En immersion dans le maraîchage biologique

Comprendre de l’intérieur les réalités du métier de NIMAculteurs. Ces jeunes – et parfois, moins jeunes – « Non-issus-du-monde-agricole », néo-agriculteurs aux profils urbains, en reconversion professionnelle le plus souvent, qui s’associent sur une petite surface pour développer une agriculture locale, biologique et durable, en milieu urbain ou semi-urbain. Saisir les réalités de leur métier, comprendre ce que c’est que produire des légumes aujourd’hui, voire même participer à ce maraîchage moderne… C’est ce qui a guidé Nicolas Loodts dans son mémoire de master en anthropologie, défendu en 2017 à l’école des sciences politiques et sociales de l’UCLouvain. Un travail fruit d’une immersion de huit mois dans une coopérative wallonne.

Le parcours d’une tomate, de A à Z. C’est la forme que prend le mémoire de master en anthropologie de Nicolas Loodts. En suivant le parcours de ce végétal tout au long de la chaîne de production, il raconte son travail, fruit d’une immersion de huit mois dans une coopérative wallonne pratiquant un maraîchage alliant agriculture biologique, agroécologie et circuit court. Sous la direction de Séverine Lagneaux, anthropologue et docteure en sciences politiques et sociales coordonnant la Chaire « anthropologie de l’Europe contemporaine » de l’UCLouvain, le chercheur a pratiqué l’observation participante pour son travail.

« Tous les jours, je me rendais dans la coopérative, allant là où ces NIMAculteurs me disaient de travailler, explique ce chercheur passionné. L’idée, c’était de poser ma présence, sans l’imposer, à tous les échelons des activités de la coopérative. Ma question de recherche était assez large au départ. En voulant questionner les réalités de ce néo-maraichage, j’ai petit à petit décliné mon propos en plusieurs thématiques. »

Une ethnographie de la coopérative en trois thématiques

La première : mettre en évidence ce jeu de composition obligé que les maraîchers doivent appliquer au quotidien. « Les ajustements en cours de saison, parce que l’on produit et compose avec une nature par définition incertaine. Planifier sa production un an en avance, puis effectuer des allers-retours sur ces prévisions : c’est le faîte de la production agricole, que certains ne conscientisent pas au départ. », explique Nicolas Loodts.

Deuxièmement : mettre en évidence comment ces NIMAculteurs affinent leur propre technique. « Avec le temps, les aléas et les joies – l’expérience, en somme – l’œil change. Petit à petit, ces passionnés arrivent à faire leurs des techniques lues dans des ouvrages, observées auprès d’autres cultivateurs… On apprend tous les jours, tout le temps. »

Troisième point observé : trouver l’équilibre, au sein de l’organisation, mais aussi en rapport avec le marché. « Malgré le fait que ces NIMAculteurs se retrouvent au sein d’une production alternative, il est difficile de se détacher totalement de l’influence du marché global de l’alimentation, ne serait-ce que par l’imaginaire des prix. Bien que l’on souhaite proposer des prix « justes », il faut également arriver à faire vivre la structure et à se rémunérer, soi-même, justement. La contradiction entre la volonté d’en vivre, mais aussi de rester accessible au plus grand nombre n’est pas facile à vivre pour tous les coopérateurs. Plusieurs éléments complexes sont à prendre en compte : l’imaginaire du client, le coût de revient de la production… Il faut tenter de trouver un juste équilibre entre ces éléments. Au sein d’un secteur économique très compétitif, c’est un exercice particulièrement ardu. » Nicolas Loodts a ainsi exploré la relation entre l’identité du maraîcher/coopérateur et les enjeux politiques et économiques cachés derrière le prix d’une tomate.

Pour assurer la cohésion du projet entre les coopérateurs dans ce contexte, les réunions sont particulièrement importantes. L’anthropologue s’est ainsi intéressé aux échanges en réunion pour mieux cerner les espaces dédiés à la circulation de la parole « cash », permettant de prévenir les conflits en neutralisant les tensions de chacun, nécessité dans une telle structure.

Où se situe la « nature » aux yeux de ces maraîchers, dans quelle mesure sont-ils et se considèrent-ils comme des
« paysans  » ? : deux thématiques abordées par le chercheur.

Le maraîchage, pas seulement un métier manuel

«Au final, mettre en évidence tous les éléments qui gravitent autour de ce légume quotidien qu’est la tomate, à la fois assez mondialisé et qui comporte également de multiples variétés locales, m’a permis de raconter l’histoire de cette coopérative et surtout de mettre en évidence la grande variété de savoirs, savoir-faire et techniques nécessaires à la pratique du métier.»

Le chercheur aboutit à un constat clair : « Le maraîchage est loin d’être un métier simplement manuel. Il est d’une grande complexité et demande une réflexion permanente autour de la mise en place quotidienne. Cela m’a permis de montrer que les difficultés auxquelles ces NIMAculteurs devaient faire face sont loin d’être simples et méritaient que le métier soit amplement revalorisé. Dans mes conclusions, j’observe que ces passionnés s’engagent par volonté, acquièrent des compétences techniques fines, mais que le contexte général (mécanisme d’aide, environnement économique…) n’est pas favorable pour créer les conditions d’un épanouissement sur le long terme dans la profession. L’importance d’un revenu correct reste le nerf de la guerre. A l’heure du réchauffement climatique et de la crise de la biodiversité, il est plus que temps de favoriser l’émergence d’une agriculture locale et résiliente. Si nos politiques voulaient bifurquer vers ce type d’agriculture, il est important d’établir un mécanisme d’aide qui rende le métier attractif au-delà des aspirations de reconversion et de quête de sens. Ce constat peut par ailleurs être étendu à l’agriculture familiale dans son ensemble qui est en grande souffrance et dont l’hémorragie ne semble pas prête de s’arrêter. On a perdu en moyenne 1.000 fermes par an en Wallonie entre 1980 et 2015. »

Prochaine étape pour le chercheur : une thèse élargissant ce terrain d’observation à d’autres producteurs avec lesquels la coopérative travaille en partant de l’étalage de ces maraîchers et en remontant les chaînes d’approvisionnement des légumes fournis par d’autres producteurs. « Cela me permettra de travailler avec d’autres producteurs wallons mais également avec des producteurs italiens en suivant les agrumes et remontant leurs parcours jusqu’en Sicile… », s’enthousiasme le chercheur, loin d’avoir épuisé les multiples facettes de ce sujet de recherche.

Marie Dumas

 

Liens utiles :

(1) Le mémoire
(2) Nomination aux HERA awards
(3) Laboratoire d’anthropologie prospective

 

Coup d’œil sur la bio de Nicolas Loodts

©Denis Closon

« Moi-même en reconversion, les choix des participants à la coopérative résonnaient avec les miens, contextualise Nicolas Loodts. Ingénieur agronome, éducateur, avocat, chercheur en sciences politique… Les domaines d’où provenaient originellement ces gens décidés à franchir le pas du maraîchage biologique, sans formation préalable, étaient extrêmement variés. Ils reflétaient mon propre parcours, facilitant les échanges et mon observation participante aux activités du groupe étudié. »

Ingénieur civil et physicien de formation, diplômé en astrophysique avant d’avoir exercé la profession d’ingénieur pendant douze ans : le parcours de Nicolas Loodts ne le prédestinait pas à aller récolter les salades dans le cadre d’un master en anthropologie : « J’ai toujours eu un intérêt pour le maraîchage, raconte-t-il. Pour découvrir le métier, j’avais été observer dès 2014 ces nouvelles pratiques agricoles. Parallèlement à cela, la création d’une ASBL active dans le sud m’avait amené à découvrir l’anthropologie. Un déclic. » Littéralement happé par le domaine, le chercheur s’inscrit à l’UCLouvain sans hésiter. « C’était un vrai coup de foudre, intrinsèquement lié à une envie de changement radicale. » Aujourd’hui titulaire d’une bourse FRESH (FNRS), ce (presque) quarantenaire effectue désormais son doctorat sous la direction de Pierre-Joseph Laurent au laboratoire d’anthropologie prospective de l’UCLouvain sur ce même sujet qui le passionne.

BIOGRAPHIE

Né en 1981, Nicolas Loodts a terminé des études d’ingénieur civil physicien à l’Université de Liège en 2004. Après un diplôme d’étude approfondie en astrophysique et en mémoire sur les exoplanètes, il travaille pendant 6 ans à l’Institut d’Aéronomie Spatiale de Belgique sur un projet de microsatellite. Un premier virage dans sa carrière le conduit à travailler à partir de 2012 à la direction du bâtiment durable (Région Wallonne) dans le secteur des énergies renouvelables et ce jusqu’au printemps 2019. En 2014, il s’inscrit au master en Anthropologie de l’UCLouvain qu’il termine en 2017. Il est titulaire depuis le premier mars 2019 d’une bourse FRESH du FNRS et travaille au sein du Laboratoire d’Anthropologie Prospective de l’UCLouvain (LAAP).

Publié le 12 juillet 2019