienne, l’ennemi n°1 s’appelle Plasmodium vivax. Plus perfide que son cousin Plasmodium falciparum, il reste silencieux pendant des mois ou des années mais n’en n’est pas moins responsable de fortes fièvres récurrentes.
Lorsque l’on parle du paludisme, on a tendance à s’intéresser à celui causé par Plasmodium falciparum et qui sévit essentiellement en Afrique. À raison ! Il s’agit en effet du parasite le plus pathogène et le plus meurtrier. « Malheureusement, en se concentrant sur ce parasite, on a laissé de côté un autre parasite responsable du paludisme, Plasmodium vivax. Et s’il est moins virulent, il reste responsable de fortes fièvres récurrentes qui peuvent être mortelles. Cette forme de paludisme demeure un vrai problème de santé publique en Amérique du Sud », insiste Angel Rosas-Aguirre de l’Université Péruvienne Cayetano Heredia (UPCH). Conscients de cette problématique, ce chercheur et Niko Speybroeck, de l’Institut de Recherche Santé et Société (IRSS, UCL) ont mis sur pied deux vastes projets de recherches internationaux ayant pour objectif l’élimination de cette forme de paludisme au Pérou avec un focus particulier sur l’Amazonie Péruvienne « C’est là que le paludisme fait le plus de victimes, les gens qui y vivent sont très pauvres et ont peu accès aux services de santé. »
Une identification difficile
Particularité de ce parasite transmis lors d’une piqûre par un anophèle, il est très difficile à détecter dans l’organisme. D’une part, parce qu’il est généralement présent en faible concentration. Ce qui le rend difficilement perceptible par les méthodes d’analyse sanguine. D’autre part, parce qu’il peut rester silencieux très longtemps : il entre dans l’organisme, se loge dans le foie et y dort pendant des mois, voire des années avant de se réveiller et causer de fortes fièvres.
Améliorer les outils de diagnostic et de surveillance
Le premier projet des deux chercheurs a donc pour objectif d’améliorer les méthodes d’identification du parasite. « Nous avons développé ce projet en partenariat avec UPCH (Pérou), l’Université de Sao Paulo (Brésil), l’Istituto Superiore di Sanita (Italie) et l’Université de Californie à San Diego (USA). Notre travail sera d’identifier tous les antigènes de Plasmodium vivax et de les tester afin de terminer le ou lesquels sont les plus pertinents pour déceler la présence d'anticorps dirigés contre eux. Il faut que nous trouvions des antigènes très sensibles et hautement spécifiques de Plasmodium vivax, et ce même lorsqu’il est en dormance et présent en très petite quantité. Une fois ces outils sérologiques mis au point, nous pourrons enfin identifier les individus ayant une forte probabilité d’être porteurs de la forme dormante du parasite et nous pourrons les traiter afin d’éviter les rechutes mais aussi la transmission à d’autres individus », détaillent les chercheurs.
Analyser le système en place
Parallèlement, un second projet s’intéresse à la politique déjà mise en place : est-elle efficace ? Est-il possible de l’améliorer ? Faut-il totalement changer la manière de faire ? « Actuellement, deux systèmes de surveillance sont testés au Pérou :
- la surveillance active qui consiste à échantillonner et traiter tout le monde
- la surveillance passive qui consiste à échantillonner et traiter uniquement les personnes qui viennent au centre médical.
Le premier est plus efficace mais il est plus cher, à l’inverse du second. Nous allons étudier le rapport coût/efficacité des deux : si la première solution semble intuitivement être la meilleure, il est peut être plus intéressant d’un point de vue économique et sanitaire de se concentrer uniquement sur les personnes qui présentent des symptômes et qui sont ensuite soignées. Seule cette analyse nous le dira. »
Outre l’attention portée à l’effort de diagnostic, c’est toute la politique de santé qui devrait être améliorée à l’issue de ce projet ! « Les capacités locales en termes de ressources humaines vont également être renforcées. Cela passe par une meilleure formation des étudiants et des médecins afin d’améliorer la recherche scientifique et opérationnelle en matière de paludisme. Mais aussi du personnel de santé : nous allons mettre sur pied des ateliers pour l’aider à mieux identifier Plasmodium vivax au microscope ainsi que des contrôles qualité du diagnostic microscopique ». Ce second projet est le fruit d’une collaboration entre l’UCL, l’Université de Liège, l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers, l’UPCH et le Ministère Péruvien de la Santé. « L’investissement de ce Ministère est capital pour que nos travaux aboutissent à des résultats efficaces sur le terrain », conclut Niko Speybroeck.
Elise Dubuisson
Coup d'oeil sur la bio d’Angel Rosas-Aguirre
2000 Doctorat en Médecine (UPCH)
2006 Master en Santé Publique (UPCH)
2006-2011 Projet sur le paludisme en Amerique Latine (Fonds Global)
2015 Doctorat en Santé Publique (UCL)
2015-2016 Postoctorat à l’UPCH
Depuis 2016 Postdoctorat à l’UCL
Coup d'oeil sur la bio de Niko Speybroeck
1991 Master en bioingénieur (UGand)
1992-1994 Assistant (UGand)
1994-1998 Projet de développement en Zambie
1999 Chef de projet, Union Africaine au Malawi
2002 Master en biostatistique (UHasselt)
2003 Doctorat en Epidémiologie (UGand)
2004-2006 Coordinateur d’équipe OMS
Depuis 2007 Professeur à l’UCL