Empêcher le lien coronavirus-cellule

Pendant que certains cherchent un vaccin contre le nouveau coronavirus (SARS-CoV-2), d’autres scientifiques tentent de mieux comprendre le mécanisme d’entrée de ce virus. C’est le cas de l’équipe du laboratoire du Pr David Alsteens qui essaie depuis plusieurs mois de répondre à deux questions : comment le SARS-CoV-2 entre-t-il dans nos cellules et comment l’empêcher d’y entrer ? Réponses prometteuses dans cet article...

Le virus qui est sur toutes les lèvres en ce moment, même caché derrière nos masques, reste toujours sans vaccin… Partout dans le monde, la course est lancée entre les chercheurs afin de trouver la panacée pour mettre fin à la pandémie de COVID-19. Pendant ce temps, certains scientifiques contribuent à cette quête en tentant de mieux comprendre comment le virus se comporte. Parmi eux, le laboratoire du Pr David Alsteens, chercheur qualifié FNRS au sein du LIBST à l’UCLouvain, a travaillé sans relâche depuis mars pour comprendre l’interaction entre le coronavirus et nos cellules, à l’échelle moléculaire. Une étude dont les résultats prometteurs viennent d’être publiés dans Nature Communications.

Trouver la clé pour ouvrir la serrure

Pour cette recherche sur le coronavirus, nous partions déjà avec une sérieuse expertise accumulée depuis plusieurs années, à propos des mécanismes moléculaires des infections. Cela nous a fait gagner beaucoup de temps”, note le Pr David Alsteens. En effet, depuis 5 ans, lui et son équipe du NanoBiophysics Lab étudient les interactions entre les virus et les cellules à échelle nanométrique. Comment un virus interagit-il avec une cellule pour déclencher des liaisons spécifiques avec cette cellule ? Comment rend-il celle-ci permissive au virus ? Puis comment, finalement, se déclenche l’infection ? En bref, comment se déroule le tout premier contact entre le virus et la surface cellulaire ? Pour certains virus bien précis comme le réovirus, l’équipe du Pr Alsteens est parvenue à comprendre les mécanismes : “Pour entrer dans la cellule, le réovirus doit introduire une clé dans une serrure de la cellule. Cette clé généralement repliée est dépliée à un moment de l’infection grâce à un sucre appelé acide sialique.” Et qu’en est-il du coronavirus ? “Le même travail de recherche restait à faire pour trouver cette clé, espérer ensuite bloquer l’interaction et empêcher la propagation de l’infection.”

Quelle affinité entre le virus et la cellule ?

Schéma - le coronavirus avec la protéine S1 et l’interaction avec le récepteur hôte ACE2Fin 2019, ce nouveau coronavirus débarque. Début 2020, il est aux portes de l’Europe. En mars 2020, le chercheur qualifié FNRS et les membres de son laboratoire décident de mettre à profit leurs connaissances et compétences au service de la lutte contre coronavirus (lire l’article « Verrouiller la porte d’entrée du coronavirus »). “On a d’abord travaillé sur des protéines isolées récupérées à la surface des virus et des cellules. On a observé comment ces deux molécules interagissaient.” Pour ce faire, l’équipe du laboratoire a utilisé la microscopie à force atomique, un outil de biophysique précieux, qui leur a déjà permis de percer certains secrets de la science. “Le microscope à force atomique (AFM) fonctionne comme un tourne-disque vinyle. Sa pointe très fine est mise en contact avec un échantillon et se balade sur celui-ci. Point par point, nous pouvons dresser une image de la surface de cet échantillon”, explique le chercheur. Dans le cas du SARS-CoV-2, les scientifiques ont approché la protéine du coronavirus (appelée S1) attachée à la pointe AFM, de la protéine de la surface cellulaire (aussi appelé récepteur), l’ACE2. Ils les ont laisser interagir, puis ont tiré sur chacune d’entre elles afin de tester leur résistance. “En biologie moléculaire, on parle plus précisément d’affinité, c’est-à-dire l’attirance que les récepteurs et leurs ligands ont l’un pour l’autre ”, ajoute le Pr Alsteens. Son équipe a ainsi pris les mesures de la force de tous les liens d’ancrage entre le virus et la cellule, a quantifié le nombre de liaisons ainsi que la dynamique de ces liaisons. Objectif : comprendre comment le coronavirus peut s’attacher de manière optimale à la surface cellulaire, afin d’envoyer un signal à la cellule et indiquer qu’il peut entrer.

Une interaction particulièrement forte

Après avoir pris toutes ces mesures, on s’est rendu compte que le RBD (“receptor binding domain”) de la protéine S1 était prédominant dans l’interaction. A lui seul, il était responsable de cette interaction forte et constitue donc l’élément clé permettant au virus de pénétrer dans les cellules et de conduire à l’infection”, explique le Pr Alsteens. “Comme cette interaction entre la protéine S1 et le récepteur ACE2 était importante, nous avons décidé de la caractériser en extrayant leurs propriétés biophysiques grâce à une étude in vitro sur des molécules purifiées.” Le laboratoire a ainsi non seulement découvert le rôle important des récepteurs ACE2, mais aussi d’autres récepteurs comme les acides sialiques et les intégrines.

L’espoir d’un médicament contre le COVID-19

Maintenant que l’équipe en sait plus sur l’interaction entre le virus et la cellule, les espoirs sont grands : “Nous sommes en train de tester les inhibiteurs de cette interaction. Autrement dit, nous essayons de développer des molécules qui atténueraient l’interaction, et diminueraient l’impact de l’infection”, annonce le Pr Alsteens. Il s’agit là d’une alternative tout à fait intéressante aux vaccins, sous forme cette fois de médicament. “Ce médicament pourrait être préventif pour les personnes à risque ou être utilisé en phase aiguë chez les patients déjà atteints, afin d’empêcher la contamination d’autres cellules”, détaille le professeur. Pour espérer voir un jour débarquer ce médicament, l’équipe du NanoBiophysics Lab poursuit son travail en injectant des petits fragments de protéine ACE2 lors de l’attachement du virus sur la surface des cellules. Ces fragments entrent en compétition avec l’interaction désormais connue. Est-ce que ces fragments sont capables d’empêcher le coronavirus d’entrer dans la cellule ? La réponse n’est pas encore connue. Mais ce laboratoire de l’UCLouvain compte bien y répondre, tout en essayant de découvrir les autres récepteurs en jeu dans ces interactions.

Lauranne Garitte

>>Lire aussi :  Verrouiller la porte d'entrée du coronavirus

Coup d’œil sur la bio de David Alsteens

David Alsteens est chercheur qualifié FNRS au Louvain Institute of Biomolecular Science and Technology (LIBST), et responsable du NanoBiophysics Lab de l’UCLouvain. Il est titulaire d’un Master en ingénierie chimique et bio-industrie et d’un doctorat en bio-ingénierie obtenus respectivement en 2007 et 2011 à l’UCLouvain. Actuellement professeur à la Faculté de Bioingénieur de l’UCLouvain, il a aussi passé deux ans à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, en Suisse, entre 2013 et 2015. Ses recherches portent sur l’étude des interactions entre les virus et les cellules. Elles ont principalement été financées par un ERC Starting Grant (Europe) en 2017, un financement Welbio (Région wallonne) en 2019, ainsi que par le FNRS et l’UCLouvain.

 

© Le coronavirus pénètre dans les cellules humaines par la fixation de la protéine de pointe au récepteur ACE2, selvanegra, iStock

 

Publié le 11 septembre 2020